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C’est à contrecœur que Mehdi Chimran allait entreprendre ce voyage. L’Iran avait utilisé Ishan Kambiz pour éviter les contacts directs trop compromettants.

Chimran jouait avec le feu.

Si la CIA interceptait un Iranien membre proche du gouvernement en train d’acheter du plutonium 239 à un Russe, les conséquences seraient dramatiques pour son pays. Il avait le choix entre la peste et le choléra… Son télégramme achevé, il alla prendre un taxi pour se rendre au consulat d’Iran.

Grosny et Djokhar, les deux Tchétchènes meurtriers de Cyrus Tadjeh, se balançaient sur leurs baskets, mal à l’aise devant le regard glacial de Pavel Sakharov. A eux deux, ils auraient pu le mettre en pièces sans difficultés, mais mentalement, ils en étaient totalement incapables. Êtres frustrés, habitués à être pris en charge, ils se sentaient perdus en Hongrie, loin de leur Caucase natal. Le remplacement de Karim — musulman comme eux — par Pavel Sakharov ne leur avait fait ni chaud ni froid.

Il leur fallait toujours un chef.

— Comment avez-vous su qu’il s’agissait de l’homme qui avait tué vos frères ? interrogea le Russe de sa voix douce.

— On nous l’a dit, répondit spontanément Djokhar, sans réfléchir.

— Qui ?

— L’étranger qui se trouvait avec Zakra.

— Ça vous a suffi ?

— Non, se hâta de dire Grosny, on a vu qu’il portait la montre de Stephan.

Pavel Sakharov réfléchissait. Il se moquait comme de son premier knout de la mort de l’Iranien. Mais il voyait désormais les choses sous un angle différent. Ce qui n’était qu’une méfiance diffuse s’accrochait maintenant à un fait concret. La dénonciation du messager des Iraniens à Grosny — qui ne pouvait mener qu’à son élimination brutale — avait un but limpide… Le soi-disant bras droit d’Ishan Kambiz ne voulait pas qu’il entre en contact direct avec les commanditaires.

Il leva les yeux et dit avec sévérité :

— Ne mentionnez à personne cette affaire ou cette conversation. Je vais voir ce que je décide. Si je vous garde ou si je vous renvoie chez vous.

Les deux Tchétchènes tournèrent les talons. Blessés. Une vengeance était quelque chose de normal. De sain, même. On ne devait pas en être puni.

Resté seul, Pavel Sakharov alluma un cigarillo. Cherchant à faire le point. Pourquoi le bras droit de Kambiz voulait-il éviter tout contact entre lui et les Iraniens ? Une explication toute simple lui venait à l’esprit :

L’intermédiaire facturait aux Iraniens le plutonium 239 beaucoup plus cher qu’il ne le lui achetait. Seulement, comment Herr Mùller savait-il que les assassins de Stephan lui avaient volé sa montre ? Et comment avait-il pu l’identifier ?

Zakra.

C’était la seule personne à pouvoir être au courant de ce détail et à être en contact avec Mùller. Il se frappa le front. Même pas ! Karim Nazarbaiev n’avait jamais vu le cadavre de Stephan. Donc, Mùller tenait cette information des Iraniens eux-mêmes.

Ce qui était plutôt rassurant. Un intermédiaire soucieux de préserver sa commission, même par des méthodes brutales, n’inquiétait pas Pavel Sakharov. Seulement, il ne pouvait demeurer dans le doute. Il appuya sur le bouton de son interphone.

— Gregor, j’ai besoin d’un service, annonça-t-il.

— Pas de problème, affirma l’Ukrainien dégingandé, ancien bras droit de Karim, passé sans états d’âme au service de Pavel.

— Il faut un contact avec les Iraniens.

— Je vais demander à Grosny… proposa l’Ukrainien.

Pavel le coupa.

— Non. Il y a eu un problème.

— Bien, je vais aller dans Vâci utça, fit l’Ukrainien. On va essayer de trouver le type qu’il faut.

— Parfait, approuva Sakharov. C’est urgent et je tiens à le voir moi-même. Je t’attendrai au café Anna, au début de la rue. Dans une heure.

Lorsque Gregor fut sorti, Pavel Sakharov prit son manteau de cuir et glissa dans la poche son Makarov automatique. Il valait mieux être prudent.

* * *

Alan Spencer était confronté à un dilemme délicat. Les télex en provenance de Langley s’amoncelaient sur son bureau. La centrale de renseignement abjurait l’Américain de mettre les services hongrois dans le coup et de procéder à un coup de filet sur la mafia russe.

— C’est idiot, objecta Malko. Il n’y a aucune charge sérieuse contre ce Pavel Sakharov. Et il n’est sûrement pas seul. Nous devons mener l’opération jusqu’au bout.

— Vous garantissez que l’on trouvera le plutonium 239 ?

— Logiquement, oui, affirma Malko. Zakra travaille pour moi maintenant. Je serai prévenu en cas de changement important.

— Elle peut se retourner à nouveau.

— C’est un risque, mais nous bénéficions d’une conjoncture géniale. Acheter du plutonium avec l’argent des ayatollahs.

— Vous jouez avec le feu, remarqua l’Américain. S’ils s’aperçoivent de quelque chose, ils vous liquideront. Il se leva.

— Je repars à l’hôtel.

Il était à peine arrivé au Hilton que le téléphone sonna. C’était Zakra.

— Il y a du nouveau, annonça-t-elle. Pavel essaie de joindre à nouveau les Iraniens.

Le vrai risque.

— Essaie d’en savoir plus.

La Kirghize avait déjà raccroché. Il ne restait plus qu’à attendre. Et à prier.

* * *

Tout en haut de la rue Vâci, juste avant la place Vôrôsmarty, le café Anna était jadis fréquenté par la bonne société hongroise. Maintenant, il était envahi par les changeurs arabes qui venaient y faire leurs comptes. Pavel Sakharov attendait devant l’étalage peu ragoûtant du libre-service.

Son cœur battit légèrement plus vite lorsque Gregor, accompagné d’un homme jeune de type moyen-oriental, poussa la porte du café et vint le rejoindre.

Gregor s’éloigna discrètement et l’inconnu s’assit.

— Je m’appelle Ali, annonça-t-il. On m’a transmis votre message. Cela tombe bien. Quelqu’un de notre organisation souhaite vous rencontrer.

— Qui ?

— Je n’ai pas le droit de vous dire son nom, mais il a un rang très élevé.

— Où ?

— Ce soir, à la gare de l’Est.

— Pourquoi à la gare de l’Est ? demanda le Russe, surpris.

— Il arrive de Turquie par le train.

— Comment vais-je le reconnaître ?

— Je vous accompagnerai, fit l’Iranien gonflé de son importance. Il faut être là-bas à huit heures.

— J’y serai, annonça le Russe en se levant. Il allait enfin savoir si Herr Mùller se moquait de lui.

Chapitre XVII

Malko allait sortir de sa chambre pour aller dîner lorsque le téléphone sonna. C’était la voix de Zakra, et parlant très bas.

— Il a rendez-vous à la gare de l’Est à huit heures, chuchota-t-elle. Je n’ai pas vu son chauffeur.

Elle avait déjà raccroché. Il était sept heures et la nuit finissait de tomber. Malko regarda sur le plan où se trouvait la gare de l’Est. Juste entre l’avenue Kerepesi et la rue Thôkôly. Au sud de Pest. Vingt minutes plus tard, il trouvait une place rue Thôkôly, en réalité une large avenue. Il soufflait de nouveau une bise glaciale. En face se dressait la masse sombre de la gare, vieillotte et délabrée. Il traversa. Des groupes d’Orientaux, pauvrement vêtus, traînaient autour des kiosques, offrant de la nourriture et diverses babioles. Il entra dans la gare, découvrant un hall où la moitié des carreaux étaient remplacés par des plaques de carton, éclairé par une verrière, et regarda le tableau d’arrivée des trains. Beaucoup venaient du sud de l’Europe. Un convoi arrivait d’Istanbul à 7 h 50. Des voyageurs attendaient un peu partout, assis sur des ballots. La rame qui se trouvait à quai semblait être là depuis la guerre 14-18… Tout cela sentait la crasse et la misère. Malko ressortit au bout des voies par l’issue de la place Baross. En face, s’ouvrait un escalier donnant sur une galerie marchande souterraine qui reliait la gare à la place Baross et à la rue Thôkôly.