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Angélique frissonna et serra autour d'elle son ample cape de soie brune.

– Je ne vois rien qui puisse motiver cet acharnement. Pourquoi voudrait-on me tuer ?

Dans un éclair, la vision du coffret au poison passa devant ses yeux. Ce secret, elle ne l'avait partagé qu'avec Joffrey. Était-il possible qu'on se préoccupât encore de cette vieille histoire ?

– Partons, madame, répéta Margot d'une voix pressante.

À ce moment, le bruit d'un pas résonna dans la galerie. Angélique ne put s'empêcher de tressaillir nerveusement. Quelqu'un s'approchait. Angélique reconnut le chevalier de Lorraine, portant un flambeau à trois bougies. Les flammes éclairaient son visage très beau, dont l'expression affable démentait mal une expression hypocrite et tant soit peu cruelle.

– Son Altesse Royale s'excuse infiniment, dit-il en s'inclinant. Elle a été retardée et ne pourra se rendre ce soir au rendez-vous qu'elle vous a donné. Voulez-vous que la chose soit reportée demain à la même heure ?

Angélique était affreusement déçue. Elle accepta cependant le nouveau rendez-vous. Le chevalier de Lorraine lui dit que les portes des Tuileries étaient fermées ; il allait les conduire jusqu'à l'autre extrémité de la grande galerie. Là, en sortant par un petit jardin qu'on appelait le Jardin de l'infante, elles seraient à quelques pas du Pont-Neuf. Le chevalier de Lorraine marchait en tenant haut son flambeau. Ses talons de bois résonnaient lugubrement sur le dallage. Angélique voyait passer dans les vitres noires leur petit cortège, et ne pouvait s'empêcher de lui trouver quelque chose de funèbre. De temps à autre, on croisait un garde, une porte s'ouvrait et un couple en sortait, rieur. On apercevait un salon brillamment éclairé, où la société jouait gros et petit jeu. Un orchestre de violons, quelque part derrière une tenture, laissa flotter longtemps sa mélodie aigrelette et douce.

Enfin l'interminable marche parut prendre fin. Le chevalier de Lorraine s'arrêta.

– Voici l'escalier par lequel vous allez descendre dans les jardins. Vous trouverez immédiatement sur votre droite une petite porte et quelques marches, et vous serez hors du palais.

Angélique n'osait dire qu'elle était sans voiture, et d'ailleurs le chevalier ne s'en informait pas. Il s'inclina avec la correction de quelqu'un qui a terminé son service et s'éloigna.

Angélique saisit de nouveau le bras de la servante.

– Dépêchons-nous, Margot, ma chère. Je ne suis pas peureuse, mais cette promenade nocturne ne m'inspire aucunement.

Elles commencèrent à descendre en hâte les marches de pierre.

*****

Ce fut son petit soulier qui sauva Angélique. Elle avait tant marché toute la journée que la fragile bride de cuir, brusquement, céda. Lâchant sa compagne à mi-chemin de l'escalier, elle se pencha pour essayer de la réparer. Margot continua de descendre.

Tout à coup un cri atroce monta de l'ombre, un cri de femme frappée à mort.

– Au secours, madame, on m'assassine... Fuyez !... Fuyez !

Puis la voix se tut. Un gémissement affreux se prolongea, s'affaiblit. Glacée d'épouvanté, Angélique sondait en vain le puits obscur où s'enfonçaient les marches blêmes. Elle appela :

– Margot ! Margot !

Sa voix résonna dans un silence profond. L'air frais de la nuit parfumée par les orangers du jardin venait jusqu'à elle, mais plus un bruit ne s'élevait. Frappée de panique, Angélique remonta précipitamment et retrouva les lumières de la grande galerie. Un officier y passait. Elle se précipita vers lui.

– Monsieur ! Monsieur ! au secours. On vient de tuer ma servante. Elle reconnut un peu tard le marquis de Vardes, mais dans son effroi il lui parut providentiel.

– Hé ! c'est la femme en or, fit-il remarquer de sa voix ricanante, c'est la femme aux doigts lestes.

– Monsieur, le moment n'est pas au badinage. Je vous répète qu'on vient d'assassiner ma servante.

– Et après ? Vous ne voudriez pas que j'en pleure ?

Angélique se tordait les mains.

– De grâce, il faut faire quelque chose, chasser les malandrins qui se cachent sous cet escalier. Elle n'est peut-être que blessée ?

Il la regardait en continuant de sourire.

– Décidément vous me semblez moins arrogante que la première fois que nous nous sommes rencontrés. Mais l'émotion ne vous va pas si mal.

Elle fut sur le point de lui sauter au visage, de le frapper, de le traiter de lâche. Mais elle entendit le glissement de l'épée qu'il tirait tout en disant nonchalamment :

– Allons voir cela.

Elle le suivit, essayant de ne pas trembler, et redescendit près de lui les premières marches.

Le marquis se pencha par-dessus la balustrade.

– On ne voit rien, mais on sent. Le fumet de la canaille ne trompe guère : oignon, tabac et vin noir des tavernes. Ils sont bien quatre ou cinq à grouiller en bas.

Et, lui saisissant le poignet :

– Écoutez.

Le bruit d'une chute dans l'eau, suivie d'une retombée d'éclaboussures, troua le silence morne.

– Voilà. Ils viennent de jeter le corps dans la Seine.

Tourné vers elle, les yeux à demi fermés comme s'il l'étudiait avec une attention de reptile, il continuait :

– Oh ! l'endroit est classique. Il y a par là une petite porte qu'on oublie souvent de fermer, parfois volontairement. C'est un jeu pour qui le veut d'y poster quelques tueurs à gages. La Seine est à deux pas. L'affaire est vite menée. Tendez l'oreille un peu, vous les entendrez chuchoter. Ils ont dû s'apercevoir qu'ils n'ont pas frappé la personne qu'on leur avait recommandée. Vous avez donc de grands ennemis, ma toute belle ?

Angélique serrait les dents pour les empêcher de claquer.

Elle réussit à dire enfin :

– Qu'allez-vous faire ?

– Pour l'instant, rien. Aucune envie d'aller mesurer mon épée avec les rapières rouillées de ces malandrins. Mais d'ici une heure des suisses vont venir prendre la garde dans ce coin. Les assassins déguerpiront, à moins qu'ils ne se fassent pincer. De toute façon, vous pourrez alors passer sans crainte. En attendant...

La tenant toujours par le poignet, il la ramena dans la galerie. Elle le suivait machinalement, la tête bourdonnante.

– Margot est morte... On a voulu me tuer... C'est la deuxième fois... Et je ne sais rien, rien... Margot est morte...

Vardes l'avait fait entrer dans une sorte de renfoncement du mur garni d'une console et de tabourets, et qui devait servir d'antichambre à un appartement voisin. Posément, il remit son épée au fourreau, détacha son baudrier et le posa ainsi que l'arme sur la console. Puis il s'approcha d'Angélique.

Elle comprit subitement ce qu'il voulait et le repoussa avec horreur.

– Quoi, monsieur, je viens d'assister au meurtre d'une fille pour laquelle j'avais de l'attachement, et vous croyez que je consentirais...

– Je me moque que vous consentiez ou non. Ce que les femmes ont en tête m'est indifférent. Je ne leur trouve de l'intérêt qu'au-dessous de la ceinture. L'amour est une formalité. Ignorez-vous que c'est ainsi que les belles dames paient leur passage dans les couloirs du Louvre ?

Elle essaya de se montrer cinglante.

– C'est vrai, j'oubliais : « Qui dit Vardes, dit mufle. »

Le marquis lui pinça le bras jusqu'au sang.

– Petite garce ! Si vous n'étiez pas si jolie, je vous abandonnerais volontiers à ces braves gens qui vous attendent sous l'escalier. Mais ce serait dommage de voir saigner un petit poulet si tendre. Allons, soyez sage.