— C'est la meilleure des défenses naturelles, ajouta Vittoria.
Essayez donc de repérer un poisson trompette qui se laisse flotter parmi les herbes au fond de la mer. .
— C'est exactement ça, approuva Langdon. Les Illuminati utilisaient le même stratagème. Ils ont créé des repères susceptibles de se fondre dans le décor de la Rome de la Renaissance. Pas question d'utiliser des ambigrammes, ni des symboles scientifiques, qui auraient été beaucoup trop voyants.
Tant et si bien qu'ils ont fait appel à un artiste de la secte, ce même
– 195 –
prodige anonyme qui avait créé leur logo ambigrammatique, et lui ont commandé quatre sculptures.
— Des sculptures « illuminati »?
— Oui, avec un cahier des charges très précis: el es devaient ressembler à de banales sculptures romaines, afin que le Vatican ne les suspecte à aucun prix.
— De l'art religieux, alors?
Langdon opina, avant de reprendre, de plus en plus animé:
— Seconde consigne, ces quatre sculptures devaient aborder des thèmes bien précis: chacune d'elles devait constituer un hommage à l'un des quatre éléments de la science.
— Quatre éléments? s'étonna Vittoria. Il en existe plus d'une centaine...
— Pas au début du XVIIe siècle, lui rappela Langdon. Les alchimistes croyaient que l'univers était constitué de quatre substances seulement: la terre, l'air, le feu et l'eau.
La croix primitive, Langdon le savait bien, était le symbole le plus répandu de cette « quaternité »: les quatre extrémités représentaient les quatre éléments. Mais on trouvait, poursuivait-il, des dizaines de représentations symboliques de la terre, de l'air du feu et de l'eau, chez les pythagoriciens de la Grèce antique, comme dans la civilisation chinoise, chez Jung aussi, dans ses polarités féminines et masculines, dans les signes du Zodiaque, et même les musulmans vénéraient les quatre éléments qu'ils appelaient « carrés, nuages, foudre et vagues ». Langdon, quant à lui, était plus intéressé par leurs versions plus modernes: les quatre degrés mystiques de l'initiation absolue des francs-maçons: la terre, l'air, le feu et l'eau.
Vittoria était de plus en plus perplexe.
— Donc cet artiste a créé quatre œuvres d'art qui semblaient religieuses mais qui étaient en fait des hommages à la terre, à l'air, au feu et à l'eau?
— Exactement, fit Langdon, en empruntant la Via Sentinel qui aboutissait aux Archives. La confrérie a offert, anonymement, ces œuvres d'art à des églises de Rome soigneusement choisies et elle a usé de son influence politique pour qu'elles soient bien visibles.
Si un candidat illuminatus parvenait à trouver la première église et le symbole « terre », il devait encore trouver l'air, puis le feu,
– 196 –
puis l'eau pour finalement parvenir jusqu'à l'église de l'Illumination.
Vittoria semblait de plus en plus confuse.
— Mais quel rapport avec la traque de l'assassin qui nous occupe?
Langdon jeta sa carte maîtresse avec un sourire vainqueur.
— Un rapport très étroit: notre « illuminé » a appelé ces quatre églises d'un nom très spéciaclass="underline" les « autels de la science ».
Vittoria, sourcils froncés, objecta:
— Mais ça ne veut absolument rien...
Elle s'arrêta net.
— L'autel de la science! s'exclama-t-elle. Le tueur illuminatus a dit... « Les cardinaux seront sacrifiés comme des petits agneaux sur les autels de la science. »
Le sourire de Langdon s'élargit davantage.
— Quatre cardinaux, quatre églises, les quatre autels de la science!
Elle en resta bouche bée.
— Vous dites que les quatre églises où seront sacrifiés les quatre cardinaux sont les mêmes que celles qui servaient autrefois de jalons sur la Voie de l'Illumination?
— C'est en effet mon hypothèse.
— Mais pourquoi le tueur nous aurait-il livré un tel indice?
— Pourquoi pas? répartit Langdon. Rares sont les historiens qui ont entendu parler de ces sculptures. Plus rares encore sont ceux qui croient à leur existence. Et leurs emplacements sont restés secrets pendant quatre siècles. Les Illuminati ont des raisons d'estimer que ce secret bien gardé le restera encore cinq heures. En outre, ils n'ont plus besoin de la Voie de l'Illumination. D'ailleurs le repaire secret, lui, n'existe sans doute plus depuis longtemps. Ils vivent au rythme du monde moderne. Ils se croisent dans des conseils d'administration, déjeunent dans des restaurants d'hommes d'affaires, sur les greens où il se retrouvent pour discuter tranquillement. Ce soir, ils ont décidé d'éventer leurs secrets. Leur heure a sonné. L'heure de la révélation...
Mais Langdon craignait que la révélation des Illuminati ne rappelle un épisode qu'il n'avait pas encore mentionné. Les
– 197 –
quatre marques. Le tueur avait juré que chaque cardinal serait marqué au fer rouge d'un symbole différent. Preuve de la véracité des anciennes légendes, avait-il ajouté. La légende des quatre ambigrammes était aussi ancienne que les Illuminati eux-mêmes: la terre, l'air, le feu, l'eau – quatre mots dotés d'une parfaite symétrie. Tout comme le nom, Illuminati. Chaque cardinal allait être marqué au fer par l'un des quatre éléments de la science du XVIIe siècle. La rumeur selon laquelle les quatre marques étaient des mots anglais et non italiens était un sujet de controverse entre spécialistes. L'anglais semblait un choix illogique pour ces Illuminati, or ils s'étaient toujours montrés d'une parfaite cohérence.
Langdon remonta l'allée pavée de briques qui menait au bâtiment des Archives. Des images sinistres se télescopaient dans son esprit. Le complot des Illuminati commençait à révéler sa grandiose patience. La confrérie avait juré de garder le silence le temps qu'il faudrait, amassant assez d'influence et de pouvoir, afin de resurgir sans crainte et de combattre au grand jour pour leur cause. Ils n'avaient plus besoin de se cacher. Ils pouvaient enfin exhiber leur puissance et confirmer l'authenticité de vieux mythes tombés dans l'oubli sur leur inextinguible soif de vengeance. L'événement de ce soir était d'abord et avant tout une ingénieuse opération de relations publiques...
— Voici votre ange gardien, annonça Vittoria.
Langdon vit le garde suisse traversant au pas de course une pelouse voisine pour les rejoindre.
Quand le garde les aperçut, il stoppa net, les examina attentivement et, effaré, il s'empara de son talkie-walkie. Il débita son rapport, sur un ton incrédule, à celui qu'il appelait. Si le grondement sonore qui lui répondit n'était pas intelligible, son sens était clair. Le garde vaincu renfonça son talkie-walkie dans sa poche et se tourna vers le couple, l'air fort mécontent.
Il n'échangea pas un mot avec les étrangers qu'il guida dans le bâtiment. Après avoir franchi quatre portes blindées, deux entrées nécessitant un passe spécial, emprunté un long couloir bordé de doubles portes de chêne, le garde s'arrêta devant une dernière porte. Il examina de nouveau Langdon et Vittoria et,
– 198 –
marmonnant dans sa barbe, se dirigea vers une boîte métallique accrochée au mur. Il la déverrouilla, plongea sa main à l'intérieur, actionna un code. Un bourdonnement se fit entendre et la serrure s'ouvrit dans un claquement métallique.