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— Pourquoi Budapest ?

— Nous sommes à trois cents kilomètres de Beregovo, la ville frontière de l’Ukraine. Toute la mafia de Kiev s’est ruée sur le gâteau hongrois : prostitution, armes, drogue, racket. Budapest a toujours été une plaque tournante du terrorisme moyen-oriental. Certes, les nouveaux services collaborent avec nous, mais les Libyens, les Iraniens ou les Irakiens ont gardé des réseaux ici. Et comme leurs anciens « correspondants » se sont fait démobiliser sur place…

Tout en parlant, Alan Spencer jouait distraitement avec la boîte contenant le plutonium 239.

— Les assassins de ce Russe ont été identifiés ? s’enquit Malko.

— Non, avoua l’Américain. J’ai seulement un indice, ignoré de la police hongroise. Grâce à un de nos meilleurs stringers, Tibor Zaïa. Il a débuté dans le journalisme, c’est là qu’il a été recruté. C’est un champion de « full-contact », ce qui lui permet de fréquenter tous les voyous du coin.

Le « full-contact » est à la boxe ce que la bombe atomique est à la fronde. Destiné à réduire un adversaire en pulpe à mains nues.

— Le soir du meurtre, une michetonneuse hongroise a eu une aventure bizarre. Un client du Hilton l’a levée dans le hall de l’hôtel et emmenée dans sa voiture pour une rapide gâterie.

— Banal, remarqua Malko, se souvenant des meutes de putes qui erraient dans tous les hôtels de Budapest du temps des communistes.

— Absolument, reconnut Alan Spencer, un peu pincé. Seulement son client, après sa prestation, l’a jetée hors de sa voiture avenue Andrâssy et elle l’a vu démarrer en direction du parc Varosliget.

— Et alors ?

— Le triple meurtre a eu lieu non loin de là, environ à la même heure.

— Ça ne suffit pas comme recoupement, remarqua Malko.

— Attendez ! La pute a relevé le numéro de la voiture. C’était une plaque autrichienne. J’ai fait faire une enquête à Vienne. La Mercedes avait été louée le matin du meurtre, à l’arrivée d’un des quatre vols quotidiens d’Air France. Par un homme portant un passeport chypriote, au nom de Walid Sarkan. C’est également sous ce nom qu’il est descendu au Hilton pour une nuit. En payant cash.

« Première bizarrerie, continua l’Américain, il n’y avait personne de ce nom sur le vol Air France de Paris. Nous avons vérifié les autres aussi. Maintenant la compagnie a des vols plus nombreux avec des appareils plus petits.

— L’heure de la location peut être une coïncidence…

— D’accord ! Mais le même homme a rendu cette voiture le lendemain au même endroit, à l’aéroport de Vienne. Or, j’ai fait vérifier par la station de Vienne toutes les listes de passagers quittant l’Autriche. Il n’y a aucun Walid Sarkan…

— Évidemment, c’est troublant, reconnut Malko. Il serait donc reparti sous un autre nom ? Vous avez son signalement ?

— Oui, par la pute, les employés du Hilton et le loueur de voiture. Type oriental, petit, rondouillard, chauve, visage avenant, yeux très vifs. Une moustache. Cela correspond exactement au signalement que nous possédons d’Ishan Kambiz.

— Et aussi à quelques milliers de Moyen-Orientaux.

— Bien sûr, admit l’Américain. S’il n’y avait que le « Red Mercury », je ne m’exciterais pas, mais il y a l’échantillon de plutonium 239… Quant à ce mystérieux voyageur, il est apparu en Autriche et l’a quittée comme s’il était venu d’une autre planète.

— Vous n’avez aucun moyen de recoupement sur ce Kambiz ? Il habite bien quelque part ? L’Américain émit un soupir découragé.

— Vous plaisantez ! Il a des domiciles en Syrie, à Téhéran, à Londres, à Francfort, en Suisse, à Beyrouth, à Rio. Il est pratiquement intraçable. Même le Mossad ne sait pas où il se trouve.

— Tout cela est bien mystérieux, reconnut Malko. Mais si ce Kambiz a vraiment tué les trois Russes, pourquoi n’a-t-il pas pris cet échantillon de plutonium ?

— Je n’en sais rien, avoua Alan Spencer. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est que ce plutonium est d’origine soviétique.

— Comment pouvez-vous le savoir ?

— Ne me le demandez pas ! s’exclama Alan Spencer. Je ne comprends rien à ces trucs techniques. Mais j’ai envoyé cet échantillon se faire analyser. Or, chaque usine dans le monde qui fabrique du plutonium a une « signature ». Son taux d’impuretés. En comparant les différents échantillons des usines du monde occidental et de Chine, les experts ont déduit que celui-ci venait d’Union soviétique. Dès que nous aurons des échantillons de là-bas, nous pourrons affiner et découvrir s’il sort de Tcheliabinsk 65 ou de Krasnoïark 45… Si c’était du plutonium de chez nous, on aurait pu dire de quel réacteur il était sorti et en quelle année…

C’était époustouflant…

Le chef de station de la CIA conclut :

— Il faut savoir si Ishan Kambiz est dans ce coup. Je préférerais encore que ce soient les Libyens.

— Pourquoi ?

— Les Libyens n’ont pas la capacité industrielle à l’heure actuelle pour construire une bombe nucléaire. Même bricolée. Et si nous savions qu’ils se livrent à ce petit jeu, il est facile de leur taper dessus. Même cas de figure avec les Irakiens. Nous sommes à pied d’œuvre. Tandis que l’Iran… Nous essayons actuellement de localiser Ishan. De votre côté, vous allez remonter l’autre bout de la piste.

— C’est-à-dire ?

— Le Russe qui a été tué faisait partie d’un réseau de trafiquants. Il faut le pénétrer. J’ai reçu des ordres de Langley dans ce sens. A la suite d’une réunion spéciale du CNS, le Président a signé un finding dans ce sens. C’est une priorité absolue.

— Comment vais-je m’introduire dans ce milieu ? demanda Malko. Les mafiosi russes ne doivent pas crier sur les toits qu’ils ont du plutonium à vendre.

— En vous faisant passer pour un acheteur, bien sûr, expliqua l’Américain. Mais cela demande un peu de préparation. J’ai déjà pris contact avec mon homologue du KGB, Serguei Oulanov. Sur ce sujet, il collabore totalement. Il a des ordres de, Moscou. Boris Eltsine veut montrer qu’il est sérieux pour qu’on le noie sous les dollars. Il va vous briefer sur la mafia russe locale. Il a commencé à se renseigner. Vous avez rendez-vous pour déjeuner dans un restaurant de la vieille ville, le Margitkert. Il vous attend à une heure, à la table du fond. Il portera une cravate verte.

Décidément, les temps avaient bien changé…

— Vous pensez que cela suffira ?

— Sûrement pas ! répliqua vivement Alan Spencer. Il ne veut pas se mêler de trop près à cette affaire et je ne lui ai pas tout dit. Mais il a encore des tas de connexions sur le plan local. N’oubliez pas que toutes ces mafias travaillent la main dans la main avec d’anciens officiers du KGB qui se sont mis à leur compte. Ce qui n’est pas bien vu par le KGB officiel. De son côté, notre stringer essayera de vous mettre le pied à l’étrier.

Décidément, la CIA aurait fait jouer tous les rôles possibles à Malko. Ce dernier se permit un sourire ironique.

— Si vos mafiosi se rendent compte que je ne suis pas un vrai acheteur, termina Malko, ils me liquideront sans avertissement.

— C’est effectivement possible, reconnut l’homme de la CIA. Vous avez le droit de refuser.

Un ange brandissant un énorme paquet de factures traversa le bureau. C’était la fin de l’hiver et, comme chaque année, le château de Liezen exigeait son tribut en réparations. Elko Krisantem, le fidèle majordome de Malko, avait beau traiter les corps de métier et les divers fournisseurs avec la sauvagerie d’un maître de galères, il fallait quand même payer. Sans compter les caprices de la pulpeuse Alexandra, attirée par les bijoux comme les ours par le miel.