— Bizarrement, il ne l'était pas. Il valait mieux être connu par son prénom, comme pour les stars actuelles de la pop. Il a fait un peu comme Madonna qui ne se sert jamais de son patronyme, Ciccone.
Vittoria le considéra d'un air ironique.
— Vous connaissez le patronyme de Madonna?
Langdon regretta cet exemple. C'était fou le nombre de choses inutiles dont on pouvait encombrer son cerveau quand on fréquentait un campus de dix mille étudiants...
Alors qu'ils arrivaient à quelques mètres du bureau central de la Garde suisse, ils furent stoppés par un cri rauque.
— Stop! aboya quelqu'un derrière eux.
Langdon et Vittoria firent demi-tour et découvrirent un canon pointé sur eux.
— Attention, cria à son tour Vittoria, indignée, faites donc attention avec votre...
— Pas un geste! rétorqua le garde en brandissant son arme.
— Laissez passer, ordonna une voix derrière eux.
C'était Olivetti qui sortait du PC de la sécurité. Le garde était sidéré.
— Mais, commandant, c'est une femme...
— À l'intérieur! cria Olivetti au garde.
— Commandant, je ne peux pas...
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— Tout de suite, vous avez de nouveaux ordres. Briefing avec le capitaine Rocher dans deux minutes. Nous organisons une traque.
Passablement désorienté, le garde retourna dare-dare au PC de la sécurité. Olivetti, raide et bouillant de colère, marcha droit sur Langdon.
— Nos archives les plus secrètes! Vous me devez une explication!
— Nous avons de bonnes nouvelles, le coupa Langdon.
Les yeux d'Olivetti s'étrécirent.
— Elles ont intérêt à être excellentes!
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Le convoi d'Alfa-Romeo 155 T-spark banalisées remonta la Via dei Coronari dans un rugissement d'avions à réaction.
Douze gardes suisses en civil armés de fusils semi-automatiques Cherchi-Pardini, de grenades fumigènes et de lanceurs Cougar avaient pris place à bord des quatre véhicules. Les trois tireurs d'élite avaient emporté des fusils à visée laser.
Assis sur le siège passager de la voiture de tête, Olivetti tournait le dos à Vittoria et Langdon. Ses yeux lançaient des flammes.
— Vous m'annoncez une explication sérieuse et vous voudriez que j'avale ça?
Langdon se sentait à l'étroit dans cette petite voiture.
— Je comprends votre...
— Non, vous ne comprenez pas! (La voix d'Olivetti, toujours si feutrée, avait triplé d'intensité.) Je viens d'enlever une douzaine de mes meil eurs hommes du Vatican alors que le conclave est sur le point de commencer. Et je l'ai fait pour surveiller le Panthéon, sur la base du témoignage d'un Américain que je ne connais ni d'Ève ni d'Adam et qui m'assure qu'un poème vieux de quatre siècles lui a inspiré ce plan génial. Ce qui m'a conduit à confier la recherche de la bombe d'antimatière à des subordonnés...
Langdon résista à la tentation de sortir le feuillet numéro 5 de sa poche et de le brandir sous les yeux d'Olivetti.
— Tout ce que je sais, c'est que le renseignement que nous avons déniché mentionne la tombe de Raphaël et que celle-ci se trouve à l'intérieur du Panthéon.
Le garde qui conduisait approuva.
— Il a raison, commandant, ma femme et moi..
— Conduis et tais-toi! aboya Olivetti qui se tourna vers Langdon. Comment un tueur peut-il bien projeter un assassinat dans un endroit si bondé et imaginer qu'il parviendra à s'enfuir?
— Je ne sais pas, fit Langdon. Mais de toute évidence, les Illuminati sont des gens pleins de ressources. Ils se sont introduits au sein du CERN et du Vatican. Nous avons eu beaucoup de
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chance de découvrir où allait se dérouler le premier crime. Le Panthéon est votre seule chance d'attraper ce type.
— Ça ne colle pas avec ce que vous m'avez dit tout à l'heure! La seule chance? Mais vous avez parlé d'une sorte de jeu de piste, d'une série de jalons. Si le Panthéon est le bon point de départ, on n'a qu'à remonter la piste par les autres jalons. On aura quatre chances d'attraper ce type.
— C'est ce que j'avais espéré, fit Langdon. Et c'est bien comme ça que les choses se seraient passées.. Il y a cent ans.
En comprenant que le Panthéon était le premier autel de la science, Langdon avait rapidement dû déchanter.
L'histoire joue souvent des tours cruels à ceux qui la traquent.
Après toutes ces années, c'était sans doute beaucoup demander que de retrouver la Voie de l'Illumination intacte avec toutes ses statues à la même place. Et l'Américain s'était laissé aller à rêver qu'il pourrait remonter la piste jusqu'au repaire sacré des Illuminati. Malheureusement, il avait rapidement saisi la vanité de cet espoir.
— Le Vatican a fait enlever et détruire toutes les statues qui se trouvaient dans le Panthéon à la fin du XVIe siècle.
Vittoria eut l'air choquée.
— Pourquoi?
— Ces statues représentaient des dieux de l'Olympe.
Malheureusement, cela signifie que notre premier jalon s'envole et avec lui...
— Tout espoir de retrouver les autres et donc de remonter la Voie de l'Illumination?
Langdon acquiesça.
— Nous ne pouvons être sûrs que d'un seul site, le Panthéon. Après, la voie se perd dans les limbes.
Olivetti les regarda longuement avant de se retourner.
— Arrête-toi, brailla-t-il au chauffeur.
Le chauffeur donna un violent coup de frein et l'Alfa stoppa en dérapant, aussitôt suivie des trois autres.
— Que faites-vous? demanda Vittoria.
— Mon boulot! rétorqua Olivetti d'une voix dure comme la pierre. Monsieur Langdon, quand vous m'avez dit que vous
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m'expliqueriez la situation en route, j'en ai déduit que j'arriverais au Panthéon avec une notion claire de la raison pour laquelle mes hommes sont ici. Ce n'est pas le cas. Comme je délaisse des obligations cruciales en vous accompagnant et comme je ne vois rien de très solide dans votre théorie sur la poésie ancienne et les sacrifices de jeunes agneaux, je ne peux pas, en toute conscience, continuer ce petit jeu. J'annule cette mission.
Il sortit son talkie-walkie et appuya sur ON. Vittoria se pencha et lui agrippa le bras.
— Vous ne pouvez pas!
Olivetti reposa le talkie-walkie et lui décocha un regard furibond.
— Connaissez-vous le Panthéon, mademoiselle Vetra?
— Non, mais je...
— Laissez-moi vous dire quelque chose. Le Panthéon se compose d'un unique espace, une salle circulaire faite de pierre et de ciment. Il n'y a qu'une seule entrée. Étroite. Cette entrée est en permanence gardée par quatre policiers romains armés qui protègent ce sanctuaire des vandales, des terroristes antichrétiens et des pickpockets roms.
— Et alors...?
— Alors? reprit Olivetti en agrippant le dossier du fauteuil.
Alors ce que vous venez de me dire est totalement impossible!
Donnez-moi un seul scénario plausible: comment peut-on tuer un cardinal à l'intérieur du Panthéon? Et comment fait-on entrer un otage dans le Panthéon, devant les gardes, pour commencer, sans parler de le tuer et de s'enfuir après? (Olivetti s'était retourné et projetait au visage de Langdon son haleine chargée de café.) Comment, monsieur Langdon? Un scénario plausible, c'est tout ce que je vous demande.
Langdon sentit la petite voiture rapetisser autour de lui.
— Je n'en ai pas la moindre idée! Je ne suis pas un assassin! Je ne sais pas comment il a l'intention de le procéder! Tout ce que je sais...
— Un scénario? railla Vittoria d'une voix imperturbable.
Comment trouvez-vous celui-là: Le tueur arrive en hélicoptère et
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jette un cardinal hurlant par l'ouverture de la coupole. Le cardinal meurt en s'écrasant sur le sol de marbre.
Trois paires d'yeux se tournèrent en même temps vers Vittoria. Langdon ne savait pas quoi penser. Vous avez trop d'imagination, ma belle, songea-t-il, mais vous êtes sacrément rapide.