— Foutez le camp ! Vous me prenez pour une balance ? Malko ne se troubla pas. Sortant une liasse de billets, il la jeta sur le lit à côté du Hongrois.
— Il y a cinq mille dollars, commenta-t-il. En forints, cela fait beaucoup d’argent. Je vous écoute.
Korvin glissa quand même un regard oblique vers la liasse, avant de grommeler :
— Foutez le camp, répéta-t-il. Malko secoua la tête.
— Je crois que vous n’avez pas compris, Mr. Korvin. Votre choix est très limité. Ou vous prenez cet argent et vous me dites ce que je veux savoir, ou bien vous allez passer des moments désagréables qui vont se terminer par une fin prématurée.
Il désigna Milton en train de caresser paisiblement l’énorme silencieux de son Beretta 92.
— La procédure standard, continua Malko, consiste à vous briser d’abord les deux genoux. Comme ces deux projectiles ont tendance à éclater, vos ménisques seront fichus. Donc, si vous décidez de collaborer après cette petite épreuve, vous seriez quand même invalide. Ensuite, lorsque vos coudes auront subi le même traitement, mon ami se verra contraint de vous mettre quelques balles dans la tête… Vous voyez que vous avez tout intérêt à nous parler. Et vous n’aurez même pas à craindre les représailles de Pavel. La bonne action que vous allez faire restera entre nous.
Il se tut et un épais silence s’abattit sur la petite pièce. Milton Brabeck se gratta la gorge, échangea un regard avec Malko, leva son pistolet et ramena le chien extérieur en arrière.
Le « clic » métallique fit sursauter Ferencz Korvin. Il s’ébroua, regarda Malko, le canon de l’arme, puis les yeux de Milton Brabeck et conclut vraisemblablement qu’il ne fallait pas jouer avec le feu. — Bistoch ! fit-il. Je vais tout vous raconter. L’ancien flic du MVA était peut-être une ordure, mais il était doué pour la survie.
Chapitre XX
— Ils ont parlé d’un rendez-vous. Ce soir, vers onze heures et demie.
La tête entre ses mains, Ferencz Korvin parlait si bas qu’il en était presque inaudible. Il se gratta la panse et demeura silencieux, jetant un coup d’œil torve aux trois hommes. Sans un mot, Chris Jones se déplaça pour ouvrir une fenêtre donnant sur une cour intérieure. L’odeur du taudis était vraiment insupportable.
— Un rendez-vous où ?
— A Harmashatarhegy.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un ancien terrain d’aviation, à l’ouest de la ville.
— Écrivez-moi le nom, demanda Malko. Ferencz Korvin s’exécuta sur un bout de papier qu’il tendit à Malko. Ce dernier en savait assez.
— Venez, dit-il au Hongrois.
Celui-ci leva un regard glauque sur lui.
— Où ?
— Avec nous.
— Pour quoi faire ?
Il s’était ramassé sur lui-même, comme pour bondir. Malko lui adressa un sourire suave.
— Je veux vous éviter les tentations, Korvin Ferencz. Quand on trahit une fois, on peut trahir deux fois. Vous n’avez rien à craindre, je vous relâcherai durant la nuit. Quand cette affaire sera terminée. Ça vaut mieux que de vous faire taire définitivement ici…
Les petits yeux du Hongrois se posaient alternativement sur les trois hommes. Milton et Chris semblaient l’impressionner particulièrement. Finalement, il se leva avec un grognement, mit sa casquette et son blouson. Milton Brabeck avait toujours son Beretta 92 prolongé par le silencieux à bout de bras. Il sortit le premier et prit place dans le couloir.
La descente se passa sans encombre. Sous le porche, Malko fit une courte halte.
— Nous allons vous emmener dans un fourgon, expliqua-t-il. Pour plus de sûreté, vous y serez attaché.
Ferencz Korvin était trop secoué pour résister. Il suivit docilement Chris Jones quand le gorille l’entraîna par le bras. Le fourgon, avec Tibor Zaïa au volant, se trouvait à vingt mètres. Le Hongrois y monta par l’arrière et Chris ouvrit sa mallette métallique, en sortant un gros rouleau de ruban adhésif. Cinq minutes plus tard, l’ancien policier du MVA était transformé en saucisson, assis par terre au fond du fourgon. Malko passa à l’avant.
— Vous connaissez un endroit qui s’appelle Harmashatarhegy ? demanda-t-il à Tibor.
Le Hongrois se creusa la tête quelques secondes avant de répondre.
— Oui. C’est hors de la ville. Un petit terrain d’aviation qui sert l’été à des vols de planeurs, entouré de collines.
— Je voudrais y aller. Pendant qu’il fait encore jour.
Ils firent demi-tour sur l’avenue Andrâssy pour retraverser le Danube, contournant la colline du Château pour s’engager dans une grande avenue filant vers l’ouest, Szilâgyi Erzsébet, et passant devant la tour du Budapest Hôtel.
L’avenue changea de nom, devenant Vôrôs Hadsereg. Peu à peu, les maisons s’espaçaient.
— Voilà l’asile psychiatrique de Budapest, annonça Tibor, désignant un grand parc sur la gauche.
Ils montèrent encore, tournant à droite et, brutalement, se retrouvèrent en pleine campagne. Ce n’était plus qu’un chemin de terre qui se terminait en cul-de-sac, à côté de plusieurs hangars en mauvais état. Tibor arrêta le fourgon et désigna une colline en face d’eux, hérissée d’antennes.
— C’est le mont Harmashatar, expliqua-t-il. Il y a des relais de communication de l’armée.
Devant eux s’étalait une cuvette sans végétation, encastrée entre les collines. L’endroit était parfait pour poser un petit avion ou un hélicoptère, le plus proche voisin se trouvant à plus d’un kilomètre.
— Bien, dit Malko, retournons en ville.
Comme prévu, Alan Spencer avait campé dans son bureau, mangeant des sandwiches. Il écouta avec une attention passionnée le récit de Malko, avant de se renverser en arrière dans son fauteuil.
— Donc, vous voulez appliquer votre plan ? demanda-t-il.
— Absolument, dit Malko. Vous y voyez une objection ?
— Non, avoua l’Américain, mais…
— Vous craignez un contretemps ? Je suis d’accord pour mettre les Hongrois sur le coup, à condition qu’ils demeurent discrets jusqu’à la dernière seconde et qu’ils n’agissent que sur mon ordre.
— Je pense que je peux obtenir ça, fit le chef de station de la CIA.
— Alors, faites les derniers préparatifs, suggéra Malko.
Il y eut un long moment de silence, puis Alan Spencer se dirigea vers son coffre.
Pavel Sakharov fumait un cigarillo, exhalant lentement la fumée pour regarder les volutes bleues monter vers le plafond. Il avait beaucoup réfléchi depuis deux jours, enfermé dans l’usine désaffectée, lorsqu’il ne s’occupait pas de mettre au point ses derniers préparatifs. Il restait deux heures à tuer et il se repassait mentalement tous les détails de l’opération.
L’hélicoptère arriverait vers onze heures trente et redécollerait quelques minutes plus tard. Étant donné l’altitude à laquelle il volait, il y avait peu de chances qu’il soit intercepté par les radars. De toute façon, personne n’aurait le temps de réagir. Il serait déjà en Ukraine lorsque les Hongrois donneraient l’alerte. Avec Pavel Sakharov à bord. Regagnant sa base à côté de Beregovo. Le patron de l’escadrille était un ami de Pavel, avec une solde misérable. Pour cinq cents dollars, il mettait un hélico à sa disposition.
Pavel, lui, allait toucher infiniment plus. Cent vingt millions de dollars avec ce que l’agent de la CIA lui avait déjà remis. Il pouvait vivre tranquille jusqu’à sa mort…
Il avait décidé d’arrêter là l’opération. Tant pis pour le plutonium 239 qu’il avait soustrait à l’usine de Tcheliabinsk et qui dormait bien au chaud, près de Beregovo. Représentant six cent quatre-vingt millions de dollars ! C’était dur d’abandonner une somme aussi colossale, mais continuer eut été de la folie. La liquidation de l’agent de la CIA lui avait donné un peu de répit, mais cela ne durerait pas… Tandis que là, c’était simple. Une fois à Beregovo, il s’évanouissait dans la nature et personne ne le retrouverait. Tout était prévu.