— Ce ne sont pas des chiffres, c'est le nom du bateau.
Et comme son invité ouvrait des yeux ronds:
— Dick and Connie II, expliqua le père.
Langdon se sentit tout penaud. Dick and Connie étaient les prénoms des mariés.
— Mais pourquoi le chiffre deux? avait-il poliment insisté.
Qu'est-il arrivé au Dick and Connie I?
— Il a coulé hier pendant la répétition, expliqua son hôte dans un grognement.
— Désolé, dit Langdon en refrénant une violente envie de rire. Il regardait toujours l'inscription. Le DCII. Une miniature du Queen Elizabeth II. Une seconde plus tard, il était aux anges.
Vittoria avait maintenant droit à l'explication.
— Donc, le nombre 503 est un code, mis au point par les Illuminati, qui remplaçaient des chiffres romains par des chiffres arabes. Pour celui-ci, la correspondance est...
— DIII, termina la jeune femme.
— C'est du rapide, bravo! Ne me dites pas que vous êtes une Illuminata...
— On se sert des chiffres romains pour codifier les strates de dépôts pélagiques.
Évidemment, n'est-ce pas tout naturel? pensa Langdon.
— Et qu'est-ce qu'il signifie, ce DIII?
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— DI, DII, DIII, sont des abréviations anciennes qu'utilisaient les savants pour distinguer les trois œuvres de Galilée qui prêtaient le plus souvent à confusion.
Vittoria respira à fond avant de se lancer:
— Dialogo, Discorsi, Diagramma...
— D-un, D-deux, D-trois. Trois œuvres scientifiques, toutes controversées, dont le Diagramma était la dernière.
Elle fit une moue perplexe.
— Mais je ne comprends toujours pas. Si ce segno - cette pub...
cet indice sur la Voie de l'Illumination – s'il figurait réellement dans le Diagramma, comment se fait-il que le Vatican ne l'ait pas découvert quand il a récupéré l'exemplaire hollandais?
— Ils l'ont sans doute vu, mais sans le comprendre. N'oubliez pas que les jalons des Illuminati étaient toujours visibles à l'œil nu, selon le principe de la dissimulation. Le segno était probablement déguisé sous une autre forme, invisible pour ceux qui ne le cherchaient pas. Ou qui ne le comprenaient pas.
— Ce qui veut dire...
— Que Galilée l'a très bien caché. D'après certains documents historiques, le segno serait formulé dans ce que les Illuminati appelaient la Lingua pura...
— La langue pure...?
— Oui.
— Le langage mathématique?
— C'est ce que je crois. Cela paraît assez évident. Galilée était aussi mathématicien, et ses œuvres s'adressaient à d'autres savants. La logique de ce langage lui permettait probablement de suggérer le dessin d'un plan. Et le titre de ce petit ouvrage laisse supposer qu'il s'agirait d'un diagramme.
Le scepticisme de Vittoria parut baisser d'un cran. Mais d'un seul.
—
Il aurait élaboré un code mathématique
incompréhensible par le clergé... dit-elle.
— Vous n'avez pas l'air très convaincue..., fit Langdon en la suivant dans l'allée.
— C'est vrai. Essentiellement parce que vous ne l'êtes pas vous-même. Si vous en étiez si certain, pourquoi n'avez-vous
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pas publié un article? Un de vos lecteurs autorisé à entrer dans les Archives aurait pu venir vérifier...
— Je ne voulais pas publier! J'avais entrepris un énorme travail pour découvrir cette information... Gêné, il s'interrompit.
— Et vous vouliez être sûr d'en récolter la gloire!
— Oui, si on peut dire. En réalité...
— Ne rougissez pas! Vous vous adressez à une scientifique.
Comme disent les gens du CERN: « Prouver ou crever. »
— Je ne voulais pas seulement être le premier, j'avais peur que l'information ne tombe entre de mauvaises mains, et qu'elle disparaisse.
— Entre les mains du Vatican?
— Ce n'est pas qu'il soit dangereux en soi, mais l'Église catholique a toujours tenté de minimiser la menace des Illuminati. Au début des années 1900, elle est même allée jusqu'à déclarer que cette société secrète avait été inventée de toutes pièces par des esprits un peu trop romanesques. Le clergé estimait que ses ouailles n'avaient aucun besoin de savoir que leurs banques, leurs institutions politiques et leurs universités étaient infiltrées par un mouvement antichrétien très puissant.
Parle au présent, mon cher Robert, pensa-t-il. Elle existe encore cette société secrète.
— Et donc, vous croyez que le Vatican se serait empressé de détruire une preuve de l'existence des Illuminati?
— Ce n'est pas du tout impossible. Toute menace, réelle ou imaginaire affaiblit la confiance dans le pouvoir de l'Église.
Vittoria s'arrêta brusquement de marcher.
— Une dernière question. Vous parlez sérieusement?
— Que voulez-vous dire?
— C'est vraiment ça la solution que vous avez trouvée pour retrouver l'antimatière à temps?
Langdon ne savait si c'était de la pitié ou de la terreur qu'il lisait dans les yeux de la jeune femme.
— La découverte du Diagramma? risqua-t-il.
— Pas seulement! Mais l'espoir d'y dénicher un segno vieux de quatre siècles, de décoder une énigme mathématique, et de suivre un ancien jeu de piste parsemé d'œuvres d'art, que seuls
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les savants les plus géniaux de l'Histoire ont jamais été capables de parcourir. Et tout cela dans les quatre heures qui viennent!
— Je reste ouvert à d'autres propositions, répondit Langdon en haussant les épaules.
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Devant l'entrée de la chambre forte numéro 10, Langdon parcourait du regard les inscriptions sur les étagères.
BRAHE... CLAVIUS... COPERNICUS... KEPLER...
NEWTON...
Intrigué, il les relut une à une. Les savants sont bien là... mais où est Galilée?
Il se tourna vers Vittoria qui explorait une autre armoire:
— J'ai trouvé la bonne section, mais il manque Galilée...
— Ça ne m'étonne pas, répondit-elle d'une voix sombre. Il est ici. J'espère que vous avez apporté vos lunettes, parce que cette section lui est entièrement consacrée...
Langdon se précipita. Elle ne se trompait pas, hélas. Tous les rayonnages portaient la même étiquette:
IL PROCESSO GALILEIANO
Il laissa échapper un sifflement. L'affaire Galilée, se dit-il, émerveillé. Le procès le plus long et le plus coûteux de l'histoire du Vatican. Quatorze années, et l'équivalent de trois cent mille dollars. Et tout est conservé ici!
— Si les documents judiciaires vous intéressent... servez-vous!
souffla-t-il à la jeune femme.
— J'imagine que les juristes n'ont guère évolué depuis cette époque.
— Les requins non plus!
Il se dirigea à grands pas vers un interrupteur jaune, situé sur le côté du compartiment vitré, et l'enfonça. Une rangée de spots lumineux s'alluma sous le plafond intérieur. Des ampoules rouge foncé, qui donnaient aux hautes étagères l'al ure d'un décor de théâtre fantastique.
— Mon Dieu! souffla Vittoria effrayée. Lampes à UV?
— Au contraire, le parchemin et le vélin sont des matériaux très vulnérables à la lumière. D'où la nécessité d'utiliser des ampoules spéciales.
— De quoi avoir des hallucinations!
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