Выбрать главу

– Messieurs, retirez-vous, supplia Angélique en exagérant la faiblesse de sa voix et en portant la main à son estomac, comme si elle était tordue par un spasme de douleur. Je ne veux plus songer qu'à mettre ma conscience en paix. Je sens trop que, si l'un seulement de vous demeure sous mes yeux, je serai incapable de pardonner à mes ennemis. Ah ! que je souffre ! Pitié, mon Dieu !

Elle se rejeta en arrière avec un cri affreux.

Philippe d'Orléans entraîna le chevalier de Lorraine.

– Allons vite. Elle n'en a plus que pour quelques instants.

Le maître d'hôtel avait déjà quitté la pièce.

Dès qu'ils furent sortis, Angélique, d'un bond, se releva et courut à la fenêtre. Elle réussit à l'ouvrir, reçut la rafale de pluie en plein visage, et se pencha sur le trou sombre.

Elle ne voyait absolument rien et ne pouvait calculer à quelle distance se trouvait le sol, mais sans hésitation elle enjamba l'appui de la fenêtre. Sa chute lui parut interminable. Elle atterrit brutalement dans une sorte de cloaque où elle s'enfonça et qui lui épargna sans doute de se rompre un membre. À la douleur de sa cheville, elle crut un instant avoir le pied cassé ; mais ce n'était qu'une foulure.

Rasant les murs, Angélique s'éloigna de quelques pas, puis, introduisant l'extrémité d'une de ses boucles de cheveux dans sa gorge, elle réussit à vomir plusieurs fois. Elle ne pouvait se rendre compte de l'endroit où elle se trouvait. Se guidant aux murs, elle s'aperçut avec effroi qu'elle avait sauté dans une petite cour intérieure envahie d'immondices et d'ordures, où elle risquait d'être rejointe comme au fond d'une fosse.

Heureusement, elle rencontra sous ses doigts une porte qui s'ouvrait. À l'intérieur, il faisait noir et humide. Une odeur de vin et de cellier lui parvint. Elle devait être dans les communs du Louvre, près des caves.

Elle décida de remonter aux étages. Elle ameuterait le premier garde qu'elle rencontrerait... Mais le roi la ferait arrêter et jeter en prison. Ah ! comment sortir de cette souricière ?

Cependant, en parvenant aux galeries habitées, elle eut un soupir de soulagement. À quelques pas elle reconnaissait le suisse en faction devant la porte de la princesse Henriette auquel elle avait demandé naguère son chemin. Au même instant ses nerfs la dominèrent et elle poussa un hurlement de terreur, car, à l'autre extrémité du couloir, elle venait de voir déboucher, courant, le chevalier de Lorraine et Philippe d'Orléans, l'épée en main. Ils connaissaient la seule issue de la courette où leur victime s'était précipitée, et ils essayaient de lui couper la retraite. Bousculant le factionnaire, Angélique se rua à l'intérieur du salon et vint se précipiter aux pieds de la princesse Henriette.

– Pitié, madame, pitié, on veut m'assassiner !

Un coup de canon n'eût pas plus bouleversé la brillante assemblée. Tous les joueurs se dressèrent, contemplant avec stupeur cette jeune femme échevelée, trempée, à la robe boueuse et déchirée, qui venait de s'écrouler au milieu d'eux. À bout de forces, Angélique jetait autour d'elle des regards traqués. Elle reconnut les visages d'Andijos et de Péguilin de Lauzun.

– Messieurs, secourez-moi ! supplia-t-elle. On vient d'essayer de m'empoisonner. On me poursuit pour me tuer.

– Mais enfin, où sont-ils, vos assassins, ma pauvre chère ? interrogea la voix douce d'Henriette d'Angleterre.

– Là !

Incapable d'en dire plus, Angélique désignait la porte.

On se retourna.

Le petit Monsieur, frère du roi, et son favori le chevalier de Lorraine se tenaient sur le seuil. Ils avaient remis leur épée au fourreau et affichaient un air de componction peinée.

– Ma pauvre Henriette, dit Philippe d'Orléans en s'approchant à petits pas de sa cousine, je suis navré de cet incident. Cette malheureuse est folle.

– Je ne suis pas folle. Je vous dis qu'ils veulent m'assassiner.

– Mais enfin, chérie, vous déraisonnez, essaya de l'apaiser la princesse. Celui que vous désignez comme votre assassin n'est autre que Mgr d'Orléans. Regardez-le bien.

– Je ne l'ai que trop regardé ! cria Angélique. De ma vie, je n'oublierai jamais son visage. Je vous dis qu'il a voulu m'empoisonner. Monsieur de Préfontaines, vous qui êtes un honnête homme, apportez-moi quelque médecine, du lait, que sais-je, afin que je puisse combattre l'effet de cet atroce poison. Je vous en prie... Monsieur de Préfontaines !

Bégayant, ahuri, le pauvre homme se précipita vers un drageoir et tendit à la jeune femme une boîte d'orviétan, dont elle s'empressa de manger quelques morceaux. Le désordre était à son comble.

*****

Monsieur, sa petite bouche pincée de contrariété, essaya encore de se faire entendre.

– Je vous affirme, mes amis, que cette femme n'a plus sa raison. Aucun de vous n'ignore en vérité que son mari est actuellement à la Bastille, et pour un crime affreux : le crime de sorcellerie ! Cette malheureuse, envoûtée par ce scandaleux gentilhomme, essaie de clamer une innocence bien difficile à démontrer. En vain, Sa Majesté a-t-elle cherché aujourd'hui à la convaincre, au cours d'une entrevue pleine de bonté...

– Oh ! la bonté du roi ! La bonté du roi !... s'exaspéra Angélique.

Dans un instant, elle allait se mettre à divaguer...

C'en serait fait d'elle !

Elle plongea son visage dans ses mains, essaya de retrouver son calme. Elle entendait le petit Monsieur et sa voix candide d'adolescent.

– Elle a été soudain saisie d'une véritable crise diabolique. Elle est possédée du démon. Le roi a fait mander aussitôt le supérieur du couvent des augustins afin qu'on tente de la calmer par des prières rituelles. Mais elle a réussi à s'enfuir. Pour éviter le scandale de la faire appréhender par des gardes. Sa Majesté m'a chargé d'essayer de la rejoindre et de la retenir en attendant l'arrivée des religieux. Je suis désolée, Henriette, qu'elle ait troublé votre soirée. Je crois que le plus sage serait que vous vous retiriez tous dans une chambre voisine avec vos jeux, tandis que j'accomplirai ici le service dont m'a chargé mon frère.

Angélique, dans un brouillard, voyait se dissoudre autour d'elle les rangs pressés de dames et des gentilshommes.

Impressionnés, soucieux de ne pas déplaire au frère du roi, les gens se retiraient.

Angélique leva les mains, rencontra l'étoffe d'une robe sur laquelle ses doigts sans force ne purent se refermer.

– Madame, dit-elle d'une voix sans timbre, vous n'allez pas me laisser mourir ?

La princesse hésitait. Elle jeta un regard anxieux à son cousin.

– Quoi, Henriette, protesta celui-ci douloureusement, vous doutez de moi ? Alors que nous nous sommes déjà promis une confiance mutuelle et que bientôt des liens sacrés nous uniront ?

Le blonde Henriette baissa la tête.

– Faites confiance à monseigneur, mon amie, dit-elle à Angélique. Je suis persuadée qu'on ne veut que votre bien.

Elle s'éloigna rapidement.

Dans une sorte de délire qui la rendait muette de peur, Angélique, toujours agenouillée sur le tapis, se tourna vers la porte par laquelle les courtisans avaient si rapidement disparu. Elle aperçut Bernard d'Andijos et Péguilin de Lauzun qui, pâles comme des morts, ne se décidaient pas à quitter la pièce.

– Eh bien, messieurs, fit Mgr d'Orléans de sa voix criarde, mes ordres vous concernent également. Faudra-t-il que je rapporte au roi que vous accordez plus de créance au rabâchage d'une folle qu'aux paroles de son propre frère ?

Les deux hommes baissèrent la tête et avec lenteur sortirent à leur tour. Cette suprême défection réveilla subitement la combativité d'Angélique.