— D’accord, admit Mehdi Chimran.
Les deux hommes se serrèrent la main chaleureusement. Contents de s’être retrouvés. Au moins ils se faisaient confiance…
Pavel Sakharov s’éloigna vers l’endroit où l’attendait sa Mercedes, de l’autre côté de la gare. Bouillonnant de rage. Il aurait aimé pouvoir déterrer Karim Nazarbaiev et l’éventrer de nouveau. Russe jusqu’au bout des ongles, il avait toujours méprisé les peuplades du Caucase, musulmanes, rétrogrades. L’expérience lui donnait raison. Jamais un vrai Slave ne se serait conduit ainsi… Tous les éléments du problème se bousculaient dans sa tête. Éliminer le faux bras droit d’Ishan était facile, mais cela ne supprimait pas tous les dangers. Cet homme ne travaillait pas seul. Sa disparition allait déchaîner ses commanditaires. La question était de savoir ce qu’ils pouvaient faire. Il hâta le pas. Dans le doute, il lui fallait couper tous les ponts derrière eux et se venger de Zakra, qui, de toute évidence, le trahissait. Il fallait trouver un endroit sûr pour mettre au point les derniers détails de l’échange avec l’Iranien. Quand tout serait fini, il repasserait clandestinement en Ukraine. A Beregovo, ce n’était pas encore trop dangereux. Pour l’instant le plus urgent était d’éviter la catastrophe. C’est-à-dire une action brutale et conjuguée des Américains et des Hongrois. Il avait besoin de quelques jours de tranquillité. Pour cela, une seule méthode : endormir ses adversaires.
Lorsqu’il regagna la Mercedes, son plan était au point dans les grandes lignes.
Malko finissait de se raser lorsque le téléphone sonna. C’était Zakra.
— Il veut te voir, annonça-t-elle. Il t’attend à la Citadelle dans une heure. Là où nous étions la première fois. Tu as pu le suivre ? Qu’a-t-il fait ?
— Il a rencontré un Iranien, dit Malko, mais je n’en sais pas plus. Sois sur tes gardes, il est possible qu’il apprenne pour Kambiz.
La veille, après sa planque, Malko avait dîné avec le chef de station de la CIA. Depuis, la Company travaillait fiévreusement à identifier l’homme aux cheveux blancs.
— Vous êtes sur un volcan, avait conclu Alan Spencer. Ils savent certainement pour Kambiz maintenant. Et donc pour vous. Il faut prévenir le NBH. Ils trouveront bien un prétexte pour arrêter Sakharov. Ensuite, il n’y aura plus qu’à le faire parler…
— Il ne parlera pas, affirma Malko. Et le plutonium 239 se trouve sûrement de l’autre côté de la frontière. Attendons la première livraison. Et remontons la filière.
— Ils vous liquideront avant.
— Je ferai attention. C’est le sort de Zakra qui m’inquiète.
— Hélas, je ne peux rien pour elle, éluda l’Américain.
Ils s’étaient quittés là-dessus. Maintenant, il y avait du nouveau. Malko fonça vers la place Szabadsag. Mis au courant du rendez-vous, Alan Spencer se rembrunit.
— C’est un piège. Un endroit trop isolé. Il ne faut pas y aller.
— Autant avouer tout de suite que j’appartiens à la CIA, répliqua Malko. Je crois que je peux encore prendre ce risque. Sakharov est trop malin pour se livrer à un acte aussi brutal. Il fera quelque chose de plus vicieux.
— Vous ne voulez pas que je prévienne les Hongrois ?
— Non.
Les lacets escaladant le mont Gellért étaient pratiquement déserts. Malko ne croisa qu’un gros bus jaune. Son cœur battit quand même plus vite en voyant, sur le parking où il avait flirté avec Zakra, la Mercedes de l’ex-général du KGB. Il se gara à côté et Pavel Sakharov sortit aussitôt.
— J’ai de bonnes nouvelles, dit-il avant d’entraîner Malko près du parapet, loin des oreilles indiscrètes.
Le Russe semblait calme. Il ébaucha même ce qui pouvait passer pour un sourire.
— Quelles nouvelles ?
Malko, sur ses gardes, surveillait la Mercedes où se trouvaient deux hommes. Dans la poche de son imperméable, il caressait la crosse de son pistolet extra-plat.
Prêt à tout.
— Je peux faire venir les premiers six kilos de plutonium 239 par la route, et vous les livrer ce soir, annonça Pavel Sakharov. Êtes-vous en mesure de les recevoir ?
— Bien sûr ! fit immédiatement Malko. Ainsi, les dés roulaient. Pavel Sakharov n’avait pas perdu de temps depuis sa rencontre avec l’homme aux cheveux blancs. Le rendez-vous qu’il proposait ne pouvait avoir comme but que l’élimination de Malko.
— Comment ce plutonium est-il conditionné ? demanda-t-il.
— Ce sont des lingots, enveloppés dans de l’aluminium. Ils se trouvent dans un attaché-case.
— Où a lieu le rendez-vous ? demanda Malko.
— Zakra viendra vous chercher au Hilton vers neuf heures et demie, expliqua Pavel Sakharov. Elle vous y conduira.
— A ce soir, donc.
Le Russe serra la main de Malko et regagna sa Mercedes qui démarra immédiatement. Malko, lui, prit tout son temps pour redescendre les lacets.
Il trouva ensuite une place en face du Palais de la Télévision et gagna à pied l’ambassade américaine.
— Nous avons identifié l’homme qui a rencontré Pavel Sakharov hier soir, annonça d’emblée Alan Spencer. Il s’agit du Dr Mehdi Chimran, diplômé en physique nucléaire de l’université de Berkeley en Californie. Il travaille avec le vice-président iranien Said Mohajerani, au sein du programme accéléré d’acquisition d’armement nucléaire. Il voyage avec un passeport iranien à un autre nom.
— Eh bien, j’ai aussi du nouveau, annonça Malko. Lorsqu’il eut terminé, le chef de station de la CIA posa quand même la question qui lui brûlait les lèvres :
— Il n’y a bien entendu aucune chance qu’il vous livre du plutonium 239 ce soir ?
— Une sur mille, répondit Malko, mais il faut aller au rendez-vous. Quel type de protection pouvez-vous m’assurer ?
— Les Hongrois, fit l’Américain. Cette fois je suis obligé de les mettre dans le coup. Leur dire qu’on va intercepter une livraison de plutonium.
— Je crains que tout cela ne se termine en eau de boudin, soupira Malko. Il n’y aura pas de plutonium et je doute que Sakharov prenne des risques personnels. Mais il faut aller à ce rendez-vous. C’est probablement une ruse pour lui permettre de filer aujourd’hui se mettre à l’abri en Ukraine.
Zakra attendait dans le hall, enveloppée dans sa houppelande d’astrakan, les traits sereins. Malko la rejoignit et l’entraîna vers la sortie de l’hôtel.
— Où est le rendez-vous ? demanda-t-il.
— Au bout du quai Ujpesti, avant le pont Arpad. La voie sur berge se termine par une rampe qui rejoint Nepfurdô utça. Mais le quai Ujpesti continue jusqu’à un petit bois. Souvent, des camions se garent là pour la nuit, au bord du Danube.
Ils prirent place dans la voiture de Malko. Ce dernier était « sonorisé » grâce à un micro dissimulé dans une fausse montre, dont l’émetteur se trouvait sous son manteau. Le récepteur permettant de recevoir les appels de la police hongroise était dissimulée dans la radio du tableau de bord. Quatre voitures banalisées de la police hongroise ne devaient pas le lâcher dès son départ du Hilton. N’intervenant que sur son ordre. Alan Spencer l’avait forcé à enfiler un gilet pare-balles en kevlar qui lui tenait horriblement chaud. Son pistolet extra-plat était dans la poche droite de son manteau, une balle dans le canon. Zakra, elle, semblait ne se douter de rien.
— Que t’a-t-il dit ? demanda Malko.
— Qu’il devait te remettre quelque chose. C’est du plutonium, n’est-ce pas ?
— Ce devait être du plutonium, corrigea Malko. Je crains que ce ne soit un piège. Comment était-il aujourd’hui ?