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Le portier de l’Eden jeta un coup d’œil étonné à Zakra et les fit aussitôt entrer, sans taxer Malko des deux cents forints obligatoires. La salle était à moitié vide et ils s’installèrent en face d’une « go-go girl » qui se déhanchait sur un podium. Le garçon déposa devant Malko une bouteille de Moët et Chandon, ainsi qu’un Cointreau pour Zakra.

— Va chercher Pavel, demanda-t-il.

Pavel Sakharov surgit d’une porte dissimulée, quelques minutes plus tard, raide comme la justice, le regard toujours aussi froid, et s’assit en face de Malko. Son premier geste fut de congédier Zakra d’un signe de tête.

— Pourquoi venez-vous ici ?

— Pour vous voir, fit Malko, Zakra m’a dit que vous aviez un bureau ici.

— Que voulez-vous ?

Malko se pencha à travers la table.

— Pavel, vous m’avez envoyé Zakra, et je vous remercie de l’attention, mais je ne suis pas à Budapest pour baiser. Par contre j’ai eu un coup de téléphone de Mr. Kambiz.

— D’où vous appelait-il ? demanda vivement le Russe, ignorant le reste.

— Il ne me l’a pas dit. Mais ses commanditaires s’impatientent. Ils lui ont confié des sommes considérables. Si l’affaire ne se fait pas, il va être obligé de les rendre, car les intérêts sont colossaux. La République Islamique a de gros besoins…

Pavel Sakharov ne réagit pas. Ses yeux de poisson gris-bleu semblant taillés dans de l’agate. Malko vit seulement au mouvement de ses mains qu’il avait frappé juste…

— Que voulez-vous ? finit-il par demander.

— Pouvez-vous oui ou non me livrer la marchandise rapidement ?

— Je suis en mesure de vous livrer, dit calmement Pavel Sakharov.

— Alors, qu’est-ce que vous attendez ?

La musique couvrait le bruit de leur conversation, cela valait tous les dispositifs de brouillage du monde. Le Russe hésita quelques instants.

— Ce sera fait avant la fin de la semaine. Mais…

— Mais quoi ?

— Comment va s’effectuer le paiement ? Malko sentit une vague de joie l’envahir. On arrivait au cœur du sujet. Lui, un agent de la CIA, était en train d’acheter du plutonium 239 à un renégat du KGB avec l’argent iranien. Grand moment.

— Voilà ce que je vous propose, dit Malko. Je suppose que vous allez livrer en plusieurs fois les quatre-vingts kilos ?

— Exact, confirma Pavel Sakharov.

— Dans ce cas, nous allons prendre chacun un risque. Dès que je serai en possession de la première livraison, je vous ferai un virement comme j’ai fait pour le collier. Nous procéderons de la même façon jusqu’à la fin. Sauf que je vous paierai l’ultime livraison d’avance. Êtes-vous d’accord ?

Pavel Sakharov demeura silencieux un long moment, le regard dans le vide. Malko attendait, suspendu à sa réponse. Il n’y avait plus qu’un léger problème : il ignorait le prix sur lequel le Russe et ses acheteurs s’étaient mis d’accord.

— J’accepte, laissa tomber le Russe d’une voix égale. Son visage n’avait pas changé d’expression. Presque aussitôt, il se leva et tendit la main à Malko.

— Dès que j’aurai le métal, dit-il, je vous ferai prévenir par Zakra du lieu et de l’heure du rendez-vous.

Il s’éloigna vers son bureau. Malko se leva, prêt à partir. Zakra s’était installée au bar, avec d’autres filles et il ne tenait pas à s’éterniser dans ce lieu sordide. Au moment où il s’approchait de la jeune Kirghize pour lui dire au revoir, un nouveau venu pénétrait dans la salle. Un Moyen-Oriental aux cheveux frisés.

Malko le reconnut instantanément : c’était Cyrus, l’Iranien de la force Al-Qods, l’assassin présumé de Stephan Sevchenko et des deux Tchétchènes.

Chapitre XVI

L’Iranien se dirigea vers une des barmaids et chuchota quelque chose à son oreille avant de s’installer dans un box. Malko rejoignit Zakra et se pencha à son oreille :

— J’ai envie de danser.

— De danser ?

De toute évidence, il lui aurait demandé de la prendre sur-le-champ, elle n’aurait pas été plus étonnée. Malko l’entraîna sur la piste et elle se colla à lui. La jeune Kirghize aurait fait perdre la tête à n’importe qui… Malko, lui, ne voyait que la tête crépue de Cyrus Tadjeh.

Peu de temps après, Pavel Sakharov apparut et se dirigea vers l’Iranien. Malko sentit son estomac se serrer. C’était bien ce qu’il avait craint. Cyrus Tadjeh avait dû être convoqué par Sakharov qui cherchait des nouvelles d’Ishan Kambiz, et peut-être des informations sur Malko. L’Iranien allait rendre compte à l’ambassade et tout risquait d’exploser.

— Tu connais l’homme qui vient d’arriver ? demanda-t-il.

Comme elle tardait à répondre, il lui dit brutalement :

— Évidemment que tu le connais ! C’est un des deux avec qui tu avais rendez-vous à l’usine de la rue Révész. Qui est-ce ?

— Un Iranien, fit-elle. Je ne sais pas son nom, mais c’est sûrement l’assassin de Stephan. Il porte sa montre.

Le cerveau de Malko tournait à la vitesse de la lumière. C’est à la fin du slow qu’il eut une idée.

— Partons, viens avec moi, dit-il à Zakra.

Dès qu’ils furent dans l’entrée, il lui demanda :

— Tu sais où se trouve Grosny en ce moment ?

— Il doit être dans la pièce près de l’entrée, pourquoi ?

— Va le chercher. Je t’attends dehors dans ma voiture.

Il alla s’installer au volant de la Mercedes. Le Tchétchène surgit quelques instants plus tard et ouvrit la portière. Ses petits yeux plissés luisaient de curiosité.

— J’ai une information pour vous, dit Malko en russe. L’homme qui a liquidé vos deux amis et Stephan se trouve à l’Eden en ce moment. Il bavarde avec Pavel.

— Comment le savez-vous ? demanda le Tchétchène après un moment de surprise.

— Je le sais, trancha Malko. C’est facile à vérifier : il porte la montre de Stephan.

Le Tchétchène s’éloigna sans un mot et Malko le vit rentrer à l’Eden. Zakra vint prendre sa place, inquiète.

— Qu’est-ce que tu lui as dit ?

— Rien d’important, dit Malko. Je rentre au Hilton. Tu viens ?

— Non, dit-elle, je dois rester là pour surveiller les filles.

— Alors, appelle-moi demain, demanda Malko avant de démarrer.

Cyrus Tadjeh sortit de l’Eden, la tête lourde. La conversation avec Pavel Sakharov n’avait pas été longue, mais ensuite, il s’était attardé avec les entraîneuses. Une petite Russe potelée — cadeau de la maison — l’avait bien échauffé pendant les danses et se pendait maintenant à son bras.

Elle le tira vers un taxi arrêté à l’écart.

— Viens, on va au Penta. C’est là que j’habite. Un des rares hôtels de Budapest qui acceptait les putes russes. Beaucoup de Soviétiques y séjournaient. L’Iranien se laissa faire.

Il s’installa dans le taxi et, ne voyant pas monter la fille, tourna la tête. Il eut l’impression de recevoir un ours dans les bras. Un type énorme venait de bondir par la portière ouverte, l’écrasant contre celle qui lui était opposée. Des doigts noueux se refermèrent autour de sa gorge et l’empêchèrent même d’émettre un soupir. L’inconnu, brutalement, releva le poignet de sa veste, découvrant la montre qu’il avait prise sur le cadavre du Russe étouffé. Il ne grommela qu’un seul mot :

— Stephan…

Son gros doigt pointait sur le cadran. Cyrus Tadjeh n’eut pas le temps de s’expliquer. Une manchette puissante comme un coup de marteau lui brisa le cartilage du nez. La terreur le paralysa. Le sang dégoulinait dans sa bouche. Un autre malabar était monté à l’avant, à côté du chauffeur. Le véhicule démarra. L’Iranien poussa un hurlement inhumain : son voisin lui avait saisi le sexe et les testicules dans sa main énorme et était tranquillement en train de les écraser… Fou de douleur, il perdit connaissance.