Malko eut un léger haussement d’épaules.
— Aussi certain que vous pouvez l’être à votre sujet. Nous courons les mêmes risques que vous. Quand nous revoyons-nous ?
— Je vous ferai signe très vite, dit le Soviétique.
— Pouvez-vous me faire raccompagner ?
— Bien sûr.
Il jeta un ordre aux Tchétchènes qui s’approchèrent, l’un tenant un bandeau. Quand il le passa autour du visage de Malko, ce dernier entendit la voix de Sakharov demander :
— Vous vous appelez vraiment Mùller ?
— Vous vous appelez vraiment Pavel ? répliqua Malko du tac au tac.
Silence puis, le Russe insista.
— Où êtes-vous basé ?
— Je vis en Allemagne. Je suis allemand.
On le poussait déjà vers la sortie.
Il refit le même trajet en sens inverse et se retrouva dans la voiture qui l’avait amené. Dix minutes plus tard elle s’arrêta et il entendit ses voisins descendre, puis le véhicule repartit aussitôt. Il arracha son bandeau et découvrit le large dos du chauffeur. Ce dernier se retourna avec un sourire édenté et canaille.
— Alors on se retrouve ?
C’était Ferencz Korvin, l’ancien du MVA ! L’homme qui lui avait appris le meurtre de Karim Nazarbaiev. Et qui savait que Malko était déjà à Budapest une semaine plus tôt. Un danger mortel pour lui.
L’ancien policier, le regardait en ricanant dans le rétroviseur. Malko réussit à lui sourire.
— Qu’est-ce que vous faites là ?
— Je travaille la nuit, moi. Tous les trucs un peu délicats. Quand ils vous ont chargé tout à l’heure, j’étais pas sûr de vous revoir. Là-bas, il se passe de drôles de trucs, mais moi je ferme ma gueule.
— Que voulez-vous dire ?
— Oh, ils avaient piqué un Arabe. Les Tchétchènes. Ils pensaient qu’il avait tué leur copain. Alors ils se sont occupés de lui, là-bas dans Révész utça. Quand ils ont eu fini, il tenait dans un sac. Il n’avait plus un os intact. C’est des dangereux. Encore un qui a été engraisser les brochets et les silures. Moi je fais la poubelle…
La voiture montait péniblement la côte le long des remparts du cloître abritant le Hilton. Malko réfléchissait. Après tout, il pouvait très bien, à la demande de Kambiz, avoir enquêté sur Karim Nazarbaiev, à la suite de l’incident de la rue Leridvay. L’ex-policier s’arrêta devant le Hilton, rigolard. Malko lui laissa un généreux pourboire. Il pouvait servir. Mais il fallait absolument reprendre contact avec la Kirghize.
Pavel Sakharov vida pour la troisième fois son verre de vodka. En face de lui, Zakra, toujours vêtue d’une de ses robes collantes, assise dans un profond fauteuil, bougonne, l’observait, dissimulant son inquiétude.
— Que penses-tu de Mùller ? demanda-t-il.
Zakra essaya de garder une expression indifférente.
— Rien. Nous n’étions même pas à côté l’un de l’autre dans l’avion. Il a l’air prudent. Le type que tu m’as envoyé voir à Rio m’a dit de le traiter comme si c’était lui. Il doit savoir ce qu’il fait…
Elle se replongea dans la lecture d’un Harlequin en hongrois. Elle découvrait avec une joie sans limite la romance sentimentale et en dévorait toute la journée. Pavel s’occupait peu d’elle. Cela faisait quatre jours qu’il ne lui avait pas fait l’amour. Elle avait hâte que tout cela se termine.
Et se termine par un passeport américain !
— Tu vas aller voir ce Mùller, fit soudain le Russe. Le cœur de Zakra battit plus vite.
— Tu as un message pour lui ?
— Non. Je veux que tu recueilles des informations sur lui. Je n’aime pas ce type qui surgit de nulle part. Même si tout paraît en ordre. Couche avec lui, fouille ses affaires, fais-le parler, démerde-toi. Et puis, envoie-moi Grosny.
— Bien, dit-elle de mauvaise grâce.
— La balle est dans son camp, annonça Malko à Alan Spencer, il se méfie, par principe, mais je pense qu’il va me recontacter très vite. Cela ne doit pas être facile de se promener avec quatre-vingts kilos de plutonium 239.
— Vous pensez que le métal se trouve à Budapest ?
— J’en doute, fit Malko. Ce serait trop risqué. Il doit être entreposé quelque part en Ukraine ou plus loin même.
Depuis son retour, il prenait des précautions infinies pour se rendre à l’ambassade américaine. Effectuant au moins deux ruptures de filature et terminant le trajet à pied. Pavel Sakharov pouvait très bien le faire surveiller.
Il repartit jusqu’à la place Vôrôsmarty où il avait laissé sa Mercedes et regagna le Hilton. Il eut un choc en pénétrant, dans le hall. Zakra était installée dans un fauteuil, face à la porte, emmitouflée dans sa houppelande. Elle se leva et glissa vers Malko, salope comme pas deux.
— Je suis en mission officielle, annonça-t-elle immédiatement, avec un sourire en coin.
— Tu as quelque chose à me transmettre ? demanda Malko, le cœur battant.
— Oui, en quelque sorte. On monte ?
A peine dans la chambre, elle se défit de sa houppelande, apparaissant moulée dans une robe vert jungle qui s’arrêtait à mi-cuisses, les seins crevant le décolleté. Quand elle se colla à lui, la robe remonta encore et elle murmura :
— Ma mission est très simple : Que tu me baises… Elle lui raconta ce qui se passait et, joignant le geste à la parole, elle fît passer sa robe par-dessus sa tête. Trente secondes plus tard, elle était à genoux devant lui, radieusement nue. Elle avait vraiment très envie de son passeport… Beaucoup plus tard, Malko lui suggéra :
— Tu vas dire à Sakharov que pendant que tu étais avec moi, il y a eu un coup de fil que je t’ai dit d’aller dans la salle de bains, mais que tu as pu écouter quand même. Tu es presque certaine que je parlais à Ishan Kambiz. Je l’ai appelé par son prénom.
Elle le regarda, effrayée.
— Je n’aime pas cela. Cela porte malheur de jouer avec les morts.
Où allait se nicher la superstition ! Finalement, Malko arriva à la convaincre et conclut.
— Je vais t’inviter à dîner puisque c’est le souhait de Mr. Sakharov.
La grande salle du Màtyàs Pince était bourrée, avec l’orchestre tzigane jouant mollement pour les tables de l’entrée. Les mâles présents ne pouvaient détacher leur regard de Zakra, éblouissante dans sa robe verte. Même le garçon, débordé, les servait avec une rapidité incroyable. Malko était en train de déguster son foie gras poêlé quand elle annonça, tout à trac :
— Pavel est en train de contacter les Iraniens. Le foie gras devint tout à coup très, très lourd…
— Explique-toi, demanda Malko.
— Il a confié la mission à Grosny sans m’en parler.
Ainsi, Pavel Sakharov était encore plus prudent que prévu. Il y avait encore une chance minuscule : les Iraniens locaux devaient ignorer si Ishan Kambiz n’avait pas un collaborateur. Mais il devenait urgent de conclure. Malko se décida instantanément.
— Nous allons à l’Eden. Je veux parler à Pavel Sakharov.
— Qu’est-ce que tu vas lui dire ? demanda la Kirghize effrayée, lorsqu’ils arrivèrent dans la boîte.
— Le secouer un peu, expliqua Malko. Nous sommes tous les deux assis sur un baril de dynamite. Il faut en descendre avant qu’il n’explose.
Un vent balayait la place du 15 mai en contrebas du pont Erzsébet où était garée sa voiture. Zakra se serra contre lui.
— J’ai peur ! avoua-t-elle. Avant je m’en foutais, je n’avais qu’une vie de merde. Maintenant j’ai un avenir. Je ne veux pas mourir.
— Rien ne t’arrivera, affirma Malko. Pavel Sakharov n’a pas de soupçons précis.