Il restait un seul problème à régler : Zakra. La jeune Kirghize était toujours dans la pièce voisine.
Le choix de Pavel était simple. Soit la liquider, soit l’emmener. La sagesse commandait la première solution. Mais, inexplicablement, Pavel, qui d’habitude était froid comme un poisson mort sur le plan affectif, n’arrivait pas à rayer la jeune femme de son esprit. Peu à peu, il s’était fait à l’idée de l’inclure dans sa nouvelle vie. Il ne trouverait pas facilement une créature pareille. Et au moins, avec elle, il savait à quoi s’en tenir. L’idée de se servir à nouveau de cette sublime salope lui embrasait le ventre. Il se leva, éteignit son cigarillo et passa dans la pièce voisine. Le regard de Zakra se posa sur lui, plein d’angoisse. Il se pencha et dit simplement :
— Nous partons.
Le fourgon dissimulant Milton Brabeck se trouvait à moins de dix mètres quand Mehdi Chimran était venu récupérer la Mercedes à plaque diplomatique. Malko était un peu plus loin, avec Chris Jones. Le convoi des trois véhicules avait traversé Pest et ensuite Buda d’est en ouest. Sachant où l’Iranien se rendait, il était possible à ses suiveurs de conserver une distance décente. A plusieurs reprises, Malko avait cru déceler des véhicules de la police hongroise, sans en être sûr. Alan Spencer les avait prévenus et ils devaient être là.
Maintenant l’Iranien montait Vôrôs Hadsereg, conduisant très lentement. Il était seul, ralentissait souvent. Arrivé en haut de la côte, il s’arrêta, continua, revint sur ses pas et, finalement, s’engagea dans Gluck Frigyes, le petit chemin menant au terrain.
Tibor Zaïa s’arrêta : c’était impossible, même la nuit, de ne pas se faire repérer. Il suivit des yeux les feux rouges de la Mercedes, jusqu’à ce qu’elle stoppe en face d’un hangar. En tournant, ses phares éclairèrent un autre véhicule qui se trouvait déjà là : une autre Mercedes sombre.
Malko rejoignit le fourgon.
— Il n’y a plus qu’à attendre, dit-il, le terrain est bouclé de tous les côtés.
Sans parler de deux Mig 21 des forces aériennes hongroises prêts à décoller sur l’aéroport militaire de Budapest. Il était à peu près sûr que Pavel Sakharov allait utiliser un hélico. Celui-ci avait au moins trente minutes de vol pour rejoindre la frontière de l’Ukraine et c’était suffisant pour l’intercepter.
Vingt minutes s’écoulèrent. Le silence était absolu et les ampoules rouges des pylônes de radio clignotaient sur le mont Harmashatar. Un faible ronflement se fit entendre, au nord. Il s’amplifia, faisant place au chuintement saccadé caractéristique des pales d’un hélicoptère. Cependant Malko eut beau écarquiller les yeux, il ne vit pas la machine qui volait évidemment tous feux éteints. Il distingua seulement une masse plus sombre que le sol au moment où l’appareil se posait. Juste à côté des deux voitures. Les pales continuaient à tourner, émettant un sifflement léger. Malko tentait en vain de percer l’obscurité.
Puis, derrière lui, il y eut un bruit léger. Une voiture venait de s’arrêter derrière la sienne. Il en sortit le colonel Sandor Simon, le visage sévère.
— Nous allons intervenir tout de suite ! annonça le Hongrois. Avant que l’hélico ne reparte.
— Attendez, dit Malko.
— Pourquoi ?
— Je ne peux pas encore vous le dire.
L’officier hongrois secoua la tête.
— Impossible. J’ai des ordres. S’ils s’échappent, je suis responsable. Il portait la main à son talkie-walkie quand Malko braqua sur lui son pistolet extra-plat.
— Colonel, dit-il calmement, je vous demande un tout petit peu de patience.
Suffoqué, l’officier hongrois demeura figé sur place. Intérieurement, Malko comptait les secondes, priant le ciel pour ne pas s’être trompé.
Le chuintement des pales du Ml 26 forçait à crier pour se faire entendre. L’air brassé transformait les cheveux blancs de Mehdi Chimran en une crinière ébouriffée. Les mains dans les poches de son manteau, il vint au-devant de Pavel Sakharov qui émergeait de sa Mercedes où était demeurée Zakra. Ses deux Tchétchènes l’encadraient.
A bord de l’hélico, en dehors des pilotes, il n’y avait que deux civils, armés de Kalachnikovs.
— Vous avez le métal ? demanda Mehdi Chimran, quand même impressionné.
— Vous avez l’argent ? répliqua Pavel Sakharov.
— Oui, voilà.
L’Iranien tira de sa poche une feuille pliée en quatre. Un ordre de virement irrévocable de soixante millions de dollars sur une banque suisse. Le Russe l’examina longuement à la lueur d’un gros briquet avant de mettre le papier dans sa poche.
— Parfait, dit-il.
Il se dirigea vers l’hélico et prit dans la cabine de pilotage un « diplomat » noir. Il le tendit ensuite à Mehdi Chimran.
— La prochaine livraison aura lieu dans deux jours, annonça-t-il.
L’Iranien alla ouvrir le coffre de sa voiture. Avec soin, il s’apprêta à poser le « diplomat » au fond de son coffre.
Il n’eut pas le temps de finir son geste. Un éclair bleu éblouissant, tellement puissant qu’il illumina toute la scène et le paysage à cent mètres à la ronde, jaillit du coffre, comme si la foudre avait frappé. En même temps le « diplomat » qu’il venait de poser sauta en l’air, le coffre se rabattit vers la lunette arrière, et un second « diplomat » apparut au fond, le couvercle arraché.
L’obscurité retomba. Cependant, tous ceux qui se trouvaient là avaient gardé, imprimée sur leur rétine, cette tache bleue qui sortait de nulle part.
Tétanisé, Mehdi Chimran regardait les deux « diplomat » éventrés et les lingots de plutonium 239 répandus dans le coffre, sans réagir. Pavel Sakharov, encore sous le choc, s’approcha de lui :
— Que s’est-il passé ?
L’éclair bleu découpa en ombres chinoises les policiers hongrois massés derrière Malko, ils se trouvaient pourtant à près d’un kilomètre. Le colonel hongrois, toujours sous la menace du pistolet extra-plat, s’exclama :
— Qu’est-ce que cela ?
— Je viens de vous sauver la vie, dit Malko. Maintenant vous pouvez agir.
Il avait abaissé son arme, et, la vision encore troublée, essayait de distinguer ce qui se passait au loin. Son plan avait fonctionné exactement comme prévu. En fin de journée, il avait récupéré dans le coffre d’Alan Spencer le « diplomat » contenant les six kilos de plutonium 239 remis à lui par Pavel Sakharov.
Chris Jones avait ouvert, grâce à sa trousse, le coffre de la Mercedes diplomatique et y avait dissimulé le premier « diplomat » remis à Malko par Pavel Sakharov, contenant les six kilos de plutonium 239. Lorsque Mehdi Chimran avait posé dessus le second « diplomat », contenant lui aussi six kilos de plutonium 239, l’addition des deux masses et leur rapprochement avait provoqué un « incident de criticité ». La masse critique étant dépassée, la mise en contact des deux masses de plutonium 239 avait provoqué un dégagement de neutrons, de chaleur et de rayons gamma.
La chaleur avait violemment écarté les deux masses, empêchant la réaction nucléaire de s’enclencher, les neutrons et les rayons gamma avaient projeté dans un rayon de cinquante mètres des radiations mortelles. En plus, les rayons gamma, en ionisant l’air, avaient créé l’étrange lueur bleu-violet. L’intensité des radiations avait atteint pendant quelques fractions de seconde près de 1000 « rads », la dose létale étant de 500…