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Lorsqu’il revint à lui, ils roulaient sur la voie le long du Danube dans le nord de Pest, dans la zone industrielle. La voiture bifurqua et s’arrêta devant un bâtiment sans lumière qu’il reconnut immédiatement : l’usine désaffectée. S’il ne parvenait pas à s’enfuir maintenant, il était perdu… Il fit le mort et, lorsque Grosny le jeta dehors, il réussit à se dégager et à détaler…

Le chauffeur de taxi démarra aussitôt à sa poursuite, montant sur le trottoir. Un choc violent à la jambe : l’Iranien roula à terre, le tibia brisé. Une minute plus tard, les deux Tchétchènes étaient sur lui. Il souffrait tellement qu’il perdit connaissance tout de suite. Ils le traînèrent jusqu’à l’usine, par les jambes, comme un cadavre. Tandis que l’ex-policier du MVA se garait un peu plus loin et allumait sa pipe. Plutôt satisfait : une soirée comme cela lui rapportait pas mal de forints. Il aimait bien faire le ménage.

* * *

Les deux Tchétchènes ne parlaient pas. A quoi bon ? D’abord, ils essayèrent de faire tenir l’Iranien debout. Avec son tibia en miettes, c’était difficile… Ils le laissèrent tomber à même le sol de ciment, puis Grosny prit son élan et retomba sur son ventre de tout son poids. Il y eut un bruit écœurant, quand le péritoine éclata littéralement. Cyrus Tadjeh exhala un soupir affreux et eut quelques convulsions.

Ce n’était pas suffisant. Grosny arracha le jeans, prit, à travers le slip, l’appareil sexuel de sa victime entre ses deux énormes mains et se mit à serrer.

La douleur était tellement horrible que l’Iranien parvint à faire encore quelques sauts de carpe. Des hurlements délirants sortaient de sa gorge, se terminant en couinements désespérés. Il en fallait plus pour apitoyer les deux Tchétchènes. C’était la méthode employée dans leur pays pour les voleurs. A tour de rôle, ils se mirent à sauter de tout leurs 120 kilos sur les membres de leur victime, lui brisant les os un par un… Les bras, puis les jambes, les cuisses. Mais c’était du fignolage. Ils continuaient à sauter alors que Cyrus Tadjeh ne donnait plus signe de vie depuis longtemps. Ce n’était plus qu’une loque qu’ils continuaient à marteler dans une sorte de rite expiatoire dément. Comme des doberman s’acharnant sur un voleur déjà mort.

Lorsqu’ils eurent terminé, le Pasdaran ressemblait à un sac de chiffons ; il n’avait plus forme humaine, sa tête avait doublé de volume, des matières fécales lui sortaient du nez et de la bouche, ses membres étaient désarticulés selon des angles horribles et bizarres. Les deux Tchétchènes abandonnèrent enfin. Grosny descendit au sous-sol chercher un sac poubelle et ils y fourrèrent le cadavre.

Le temps de refermer l’usine, ils regagnaient le taxi.

— Qu’est-ce qu’on en fait ? demanda le chauffeur, placide.

Ils hésitèrent. Grosny l’aurait bien fait déposer devant son ambassade, mais il n’ignorait pas que l’Iranien était en affaires avec le nouveau patron de l’Eden.

— Mets-le dans le fleuve, comme d’habitude, ordonna-t-il.

Cela laisserait planer le doute. Quant à la petite pute russe, il la terroriserait assez pour qu’elle jure que l’Iranien l’avait abandonnée à la sortie de l’Eden.

* * *

Malko, stationné dans Nepfurdô utça, avait assisté à l’arrivée du taxi. Et, vingt minutes plus tard, à la sortie des deux Tchétchènes, traînant un gros sac qui avait terminé dans le coffre du taxi de Ferencz Korvin. Il n’éprouvait aucun remords de l’avoir envoyé au massacre. Le Pasdaran avait tué de sang-froid un Tchétchène désarmé, sans compter ce qu’il avait pu faire dans le passé. La CIA savait qu’il avait été « interrogateur » à la sinistre prison d’Evin, à Téhéran, et qu’il s’y était fait remarquer par sa cruauté.

En tous cas, sa disparition apportait un répit indispensable à Malko.

* * *

Zakra n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Elle se trouvait encore à l’Eden quand la Russe potelée — Swetlana — était revenue de sa brève sortie avec l’Iranien et ce que la fille lui avait raconté lui avait fait comprendre ce qui venait de se passer. En écoutant la respiration régulière de Pavel Sakharov, elle était morte de peur. Elle ne savait toujours pas qui il était réellement mais, dans l’ancienne Union soviétique, elle avait croisé beaucoup de « Pavel ». Capables de faire tirer à la mitrailleuse sur des femmes et des enfants, au nom du Parti. Déshumanisés.

Celui-là sortait bien du même moule… En plus glacial. Si jamais il se doutait de sa trahison, le sort de l’Iranien serait une partie de plaisir à côté du sien… Elle refrénait une furieuse envie de s’enfuir, quitte à perdre son futur passeport américain.

— A quoi penses-tu ?

La voix calme de Pavel lui envoya une telle décharge d’adrénaline dans les artères qu’elle fit un bond dans le lit. Elle le croyait endormi. Le Russe lui adressa un regard inquisiteur.

— Qu’est-ce que tu as ?

— Je faisais un cauchemar, bredouilla Zakra. Elle avait envie de crier à Pavel qu’elle ne voulait pas le trahir, qu’elle désirait seulement un beau passeport américain… Qui ferait d’elle un être humain à part entière.

— Dis-moi, fit le Russe, Swetlana avait l’air bien excitée hier soir. Qu’est-ce, qu’elle te racontait ?

Zakra crut qu’une main invisible lui comprimait le cœur. Ainsi, de son bureau, grâce aux caméras de télévision, Pavel l’avait observée. Elle avait une seconde pour répondre. Si elle disait « rien » et que la Russe parle, elle scellait son sort. Une fois, elle avait vu des Tchétchènes enfoncer de longues aiguilles dans les seins d’une « coupable » jusqu’à ce qu’ils ressemblent à des pelotes d’épingles.

— Il y a eu un incident, dit-elle. Grosny a vu que le type avec qui elle partait portait la montre de Stephan.

Pavel Sakharov ne fit aucun commentaire.

— Qu’a fait Grosny ?

— Il est parti avec ce type et un de ses copains. Je ne sais pas où.

— Tu diras à Grosny de venir me voir tout à l’heure, conclut Pavel Sakharov.

Mehdi Chimran raccrocha le téléphone, livide, le pouls à 130. Ainsi, Ishan Kambiz était mort ! Vraisemblablement assassiné. Un homme comme lui ne se jetait pas du dix-huitième étage sans qu’on l’y aide un peu. Ces salauds de Brésiliens, après tout le fric que l’Iran leur avait fait gagner, avaient étouffé le coup…

Un seul pays avait pu exercer des pressions suffisantes pour les faire taire : les États-Unis.

Donc, Mehdi avait en face de lui une manip de la CIA. Il avait dépêché à partir de Brasilia deux agents de la Savama qui avaient cuisiné le concierge de l’immeuble. Ils avaient pu ensuite pénétrer dans l’appartement. Tous ses papiers avaient disparu. Mehdi Chimran s’essuya le front. Aux yeux du gouvernement iranien, c’était lui le responsable financier de l’opération « Darius ». Lui qui avait signé le virement de cent millions de dollars à Ishan Kambiz. Qu’étaient-ils devenus ?

Il chercha à faire le point. Tout le ramenait à Budapest. C’était dans cette ville que Kambiz devait récupérer l’échantillon de plutonium 239 et que devait s’effectuer la livraison. Il n’ignorait pas non plus qu’il y avait une passerelle entre l’ambassade d’Iran à Budapest et leurs vendeurs potentiels. Donc, il devait coûte que coûte renouer le dialogue et fixer l’étendue des dégâts.

Il n’avait pas envie de prendre l’avion : trop repérable. Là où il se trouvait, à Istanbul où il était venu rencontrer le responsable du réseau turc des Hezbollah, il y avait des trains pour la Hongrie. C’était un moyen beaucoup plus discret que l’avion pour atteindre Budapest. Il se mit à rédiger un télégramme codé à transmettre aux Pasdarans de l’ambassade de Budapest. Mehdi Chimran arriverait par le train le lendemain soir et tenait à obtenir coûte que coûte un contact avec « l’autre côté ». Ils sauraient ce que cela signifiait.