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– Mais enfin, que vous ai-je fait ? s'écria Angélique, qui commençait à sentir une sueur d'angoisse mouiller ses tempes. Vous parlez de ma mort comme d'une chose naturelle, indispensable. Permettez-moi de ne pas partager votre opinion. Le plus grand criminel a le droit de savoir de quoi on l'accuse et de se défendre.

– La plus habile défense ne changera rien au verdict, madame.

– Eh bien, si je dois mourir, au moins dites-moi pourquoi ! reprit la jeune femme avec véhémence.

À tout prix, il fallait gagner du temps.

Le jeune prince jeta un regard interrogateur à son compagnon.

– Après tout, puisque aussi bien, dans quelques instants, vous aurez cessé de vivre, je ne vois pas pourquoi nous nous montrerions inutilement inhumains, dit-il de sa voix sucrée. Madame, vous n'êtes pas si ignorante que vous le clamez. Vous vous doutez parfaitement sur les ordres de qui nous sommes ici ?

– Le roi ? s'écria Angélique en feignant le respect.

Philippe d'Orléans haussa ses épaules délicates.

– Le roi est tout juste bon à envoyer en prison les gens contre lesquels on attise sa jalousie. Non, madame, il ne s'agit pas de Sa Majesté.

– De qui donc alors le frère du roi peut-il admettre de recevoir des ordres ?

Le prince tressaillit.

– Je vous trouve bien osée, madame, de parler ainsi. Vous m'offensez !

– Et moi, je trouve que vous êtes, dans votre famille, bien susceptibles ! riposta Angélique dont la colère surmontait la terreur. Qu'on vous fête ou qu'on vous cajole, vous vous offensez parce que celui qui vous reçoit paraît plus riche que vous. Qu'on vous offre des présents, et c'est une insolence ! Qu'on ne vous salue pas assez profondément, c'en est une autre ! Qu'on ne vive pas en mendiants à tendre la main jusqu'à ruiner l'État comme toute votre basse-cour de seigneurs, c'est d'une arrogance blessante ! Qu'on paie ses impôts rubis sur l'ongle, c'est une provocation !... Une bande de chipoteurs, voilà ce que vous êtes, vous, votre frère le roi, votre mère, et tous vos traîtres de cousins : Condé, Montpensier, Soissons, Guise, Lorraine, Vendôme...

Elle s'arrêta à bout de souffle.

Dressé sur ses hauts talons comme un jeune coq sur ses ergots, Philippe d'Orléans jeta un regard indigné à son favori.

– Avez-vous jamais entendu parler de la famille royale avec une pareille insolence ?

Le chevalier de Lorraine eut un sourire cruel.

– Les injures ne tuent pas, monseigneur. Allons, finissons-en, madame.

– Je veux savoir pourquoi je meurs, s'entêta Angélique.

Elle ajouta précipitamment, décidée à tout pour gagner quelques minutes :

– Est-ce à cause de M. Fouquet ?

Le frère du roi ne put s'empêcher de sourire avec satisfaction.

– Ainsi la mémoire vous revient ? Vous savez donc pourquoi M. Fouquet tient tant à votre silence ?

– Je ne sais qu'une chose, c'est qu'il y a des années j'ai fait avorter le complot d'empoisonnement qui devait vous supprimer, vous-même, monsieur, ainsi que le roi et le cardinal. Et je regrette amèrement que la chose ne se soit pas produite, par les soins dudit M. Fouquet et du prince de Condé.

– Ainsi, vous avouez ?

– Je n'ai rien à avouer. La trahison de ce valet vous a amplement renseigné sur ce que je savais et que j'ai confié à mon mari. Jadis je vous ai sauvé la vie, monseigneur, et voilà comment vous me remerciez !

Une émotion fugitive parut sur le visage efféminé du jeune homme. Son égoïsme le rendait sensible à tout ce qui le concernait.

– Le passé est le passé, dit-il d'une voix hésitante. M. Fouquet, depuis, m'a comblé de ses bienfaits. Il est juste que je l'aide à écarter la menace qui pèse sur lui. Vraiment, madame, vous me voyez navré, mais il est trop tard. Pourquoi n'avez-vous pas accepté la proposition raisonnable que M. Fouquet vous a faite par l'entremise de Mme de Beauvais ?

– J'ai cru comprendre qu'il me faudrait abandonner mon mari à son triste sort.

– Évidemment. On ne peut faire taire un comte de Peyrac qu'en le murant dans une prison. Mais une femme qui a pour elle luxe et louanges oublie vite les souvenirs qu'il faut oublier. De toute façon, il est trop tard. Allons, madame...

– Et si je vous disais où se trouve ce coffret, proposa Angélique en le saisissant aux épaules, vous, monseigneur, vous seul auriez entre les mains ce redoutable pouvoir d'effrayer, de dominer M. Fouquet lui-même, et la preuve de la trahison de tant d'autres grands seigneurs qui vous regardent de haut, ne vous prennent pas au sérieux...

Une lueur brilla dans les yeux du jeune prince, et il passa sa langue sur ses lèvres.

Mais le chevalier de Lorraine le saisit à son tour et l'attira contre lui comme s'il eût voulu l'arracher à l'empire néfaste d'Angélique.

– Prenez garde, monseigneur. Ne vous laissez pas tenter par cette femme. Elle cherche, par des promesses mensongères, à nous échapper, à retarder son exécution. Mieux vaut qu'elle emporte son secret dans la tombe. Si vous le possédiez, vous seriez sans doute très puissant, mais vos jours seraient comptés.

Blotti contre la poitrine de son favori, heureux de cette mâle protection, Philippe d'Orléans réfléchissait.

– Vous avez raison, comme toujours, mon cher amour, soupira-t-il. Eh bien, faisons notre devoir. Madame, que choisissez-vous : poison, épée ou pistolet ?

– Décidez-vous vite ! trancha, menaçant, le chevalier de Lorraine. Sinon, nous choisirons pour vous.

*****

Après un instant d'espoir, Angélique retombait dans une situation atroce et sans issue.

Les trois hommes étaient devant elle. Elle n'eût pu faire un mouvement sans être arrêtée par l'épée du chevalier de Lorraine ou le pistolet de Clément. Aucun cordon de sonnette n'était à sa portée. Aucun bruit ne venait du dehors. Seuls le crépitement des bûches dans l'âtre, le grésillement de la pluie contre les vitres troublaient le silence étouffant. Dans quelques secondes, ses assassins allaient se ruer sur elle. Les yeux d'Angélique se posèrent sur les armes. Avec le pistolet ou l'épée, elle mourrait sûrement. Mais peut-être pourrait-elle échapper au poison ? Depuis plus d'un an, elle ne cessait d'absorber chaque jour une dose infime des produits toxiques que lui avait préparés Joffrey.

Elle tendit une main qu'elle essayait d'empêcher de trembler.

– Donnez ! murmura-t-elle.

En approchant le verre de ses lèvres, elle remarqua qu'un dépôt à luisance métallique s'était formé au fond. Elle prit soin de ne pas remuer le liquide, tout en buvant. Le goût en était acre et poivré.

– Et maintenant, laissez-moi seule, fit-elle en reposant le verre sur le guéridon.

Elle ne ressentait aucune douleur. « Sans doute, se disait-elle, la nourriture que j'ai absorbée chez la princesse Henriette protège-t-elle encore les parois de mon estomac contre les effets corrosifs du produit... » Elle ne perdait pas tout espoir d'échapper à ses tortionnaires et d'éviter une mort horrible.

Elle glissa à genoux aux pieds du prince.

– Monseigneur, ayez pitié de mon âme. Envoyez-moi un prêtre. Je vais mourir. Déjà je n'ai plus la force de me traîner. Vous êtes sûr maintenant que je ne vous échapperai pas. Ne me laissez pas mourir sans confession. Dieu ne pourrait vous pardonner l'infamie de m'avoir privée des secours de la religion.

Elle se mit à crier d'une voix déchirante :

– Un prêtre ! Un prêtre ! Dieu ne vous pardonnera pas.

Elle vit Clément Tonnel se détourner et se signer en blêmissant.

– Elle a raison, dit le prince d'une voix troublée. Nous ne gagnerons rien de plus à la priver des consolations de la religion. Madame, calmez-vous. J'avais prévu votre demande. Je vais vous envoyer un aumônier qui attend dans une pièce voisine.