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Dieu m'a sauvé pour une raison, se disait-il, mais laquelle?

À l'âge de seize ans, Carlo aurait dû entrer dans l'armée pour les deux années de service militaire obligatoire. L'évêque avait alors expliqué à Carlo que, s'il décidait d'entrer au séminaire, il serait exempté de cette obligation. Carlo avait répondu qu'il souhaitait entrer au séminaire mais qu'il devait d'abord comprendre le mal.

L'évêque n'avait pas compris.

Carlo lui avait confié que, s'il devait passer sa vie dans l'Église à lutter contre le mal, il fallait d'abord qu'il comprenne en quoi il consistait. Et il ne voyait pas de meilleur endroit que l'armée pour comprendre le mal. L'armée, avec ses fusils et ses canons.

Ses explosifs. Comme ceux qui ont tué ma sainte mère!

L'évêque avait essayé de le dissuader, mais Carlo avait déjà pris sa décision.

« Prends garde à toi, mon fils, avait dit l'évêque. Et sache que l'Église attendra ton retour. »

Les deux années de service militaire du jeune homme avaient été épouvantables. La jeunesse de Carlo s'était déroulée dans un havre de silence et de réflexion. Mais, à l'armée, silence et réflexion étaient proscrits. Du bruit, toujours du bruit. . d'énormes engins partout. Pas un instant de paix. Les soldats se rendaient certes à la messe une fois par semaine, dans la chapelle de la caserne, mais Carlo n'avait jamais senti la présence de Dieu chez aucun de ses compagnons. Leur esprit était trop plein du chaos pour voir Dieu.

Carlo détestait sa nouvelle vie, il aurait voulu rentrer chez lui.

Mais il s'était imposé de rester jusqu'au bout. Il s'était fixé une tâche, celle de comprendre le mal. Comme il avait refusé de se servir d'une arme à feu, on lui avait appris à piloter un hélicoptère.

Carlo détestait l'odeur et le bruit de cet engin, mais, celui-ci lui

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permettait de voler dans le ciel et de se rapprocher ainsi de sa mère. Quand on lui avait expliqué qu'il allait devoir apprendre à sauter en parachute, comme tout pilote, Carlo avait été terrifié.

Seulement il n'avait pas le choix.

Dieu me protégera, s'était-il dit une fois de plus.

Le premier saut en parachute de Carlo avait été l'expérience la plus jubilatoire de son existence. En traversant les airs, il avait eu l'impression de voler avec Dieu. Le jeune homme aurait voulu que cela ne finisse pas. . Le silence.. la sensation de flotter. . Il avait vu le visage de sa mère dans les nuages en plongeant vers la terre.

Dieu a des projets pour toi, Carlo. À son retour de l'armée, Carlo était entré au séminaire.

Cela faisait vingt-trois ans.

Maintenant, en descendant la Scala Regia, Carlo Ventresca essayait de comprendre la série d'événements qui l'avait conduit à cette extraordinaire croisée des chemins.

Abandonne toute peur, se dit-il, et consacre cette nuit à Dieu.

Il aperçut la grande porte de bronze de la chapelle Sixtine, gardée, comme le veut la règle, par quatre gardes suisses. Les gardes ouvrirent la porte pour lui livrer passage. À l'intérieur, toutes les têtes se tournèrent. Le camerlingue parcourut du regard les soutanes noires et les ceintures rouges. Il sut alors les projets que Dieu avait conçus pour lui. Le destin de l'Église reposait entre ses mains.

Le camerlingue se signa et franchit le seuil de la chapelle Sixtine.

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48

Gunther Glick, reporter à la BBC Television, était assis au volant de sa camionnette garée dans l'angle est de la place Saint-Pierre. Il maudissait son rédacteur en chef qui, après une évaluation pourtant très élogieuse de son premier mois de travail au siège londonien — « journaliste très percutant, plein de ressources, d'une grande fiabilité » —, l'avait envoyé faire le planton devant le conclave. Certes, les reportages pour la BBC lui garantissaient une crédibilité qu'il était loin d'espérer lorsqu'il pondait des articles pour le British Taller, mais l'idée qu'il se faisait du journalisme ne consistait certainement pas à faire le guet devant une cheminée censée cracher, on ne savait quand, un filet de fumée blanche.

Sa mission était simple. D'une simplicité insultante: ne pas quitter son poste, jusqu'à ce que cette bande de vieux barbons se décide sur le choix de leur vieux barbon en chef. Ensuite, il devait sortir de sa camionnette et balancer un direct de cinquante secondes sur fond de basilique Saint-Pierre. Passionnant!

Il avait peine à croire que la BBC envoie encore des reporters sur le terrain couvrir des événements aussi ringards. Il n'y a pas un seul des grands réseaux américains ce soir sur cette place. Parce que ce sont de vrais pros, pensa-t-il. Ils se contenteraient de faire une synthèse de la couverture de CNN, qu'ils transmettraient « en direct » devant un rideau bleu ciel, sur lequel ils projetteraient une photo d'archives du Vatican. MSNBC utilisait même des dispositifs de pluie ou de vent artificiels, qui ajoutaient de l'authenticité à ses reportages.

De toute façon, les téléspectateurs d'aujourd'hui se moquaient bien de la vérité. Tout ce qu'ils voulaient, c'était du spectacle.

Le dôme imposant de la basilique qui se dressait devant son pare-brise ne faisait qu'achever de le démoraliser. Les merveilles que les gens peuvent construire quand ils s'y mettent...

— Qu'est-ce que j'ai réussi dans ma vie, moi? dit-il à voix haute. Rien...

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— Le mieux, c'est d'abandonner tout de suite! répliqua une voix de femme à l'arrière du fourgon.

Il sursauta. Il avait oublié qu'il n'était pas seul. Il se retourna vers sa cadreuse, une certaine Chinita Macri, occupée comme d'habitude à astiquer ses verres de lunettes. Elle était noire - pardon, afro-américaine - plutôt grassouillette, et maligne comme un singe, ce qu'elle ne manquait d'ailleurs jamais de vous rappeler. Une drôle de bonne femme. Mais Glick l'aimait bien. Et il n'était pas fâché ce soir d'avoir de la compagnie.

— Qu'est-ce qui ne va pas, mon pauvre Gunther? demanda-t-elle gentiment.

— Je voudrais bien savoir ce qu'on fout ici!

— On assiste à un événement d'une importance capitale.

— On n'assiste à rien du tout. Tous ces vieux chnoques sont enfermés dans le noir...

— Tu sais que tu iras en enfer?

— J'y suis déjà.

— Je te remercie.

Elle lui rappelait sa mère.

— J'aimerais tellement arriver à me faire un nom. .

— Tu as travaillé au British Tatler.

— Sans faire d'étincelles...

— Allons donc! Il paraît que tu as sorti un article absolument génial sur les expériences sexuelles de la Reine avec des extraterrestres.

— Merci de t'en souvenir...

— Et ça continue: ce soir tu vas faire tes premières secondes dans l'histoire de la télé...

Il répondit par un grognement. Il entendait déjà le présentateur-vedette de Londres: « Merci Gunther! » — juste avant d'embrayer sur la météo.

— J'aurais dû demander un boulot de présentateur au siège, fit Glick.

— Sans expérience de terrain? Et avec une barbe pareille? Tu rêves...

Il passa la main dans l'épaisse masse de poils roux qui lui garnissait le menton.

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— Je trouve que ça me donne l'air intelligent...

La sonnerie de son téléphone portable mit heureusement un terme à ses pensées pessimistes.

— C'est sans doute le chef! Il veut peut-être un avant-papier!

— Sur le conclave? Arrête de rêver, mon pauvre vieux...

Glick répondit, essayant sa future voix de présentateur-vedette:

— Gunther Glick, BBC, en direct du Vatican.