Mais ce clapotis si apaisant le tirait aussi en arrière, et tentait de l'arracher à son rêve. Non! Laissez-moi mourir! Il ne voulait pas s'éveiller. Il devinait les manigances des démons qui s'approchaient de lui pour l'arracher à cette béatitude. Des images floues se bousculaient dans sa tête. Il entendait des hurlements. Le cinglement du vent. Non, s'il vous plaît! Plus il luttait, plus la fureur du monde s'insinuait en lui.
Puis, brutalement, tout lui revint en mémoire...
L'hélicoptère poursuivait sa montée vertigineuse. Il était pris au piège à l'intérieur. À chaque seconde, il voyait par la porte ouverte les lumières de Rome s'éloigner davantage. Son instinct de survie lui dictait de jeter tout de suite le conteneur par-dessus bord. Langdon savait que s'il le jetait il ne mettrait qu'une vingtaine de secondes pour atteindre la terre ferme. Mais il s'écraserait sur une ville pleine de monde.
Plus haut! Plus haut!
L'Américain se demandait à quelle altitude ils étaient parvenus. Les petits jets, d'après ce qu'il savait, volaient à une altitude de six mille cinq cents mètres. Ils devaient se trouver à peu près à moitié moins. Trois, quatre mille mètres? Il leur restait une chance de s'en tirer. S'ils minutaient parfaitement le largage, le conteneur exploserait à une distance raisonnable du sol et assez loin de l'hélicoptère. Langdon contempla la ville qui s'étalait sous eux.
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— Et si vos calculs sont faux? objecta le camerlingue.
Langdon sursauta. Carlo Ventresca ne le regardait même pas, il avait apparemment lu dans ses pensées. Bizarrement, le camerlingue n'était plus absorbé par sa conduite. Ses mains ne touchaient même plus les commandes. Il avait apparemment programmé le pilotage automatique pour que l'hélicoptère continue de grimper encore plus haut. Il tendit le bras au-dessus de sa tête, fourragea dans une gaine du plafond et en retira une clé qui y était cachée.
Langdon stupéfait le regarda ouvrir la boîte de transport coincée entre les sièges. Il en sortit un sac noir en nylon qu'il posa sur le siège passager. Les pensées de Langdon se bousculaient. Les gestes du camerlingue étaient précis, comme s'il détenait la solution.
— Donnez-moi le conteneur, fit-il d'un ton serein. Langdon, interloqué, passa le conteneur au camerlingue.
Quatre-vingt-dix secondes!
Ce que Carlo Ventresca fit ensuite prit Langdon par surprise. Tenant le conteneur précautionneusement entre ses mains, il le plaça dans la boîte de transport. Puis il rabattit le lourd couvercle et ferma la boîte à clé.
— Que faites-vous? s'enquit Langdon.
— Ne nous soumets pas à la tentation.
Le camerlingue jeta la clé par le hublot ouvert. Quand Langdon vit celle-ci disparaître, son cœur cessa de battre.
Carlo Ventresca saisit ensuite le sac de Nylon et glissa ses bras dans les sangles. Il boucla la ceinture autour de sa taille et le sangla comme un sac à dos. Il se tourna vers un Robert Langdon abasourdi.
Je suis navré, dit le camerlingue. Les choses ne devaient pas se passer comme ça.
— Il ouvrit la porte et bascula dans la nuit.
Cette dernière vision torturait Langdon. C'était une vraie souffrance. Une douleur physique. Lancinante. Aiguë. Il souhaitait mourir, que tout se termine, mais le clapotis de l'eau se faisait plus sonore et de nouvelles images apparurent soudainement. L'enfer ne faisait que commencer. Il en voyait des fragments. Des carcasses éparses, un paysage de cauchemar.
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Il flottait aux confins de la mort et du cauchemar, pourtant les images devenaient plus nettes.
L'antimatière dans le conteneur était sous clé, hors de portée. Il égrenait sans cesse son compte à rebours alors que l'hélicoptère s'élevait toujours. Cinquante secondes. Plus haut.
Plus haut. Langdon, affolé, tournait dans la cabine essayant de donner un sens à ce qu'il venait de voir. Quarante-cinq secondes. Il chercha un autre parachute sous les sièges.
Quarante secondes. Il n'y en avait pas! Il devait y avoir une solution! Trente-cinq secondes. Il se précipita vers la porte et se tint debout en plein vent, fixant les lumières de Rome.
Trente secondes.
Il se décida enfin.
Le choix impossible...
Robert Langdon sauta sans parachute. Quand son corps plongea dans la nuit, il eut la sensation que l'hélicoptère grimpait en flèche. Le bruit de souffle de la chute libre couvrit bientôt le ronflement des moteurs.
En tombant à pic, Robert Langdon ressentit la même impression qu'à l'époque où il s'adonnait au plongeon en piscine - une formidable sensation d'accélération. À mesure qu'il tombait, la terre le tirait, l'attirait de plus en plus fort vers le bas. Mais cette fois, il ne s'agissait pas d'un plongeon de dix-huit mètres dans une piscine. Il tombait d'une hauteur de plusieurs kilomètres sur une ville - une étendue sans fin de pavés et de béton.
Dans ce vertige interminable et désespérant, Langdon entendit la voix de Kohler... les mots qu'il avait prononcés le matin même dans la chambre du CERN. Un mètre carré de résistance ralentirait de vingt pour cent la chute d'un corps.
Vingt pour cent; Langdon réalisa que cette différence pouvait signifier le salut. Reprenant un peu espoir, mais surtout tétanisé par la peur, il serra dans ses mains le seul objet qu'il avait pu trouver dans l'hélicoptère avant de sauter. Un objet qui, un très bref instant, lui avait laissé espérer que sa chute ne serait pas mortelle.
Le pare-soleil du pare-brise gisait à l'arrière de l'hélicoptère.
C'était un rectangle de quatre mètres sur deux – comme un
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immense drap-housse... Un parachute plus qu'approximatif. Pas de harnais mais juste des boucles à chaque extrémité servant à le fixer en lui faisant épouser la courbure du pare-brise. Après l'avoir agrippé, Langdon avait glissé ses mains à l'intérieur des boucles, et il avait sauté dans le vide en le déployant au-dessus de lui.
Son dernier grand acte de défi.
Il ne se faisait guère d'illusion sur ses chances de survie.
Langdon tombait comme une pierre. Les pieds
d'abord, les bras tendus, les mains accrochées aux boucles.
Le vent s'engouffrait avec violence dans le store gonflé en dôme au-dessus de lui..
À mi-parcours environ, il entendit l'énorme explosion.
Plus lointaine qu'il ne le pensait. L'onde de choc lui coupa le souffle, l'enveloppant d'une nuée brûlante. Comme un mur de chaleur qui s'abattait. Il lutta pour garder son équilibre. Le haut de son parachute improvisé commença à chauffer... mais résista.
Langdon était aspiré vers le sol à la limite de cet incroyable linceul de lumière tourbillonnant, tel un surfeur qui essaierait de chevaucher une vague de trois cents mètres de haut.
Soudain, la déferlante de chaleur se dissipa. La nuit glaciale l'enveloppait de nouveau.
Alors, l'espoir revint. Brièvement. Malgré les efforts de ses bras pour atténuer sa chute, la terrible onde de choc l'accéléra encore. Langdon savait qu'il descendait bien trop vite pour espérer survivre. À coup sûr, il allait s’écraser.
Des schémas mathématiques lui traversaient l'esprit, mais il était trop engourdi pour raisonner clairement. . Un mètre carré de résistance. . réduction de vingt pour cent de la vitesse. Il se disait que ce bout de tissu était assez large pour ralentir sa chute de plus de vingt pour cent. Le vent soufflait trop fort, la résistance à l'air de son parachute improvisé était dérisoire. Il ne survivrait pas à l'impact sur le béton.
Sous lui, Rome, tachetée d'une infinité de points lumineux, ressemblait à un immense ciel étoilé vers lequel il plongeait. Une admirable nappe d'étoiles, séparées par une bande sombre qui partageait la ville en deux — un large ruban noir sinuant à travers la