D’autant que la CIA avait obtenu de la Police Fédérale l’autorisation d’établir une discrète bretelle sur les téléphones de l’Iranien. Ainsi, ses correspondants s’entendaient dire par une voix portugaise que le senhor Kambiz était en voyage pour plusieurs semaines. Pour les trois morts, c’était encore plus simple : ils avaient été transportés à la morgue sans aucune pièce d’identité, ayant été trouvés sur la voie publique.
Les Américains avaient même obtenu que le certificat de décès soit établi au nom d’Émilie Suza, celui d’un des faux passeports de l’Iranien. Aucune publicité n’ayant été donnée à ce décès, les Iraniens ne découvriraient pas immédiatement sa mort. Il fallait que Malko ait bouclé son opération d’ici là. Il regarda les champs enneigés au-dessous de l’appareil. En trois jours, la CIA avait bien travaillé. Il arrivait à Budapest avec une identité toute neuve : Herr Rudolph Mùller, avec un bureau à Frankfurt am Main reprenant le sigle d’une des infrastructures d’Ishan Kambiz. Il s’agissait en réalité d’un local de contact de la CIA et le téléphone aboutissait dans le bureau du chef de station de Bonn.
De ce côté-là, il était couvert. Il y avait une chance minuscule pour que l’officier du KGB Pavel Sakharov le connaisse physiquement. Peu probable, puisqu’il n’avait jamais travaillé au Premier Département, celui en contact avec l’étranger. Pour tout le reste, Malko pouvait faire face. Une seule inconnue : Zakra. La jeune Kirghize tenait son sort entre ses mains. Heureusement, il y avait l’attrait du passeport, de l’argent et d’une nouvelle vie à l’Ouest.
Le « 737 » sortit son train et la Kirghize se tourna vers lui.
— Nous arrivons, remarqua-t-elle d’une voix en apparence indifférente.
Le voyage s’était bien déroulé. Grâce à la rapidité des arrivées et des départs à Roissy 2, ils avaient eu le temps de faire un saut à Paris que Zakra voulait voir à tout prix. Au passage, elle avait craqué pour une somptueuse robe du soir de Balenciaga toute de dentelle noire, au décolleté vertigineux, que Malko n’avait pu refuser à la jeune Kirghize.
— Tu sais ce que tu dois faire ?
— Oui. Je vais voir Pavel et je lui dis que tu es revenu avec moi, et qu’avant de le voir, tu veux lui payer le collier. Qu’il te fasse parvenir un numéro de compte bancaire.
— Et ensuite ?
— Tu veux le rencontrer pour terminer l’affaire le plus vite possible.
— Où vas-tu habiter ?
— Comme avant, je pense, dans l’appartement de Karim, derrière l’hôtel Penta. Je t’ai donné l’adresse.
Choc des roues sur la piste.
— Il va sûrement te questionner, insista Malko, Tu parles le moins possible. Tu as vu Ishan seulement une fois, le soir du bal à la Scala, où tu lui as donné le message. Il t’a présenté à moi et tu m’as retrouvée ensuite à l’aéroport.
— Et mes blessures ?
— Tu as été attaquée sur la plage par des voyous. Nous allons nous séparer à l’aéroport. Il est possible qu’il te fasse surveiller. Moi, je vais au Hilton. Tu connais mon nom. Rudolph Mùller. Cela suffit. Fais attention, si ça tournait mal, c’est à toi qu’il s’en prendra d’abord.
— Je sais, soupira Zakra.
La CIA avait décidé de ne pas mettre encore au courant les autorités hongroises. Quant au plutonium 239 du collier, il se trouvait déjà aux États-Unis.
Le policier de l’immigration feuilleta distraitement le passeport allemand de Malko et le lui rendit avec un large sourire. Les Hongrois comptaient beaucoup sur leurs voisins de l’Ouest pour redresser leur économie.
Pavel Sakharov éprouvait une impression indéfinissable : une vague, très vague anxiété qui lui donnait des brûlures d’estomac. Il regarda Zakra moulée dans une robe brésilienne collante comme un gant et guère plus longue qu’un tee-shirt, bronzée, les seins débordant, infiniment désirable. Même les cicatrices qui parsemaient ses cuisses, son ventre et ses seins ne l’enlaidissaient pas. Attablée au bar, elle buvait un Cointreau « on ice », bavardant avec les autres entraîneuses de l’Eden qui, elles, le buvaient à la Russe, comme de la vodka.
Sa robe panthère déclenchait les fantasmes des clients qui la réclamaient tous. D’un geste dédaigneux, elle les dirigeait vers les autres femmes.
Soudain, elle aperçut Pavel Sakharov qui lui faisait signe, à l’entrée du couloir menant à son bureau. Elle glissa de son tabouret et le rejoignit, le suivit dans son bureau et referma la porte derrière eux.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.
— Je te regardais sur l’écran de contrôle, dit-il. J’ai eu envie de te voir de plus près. Zakra fit un pas en avant et vint s’appuyer à lui, fondante.
— Eh bien ? je suis là.
Malgré son self-control, Pavel Sakharov sentit une coulée de lave envahir ses reins. Personne ne pouvait résister au magnétisme sexuel de Zakra. Elle posa la pointe d’un escarpin sur une chaise et sa robe remonta presque jusqu’au pubis, découvrant un minuscule slip noir perdu au milieu de son sexe. Son regard plongé dans celui de Pavel, avec un drôle de sourire qui lui tordait un peu la bouche, elle farfouilla à l’aveuglette, finissant par extraire ce qu’elle voulait.
Pavel Sakharov n’eut même pas à remonter la robe panthère. Guidé par les doigts habiles de Zakra, il s’enfonça en elle d’un seul coup. Tout le corps de la jeune femme frémit et elle lui mordit le cou pour ne pas hurler. Mais au moment où elle le croyait en pleine euphorie, le ventre plein de lui, le Russe demanda d’une voix calme :
— Tu m’as vraiment tout dit de ton voyage ? Zakra eut un sursaut de fureur.
— Salaud ! C’est à ça que tu penses quand tu me baises !
Ce fut comme si le cercle de fer qui oppressait Pavel Sakharov avait brusquement cédé. C’était la première fois que la Kirghize lui parlait sur ce ton. Et cela lui inspira confiance. Ses doutes envolés, il l’appuya au bureau et se mit à la labourer à puissants coups de reins.
Quand il explosa tout au fond de son ventre, Zakra trembla de tous ses membres, le maquillage coulant sur son visage.
Après avoir repris son souffle, le Russe se dégagea et lui dit d’une voix inhabituellement rouée :
— Retourne dans la salle. J’ai des choses à faire ici. Zakra tira sur sa robe et obéit. Elle émergea dans la salle d’une démarche ondulante, lascive, balançant sa croupe incendiaire, ses cheveux flamboyant sur les épaules. La plus belle bête de sexe qu’on puisse imaginer. Aux Olympiades des allumeuses, elle avait la médaille d’or. Elle se cala dans un boxe, un Cointreau tout neuf devant elle, le ventre encore brûlant. Depuis son voyage à l’Ouest, elle ne buvait plus de vodka. Depuis son retour, elle vivait dans une terreur secrète permanente. Pavel Sakharov semblait avoir cru son histoire, mais n’avait pas levé le petit doigt pour contacter le fondé de pouvoir d’Ishan Kambiz. A chaque seconde, Zakra s’attendait à ce qu’il la convoque dans le bureau pour la faire écarteler vivante par ses Tchétchènes.
Pavel lui inspirait une peur animale à cause de sa froideur, de sa maîtrise. Il semblait n’être qu’un cerveau. Même quand il lui faisait l’amour, il paraissait détaché, alors que tous les hommes rencontrés par Zakra auraient fait le tour de la terre en rampant pour avoir le droit de se servir de son corps magnifique. Elle avait l’impression que si elle brisait cette carapace de glace, elle aurait moins à craindre de lui, qu’il pourrait moins lui dissimuler ses véritables pensées. Plusieurs fois, depuis son retour, elle l’avait provoqué sexuellement sans obtenir autre chose qu’une étreinte tiède.
C’était la première fois qu’elle le voyait déchaîné. Elle sentait instinctivement que c’était sa colère — réelle — qui avait fait tomber les barrières du Russe.