Visiblement, son pragmatisme reprenait le dessus.
— Tu sais en quoi est fait le collier que tu portais en arrivant ?
— En or, non ?
— Non, en partie seulement. Le reste c’est du plutonium.
— C’est quoi ?
— Ça sert à faire les bombes nucléaires et ça vaut très cher. C’est bien ton ami Pavel Sakharov qui te l’a donné ?
— Oui. Et alors ?
— Alors, tu as servi de courrier pour transporter des échantillons de plutonium 239 que Pavel Sakharov voulait vendre à Ishan Kambiz. Pour une somme colossale.
— C’est quoi, une somme colossale ? demanda Zakra, subitement intéressée.
— Rien que pour ce collier, ton ami Pavel va toucher un million de dollars. Soixante millions de roubles, précisa-t-il. Il eut l’impression d’avoir donné un coup de poing à Zakra.
— Soixante millions de roubles ! répéta rêveusement la jeune Kirghize.
— Oui, continua Malko. Cet argent devait être viré au compte que doit posséder Pavel hors de Russie. Seulement, Ishan Kambiz, qui devait effectuer le virement, est mort.
Zakra lui envoya un regard interrogateur.
— Et alors ?
— Alors, dit Malko, si tu reviens à Budapest en disant que tu as remis le collier, sans parler de ce qui est arrivé ensuite, Pavel va très vite comprendre qu’il se passe quelque chose d’anormal en ne recevant pas son argent… Et c’est à toi qu’il va poser des questions. Peut-être pas d’une façon agréable…
— Je ne vois pas où tu veux en venir.
— J’ai récupéré les références des comptes bancaires de Kambiz, expliqua Malko. J’ai accès à eux. Je peux donc, quand Pavel me donnera les références de son compte, lui faire virer son million de dollars…
— Mais pourquoi Pavel te donnerait cette information ?
— Parce que nous allons revenir ensemble à Budapest, toi et moi, conclut Malko. Tu vas expliquer à Pavel que je suis le bras droit d’Ishan Kambiz et que j’ai l’argent. Bien entendu, tu ne lui dis pas qu’il est mort. Il ne le saura pas tout de suite. Nous allons y veiller. Ton rôle s’arrête là.
— Mais pourquoi tu fais tout cela ?
— Je veux acheter à Pavel le plutonium qu’il voulait vendre aux Iraniens, expliqua Malko.
— Qu’est-ce que tu veux en faire ?
La question était si naïve qu’il fut tenté de sourire.
— Je ne suis qu’un intermédiaire, expliqua-t-il. Zakra s’ébroua, dépassée.
— Karacho, karacho ! Et moi, ça me rapporte quoi de mentir à Pavel ?
— Un passeport américain et un million de dollars.
— Américain, pas autrichien ?
— Oui.
Le regard de la Kirghize s’éclaira.
— Ah, tu travailles avec les Amerikanski…
— Peu importe, coupa Malko. Tu auras ton passeport et soixante millions de roubles. Et en plus, ajouta-t-il, tu auras rendu un sacré service à l’humanité en général et au Moyen-Orient en particulier. Tu es musulmane, non ?
Zakra haussa les épaules.
— L’humanité, elle, ne m’a rendu aucun service. Et les musulmans, je m’en tamponne. Ils peuvent crever. Je n’ai jamais ouvert un Coran de ma vie.
— Alors, tu es d’accord ?
— Oui, dit-elle après quelques instants d’hésitation.
— Bon, nous allons retourner au Caesar Park, proposa Malko. Et demain, nous reprenons Air France pour Paris et Budapest.
Il passa l’appartement au peigne fin. Bien sûr, son plan était hyper-risqué, car il ne connaissait pas toutes les précautions dont s’était entouré Ishan Kambiz. Tout allait peut-être lui exploser à la figure au premier contact.
Seulement, il était impossible de laisser dans la nature quatre-vingts kilos de plutonium 239. Or, liquider ou faire arrêter par les Hongrois le mystérieux Pavel Sakharov ne servirait à rien. Il n’était sûrement pas en possession du plutonium 239 et ne pourrait être inquiété longtemps. Remis en liberté, il n’aurait plus qu’à trouver de nouveaux acheteurs.
Zakra pouvait apporter la touche de vérité à la « légende » de Malko, à condition qu’elle joue le jeu.
Le tout, ensuite, était de faire vite. Avant que les Iraniens ne se réveillent. Normalement, d’après ses billets d’avion, Ishan Kambiz aurait dû être en train de voler vers l’Iran. En ne le voyant pas, ses commanditaires allaient s’inquiéter. Mais, les communications étant sûrement difficiles, ils penseraient peut-être qu’il était retourné à Budapest.
Ce qu’il fallait, c’était éviter toute publicité intempestive à la mort de Kambiz, et, à celle de ses trois gardes du corps. Cela ne pouvait se faire qu’avec la collaboration des autorités brésiliennes. C’était à la CIA de jeter tout son poids dans la bataille.
Du côté de Pavel Sakharov, Malko voyait moins de danger immédiat. Apparemment, il n’avait pas de lien direct avec Kambiz. En voyant débarquer à Budapest le « fondé de pouvoir » de l’Iranien avec le million de dollars, le Russe n’avait pas de raison de se méfier. D’autant que le récit serait corroboré par Zakra.
Il restait, hélas, tous les impondérables, dont chacun pouvait déclencher une catastrophe.
Zakra pouvait trahir. Il y avait peut-être un code entre Sakharov et Kambiz. Les Iraniens pouvaient se manifester plus tôt que prévu…
La liste était longue et non limitative… Zakra sortit la première de l’ascenseur, encadrée de Chris et Milton, et ils traversèrent le hall envahi de policiers brésiliens. Prudente Freitas demeurait sur place pour éviter la curiosité de ses collègues de la police de Rio, en attendant que Malko puisse faire les interventions nécessaires.
A quelques mètres de là, un petit groupe de badauds entourait un périmètre délimité par des rubans jaunes où une tache sombre souillait le trottoir de mosaïque. L’endroit exact où Ishan Kambiz avait terminé son existence. Une ambulance avait depuis longtemps emporté ce qui restait du corps.
La course contre la montre commençait.
Malko déposa Zakra à l’hôtel sous la garde des gorilles et fila au consulat américain. Il était urgent de communiquer à Langley le nom de l’homme qui vendait du plutonium 239.
Le Boeing 737 d’Air France commença sa descente sur Budapest. Zakra avait ouvert les yeux depuis un moment et regardait le paysage d’un air absent.
De sa part, Malko avait peu appris de neuf. La description physique de Pavel Sakharov et quelques détails sur la vie qu’il menait à Budapest. Elle ne connaissait d’ailleurs même pas son nom. Grâce à Langley, Malko, lui, en savait beaucoup plus depuis quelques heures.
L’ordinateur central qui avait en mémoire des milliers de noms avait craché tout sur le général du KGB Pavel Ivanovitch Sakharov. Une carrière assez effacée qui ne l’avait jamais mené hors des frontières de l’Union soviétique, sauf pour une période de trois ans en Syrie. Le reste du temps, il avait eu diverses fonctions au sein du deuxième Directorate, chargé de la sécurité intérieure. Jusqu’à son dernier poste, au MSB, comme directeur de la sous-direction chargé de la protection du nucléaire. Il avait donné sa démission au KGB trois mois plus tôt, faisant valoir ses droits à une retraite bien méritée de 1176 roubles par mois exactement. De quoi ne pas mourir de faim.
Heureusement, il avait pris la présidence de la société ISOTOP dont les activités légales prospéraient.
Zakra se redressa sur son siège, soudain nerveuse. Pourtant, le voyage s’était passé sans histoire depuis Rio. Grâce aux pressions du FBI et de la CIA, la police de l’État avait classé sans suite la mort d’Ishan Kambiz, l’attribuant à un suicide consécutif à une dépression.