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Une demi-heure plus tard, Alan Spencer et Malko ressortaient du bâtiment futuriste juché sur le mont Gellért.

— Donc, conclut l’Américain, la police hongroise va annoncer à la presse qu’on a trouvé dans les débris de la Mercedes le corps non identifiable d’un homme. Une poignée de policiers sont au courant. Je pense qu’il n’y aura pas de fuites. Mais qu’est-ce que cela va vous apporter ?

— C’est simple, dit Malko. Pavel, me croyant mort, ne va pas changer ses plans. C’est-à-dire qu’il va livrer le plutonium aux Iraniens. Or, il ignore que nous avons repéré Mehdi Chimran. Si nous sommes assez malins, nous pouvons toucher le jack-pot.

— En le suivant ?

— Il y a même quelque chose de mieux à faire, suggéra Malko.

Il explosa son plan à l’Américain. Celui-ci n’en revenait pas.

— C’est diabolique, fit-il. Si ça marche.

— Ça devrait marcher, affirma Malko. Au pire nous récupérerons la livraison de plutonium.

— Et votre ami, la Kirghize ? Vous pensez pouvoir la récupérer ?

Le visage de Malko se rembrunit.

— J’espère qu’elle est encore vivante… Mais tant qu’on ne l’a pas localisée, on ne peut rien faire.

Un ange passa. Aucun des deux n’avait parlé de l’usine désaffectée de Révész utça à la police hongroise. C’était une planque possible pour Pavel Sakharov qui ignorait que Malko la connaissait. Il était relativement facile de la faire cerner et investir par la police hongroise. Seulement, cela mettait fin à leur manip, si le Russe s’y trouvait. Pour se déculpabiliser, Malko se répétait que, dans ce cas, Sakharov aurait dix fois le temps d’exécuter la jeune Kirghize…

Sacrifiée pour l’instant sur l’autel du plutonium 239.

Ils étaient arrivés à la villa du chef de station. Ce dernier installa Malko dans une chambre d’amis. Il eut du mal à trouver le sommeil. D’abord, il subissait le contrecoup de l’attentat. Ensuite, il pensa à Zakra avec nostalgie. Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé. Enfin, il se mit à passer son plan en revue. S’il réussissait, ce serait le plus beau coup de sa carrière.

Chapitre XIX

— Le voilà !

Les cheveux blancs de Mehdi Chimran venaient d’apparaître à la sortie du Park. L’Iranien regarda autour de lui et partit à pied vers le croisement de Mézô Imre et Thôkôly.

Le fourgon conduit par Tibor Zaïa démarra aussitôt, afin de ne pas le perdre de vue. A l’intérieur, Chris Jones annonça dans son Motorola :

— Il est sorti de l’hôtel, nous avons le contact en vue.

L’Opel grise conduite par Malko, avec Milton Brabeck à son côté, qui attendait devant la gare, se mit en branle à son tour. Presque aussitôt, la voix de Chris Jones éclata dans le récepteur.

— Il vient de monter dans un taxi. Il se dirige vers le Danube. Le numéro du taxi est : 4792.

Malko poussa une brève exclamation. C’était le véhicule de Ferencz Korvin, l’ancien policier du MVA travaillant avec les mafiosi russes. Ils étaient sur la bonne piste.

Leur planque fastidieuse finissait par payer, et le plan échafaudé par Malko entrait en œuvre. Comme prévu, les journaux hongrois avaient donné une large place à l’incident de la voiture piégée, l’attribuant à un conflit entre trafiquants russes et hongrois. Le corps n’ayant pu être identifié, l’enquête allait progresser lentement.

A l’heure où Malko se réveillait le lendemain matin chez Alan Spencer, Chris Jones et Milton Brabeck étaient déjà en route sur un Falcon 90 de la CIA pour venir prêter main-forte à Malko. Le chef de poste avait réactivé Tibor Zaïa qui leur avait trouvé un fourgon d’occasion. Un vieux Skoda au moteur encore solide. Quelques trous à la perceuse dans la tôle, un tabouret et des jumelles en avait fait un parfait véhicule d’observation. Le stringer de la CIA leur avait également procuré une Opel en plaques hongroises, plus anonyme qu’une voiture de location.

La police hongroise avait perquisitionné à l’Eden sans rien trouver. Pavel Sakharov, Zakra et les gardes du corps de l’ex-général du KGB avaient disparu. Malko et Alan Spencer s’étaient bien gardés de parler de l’usine désaffectée aux Hongrois. Leurs intérêts ne convergeaient pas. Il était possible que le Russe s’y soit planqué. Comme elle disposait de plusieurs sorties, c’était rassurant pour lui…

A peine les gorilles débarqués avec leur matériel, ils s’étaient mis au travail. Pendant deux jours, Mehdi Chimran n’avait quitté son hôtel que pour se rendre au restaurant… Et puis, cette fois, cela bougeait. Malko se dit que la police hongroise devait aussi suivre la planque, à bonne distance. Cela faisait beaucoup de monde derrière l’Iranien.

— Ils n’ont pas fait le ménage depuis un siècle, grommela Milton Brabeck en regardant les immeubles noirs de crasse qui bordaient l’avenue Ràkôczi.

— Un demi-siècle seulement, corrigea Malko.

— A côté d’ici, continua le gorille, New York, c’est aussi propre que Disneyland.

Il eut une brève crispation du visage et porta la main à son estomac.

— Putain ! Quand est-ce qu’on ira dans un pays avec de la bouffe normale !

La veille au soir, ils avaient dîné au Màtyàs Pince. L’oignon grillé à la louche et le paprika, mamelles de la cuisine hongroise, s’étaient révélés dévastateurs pour l’estomac des deux Américains.

— Rassurez-vous, fit Malko, grâce au Nouvel Ordre Mondial, bientôt la terre sera couverte de Mac Donalds et vous pourrez enfin voyager sans angoisse existentielle.

— Dieu vous entende, fit gravement Milton Brabeck. Ils ont des toilettes publiques dans ce bled ?

— Non, dit Malko.

Ils approchaient du pont Erzsébet. Ce n’était pas vraiment la direction de l’usine désaffectée.

— Ils franchissent le pont, annonça Chris Jones. Ils tournent à gauche. On a du mal à les suivre, à cause des trams.

* * *

Zakra, ankylosée, essaya en vain de se retourner sur le côté. Depuis près de trois jours, elle n’avait pas bougé de ce lit de fer où elle était attachée par de larges bandes de tissu adhésif. Pas besoin de bâillon : la pièce où elle se trouvait n’avait qu’une porte, tout au bout du couloir, au sous-sol de l’usine désaffectée. Elle avait encore la tenue qu’elle portait trois jours plus tôt : une robe de lainage avec des bas jarretières. Sa pelisse gisait dans un coin. Deux fois par jour, un Tchétchène lui apportait à manger.

Tout avait commencé le soir du deuxième rendez-vous. Pavel l’avait emmenée en voiture. Ils s’étaient arrêtés à la sortie du pont Arpad. A dix heures pile, le Russe avait dit à Zakra :

— Regarde bien l’endroit où tu étais avec ton ami américain l’autre soir.

Rien que le mot « américain » l’avait glacée. Donc, il savait ! Quelques secondes plus tard, l’explosion de la voiture piégée avait fait trembler les structures métalliques du pont. La voix glaciale de Pavel Sakharov avait achevé de démoraliser Zakra.

— Tu m’as trahi. Je sais tout.

Sans un mot de plus, ils avaient pris le chemin de Révész utça. Zakra essayait de dissimuler la terreur qui l’envahissait. Ils allaient la tuer. Comme l’Iranien. Quand ils étaient sortis de la Mercedes, ses jambes se dérobaient sous elle. Un des Tchétchènes l’avait empoignée et traînée jusqu’à la porte en fer.

Et puis rien ne s’était passé…

On l’avait simplement attachée aux quatre montants du lit de fer. Elle ne comprenait pas pourquoi Pavel ne l’avait pas tuée. Vers trois heures du matin, la porte s’était ouverte. C’était le Russe. Là encore, elle pensait qu’il venait la tuer. Mais il s’était couché sur elle sans un mot, avait écarté ses vêtements et lui avait fait l’amour sans un mot, avec une sorte de fureur, si violemment qu’il l’avait blessée tant elle était contractée. Il sentait la vodka et était reparti comme il était venu. Elle ne l’avait pas revu depuis.