Son interlocuteur parlait avec un fort accent du Moyen-Orient:
— Écoutez bien ce que je vais vous dire. Ces informations vont changer votre vie.
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Langdon et Vittoria étaient maintenant seuls devant la double porte qui ouvrait sur les Archives secrètes. Le décor du hall d'entrée se composait d'un curieux mélange de moquette neuve, de colonnes et sol en marbre, et de caméras de surveillance voisinant au plafond avec des chérubins Renaissance. L'histoire de l'art stérilisée, se dit Langdon. Une petite plaque de bronze était apposée près du portail cintré.
ARCHIVIO VATICAN
Conservateur: Père Jaqui Tomaso
Langdon reconnut le signataire des innombrables lettres de refus qu'il conservait dans son bureau de Harvard. « Cher Monsieur Langdon, J'ai le regret de vous informer que nous ne pouvons donner suite à votre demande de... »
Le père Jaqui n'éprouvait évidemment pas le moindre regret. Depuis son arrivée à la direction des Archives secrètes, jamais il n'en avait autorisé l'accès à un chercheur non catholique. Les historiens d'art et des religions le surnommaient Il Cerbero. Il était l'archiviste le plus intransigeant que la terre ait porté.
Langdon poussa devant lui les deux battants de la porte et pénétra dans le sanctuaire, à demi étonné de ne pas y trouver le père Jaqui en tenue de combat, un bazooka à l'épaule.
La grande salle était déserte.
Les Archives du Vatican. Un de ses rêves les plus chers se réalisait.
Il contempla le grand hall sacré, honteux de la déception qu'il éprouvait malgré lui. Mon pauvre Robert, tu es un indécrottable romantique! L'image de rêve qu'il se faisait de ce lieu se révélait totalement erronée. Il avait imaginé d'antiques bibliothèques couvertes de poussière et croulant sous de lourds volumes abîmés, encadrant de longues tables où des religieux se plongeaient dans l'étude de vieux manuscrits et parchemins, à la lueur des bougies et de sombres vitraux.
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Rien de tel.
À première vue, l’endroit ressemblait à un hangar à avions, dans lequel on aurait construit une bonne dizaine de courts de squash. En réalité Langdon n'était pas autrement surpris. Pour protéger les vélins et les parchemins de la chaleur et de l'humidité, on enfermait les rayonnages dans des compartiments vitrés hermétiques dont on pouvait contrôler l'atmosphère. Le professeur de Harvard avait exploré plus d'une cellule de ce type au cours de sa carrière, et ces expériences l'avaient toujours perturbé. Il y éprouvait l'impression étouffante d'être emballé sous vide.
Ici, les compartiments vitrés plongés dans l'obscurité avaient une allure irréelle. Leurs contours extérieurs étaient éclairés par une série de petits spots encastrés dans le plafond de la grande salle.
Ces géants endormis abritaient d'interminables rangées d'étagères chargées d'histoire. Les collections du Vatican étaient d'une richesse inimaginable.
Vittoria en resta muette d'étonnement.
Le temps passait, et il n'était pas question de perdre de précieuses minutes à chercher un fichier ou un catalogue dans ce dédale de cloisons vitrées. Des terminaux d'ordinateurs étaient installés dans les allées.
— Le fonds est informatisé, dit Langdon. Il doit être sur Biblion, je pense.
— Cela devrait nous faire gagner du temps, souffla Vittoria, pleine d'espoir.
Il aurait aimé partager son enthousiasme. Pour lui, c'était une mauvaise nouvelle. Il s'approcha d'une console et pianota sur le clavier. Ses craintes se confirmèrent immédiatement.
— Un bon vieux catalogue aurait été beaucoup plus simple.
— Pourquoi? s'étonna sa compagne.
— Parce que les livres, eux, ne sont pas protégés par un mot de passe. Je suppose que vous n'êtes pas une mordue d'informatique?
Elle secoua la tête.
— Je sais ouvrir les huîtres...
Langdon prit une profonde inspiration et se retourna pour embrasser du regard les rangées de cellules transparentes.
Il marcha jusqu'à la plus proche et cligna des yeux pour
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regarder à l'intérieur. Il devinait dans la pénombre des formes aux contours indistincts qu'il identifia comme des rayonnages, des casiers à parchemins et des tables de lecture. Levant les yeux sur les inscriptions fixées sur le flanc des rayonnages, il entreprit de les lire un à un en longeant la cloison vitrée.
PIETRO L'EREMITA... LE CROCIATE... URANO II...
LEVANTE...
Le classement n'est pas alphabétique.
Cela ne le surprenait pas. L'ordre alphabétique d'auteur était impossible à respecter, en raison des trop nombreux ouvrages anciens anonymes. Le classement par titre n'était pas plus satisfaisant, car la collection était très riche en parchemins non reliés et en correspondances. C'est donc la chronologie qui prévalait le plus souvent dans ce genre de bibliothèque. Mais ce qui déconcerta Langdon, c'est que le Vatican ne semblait pas l'appliquer non plus...
Il sentait les minutes s'écouler en pure perte.
— J'ai l'impression qu'ils ont un système de classement particulier.
— Cela vous étonne? rétorqua Vittoria.
Langdon se replongea dans l'étude des étiquettes. Sur un même rayonnage, les documents semblaient couvrir plusieurs siècles mais traitaient de sujets voisins.
— On dirait un classement thématique.
— Pas très performant! critiqua la jeune scientifique.
En fait..., il s'agit peut-être du catalogage le plus astucieux que j'aie jamais connu, se dit Langdon en y regardant de plus près. Il encourageait toujours ses étudiants à s'intéresser aux sujets et aux tonalités d'une période d'histoire de l'art, plutôt que de se noyer dans les détails de dates et d'œuvres spécifiques. L'archivage du Vatican semblait obéir au même principe. Dégager les grands mouvements... Il reprenait confiance.
— Les documents de ce box sont plus ou moins liés aux Croisades, annonça-t-il. Tout y était rassemblé. Les chroniques et la correspondance de l'époque, les œuvres d'art, les données
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sociopolitiques, les analyses contemporaines.. dans un seul et même emplacement. La compréhension du sujet y gagne en profondeur. C'est génial...
Vittoria fit la moue.
— Mais que font-ils des documents qui traitent de plusieurs sujets?
— Les étagères regorgent d'indications de renvoi, expliqua Langdon en lui montrant les petits onglets de couleur insérés entre les volumes. On vous oriente vers des documents qui sont classés ailleurs, parce que leur thème principal est différent.
— D'accord, fit-elle en manifestant un intérêt très modéré.
Les mains sur les hanches, elle balayait du regard la grande crypte. Puis, se tournant vers son compagnon:
— Alors, professeur, quel est le nom de ce bouquin de Galilée?
Il ne put réprimer un sourire, encore émerveillé d'avoir pu pénétrer dans ce temple de la documentation historique. Il est là, quelque part... , pensa-t-il. Il nous attend dans l'ombre.
Il descendit la première allée d'un pas vif et confiant, en vérifiant les inscriptions au passage:
— Suivez-moi! Vous vous rappelez ce que je vous ai dit sur la Voie de l'Illumination? Et sur la façon dont les Illuminati recrutaient leurs nouveaux membres, à la suite d'un test assez compliqué?
— La fameuse chasse au trésor...
— Après avoir placé les jalons, il fallait trouver un moyen de faire connaître aux savants de l'époque l'existence du parcours.
— C'est logique. Faute de quoi, pas de recrutement.
— Exactement... Et même si certains le savaient, ils en ignoraient le point de départ. Rome était déjà une grande ville.