Le triomphalisme de l'inscription latine qui s'étalait sur l'architrave l'amusait en revanche toujours autant. M. AGRIPPA L
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F COS TERTIUM FECIT: Edifié par Marcus Agrippa, fils de Lucius, consul pour la troisième fois.
Quelle humilité! se dit-il en balayant du regard les abords de l'ancien temple. Quelques touristes errant, armés de caméras vidéo, d'autres savourant, à la terrasse de la Tazza di Oro, le meilleur café glacé de Rome. Devant l'entrée du Panthéon, quatre policiers montaient la garde, l'arme au poing, comme l'avait annoncé Olivetti.
— Cela m'a l'air plutôt calme, fit Vittoria.
Langdon hocha la tête, mais il était inquiet. Maintenant qu'il se trouvait sur place, leur plan lui semblait totalement insensé.
Vittoria lui faisait apparemment confiance, mais il avait pu se tromper en déchiffrant le poème... Il se récita le premier vers. «
De la tombe terrestre de Santi, où se découvre le trou du Diable. »
Oui, se dit-il, c'est sûrement ça. La tombe de Santi. Combien de fois n'avait-il pas contemplé le tombeau de Raphaël sous la coupole?
— Quelle heure est-il? demanda Vittoria.
— 19 h 50. Le spectacle ne va pas tarder à commencer.
— J'espère que ces flics sont des pros, fit-elle en regardant les touristes entrer dans le Panthéon. Il ne sera pas facile d'échapper à une fusillade sous cette coupole.
Langdon poussa un soupir en l'entraînant vers le portique. Le pistolet pesait dans sa poche. Il retint son souffle en passant devant les policiers. Que se passerait-il s'ils le fouillaient? Mais ils ne parurent même pas le remarquer. L'image du couple d'amoureux qu'il formait avec Vittoria devait être convaincante.
Il chuchota à l'oreille de sa compagne:
— Vous vous êtes déjà servie d'un pistolet, autrement que pour vos seringues de sédatif?
— Vous ne me faites pas confiance?
— Je vous connais à peine...
— Et moi qui croyais qu'on était des jeunes mariés!
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Langdon et Vittoria pénétrèrent dans l'atmosphère humide et fraîche de la rotonde. La grandiose coupole s'élevait sans aucun soutien à plus de quarante-trois mètres au-dessus de l'épaisse muraille circulaire – plus vaste encore que celle de la basilique Saint-Pierre. Au sommet, la célèbre ouverture circulaire, laissait entrer un mince rayon de soleil couchant. Le
« trou du Diable », se répétait Langdon.
Ils avaient atteint leur but.
Le regard de Langdon parcourut l'immensité de la voûte qui les surplombait, avant de redescendre le long des trois étages du mur cylindrique, jusqu'au sol de marbre poli sous leurs pieds. Le grand dôme résonnait de bruits de pas étouffés et de chuchotements. Il observa un à un les visages de la dizaine de touristes qui déambulaient dans le grand espace clair-obscur. Le tueur est-il l'un d'eux?
— C'est aussi calme que dehors, remarqua Vittoria, sans lui lâcher la main.
Il hocha la tête.
— Alors, où est la tombe de Raphaël? demanda-t-elle.
Il réfléchit un instant, regarda autour de lui. Des tombeaux, des autels, des colonnes... D'un signe de tête, il la lui indiqua sur leur gauche.
— Je crois que c'est celle-là.
Vittoria examinait les visiteurs.
— Je ne vois personne qui ressemble à un tueur sur le point d'assassiner un cardinal... Si on faisait le tour complet?
— Oui. Allons inspecter les niches. Ce sont les seuls endroits où quelqu'un pourrait se cacher.
— Celles qu'on voit tout autour?
— C'est cela, les alcôves creusées dans le mur.
Sur tout le pourtour de l'édifice, alternant avec les tombeaux, une série de cavités en demi-cercle s'ouvraient dans la muraille. Bien que peu profondes, elles constituaient des recoins parfaits où se dissimuler dans l'ombre. Elles avaient autrefois abrité les statues des dieux de la Rome antique, que le Vatican avait
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détruites lors de la conversion du temple en église chrétienne. Le cœur serré, l'historien d'art de Harvard constata immédiatement que le jalon du premier autel de la science des Illuminati avait fatalement disparu. Il se demanda ce qu'il avait pu représenter autrefois, et vers quel autre monument romain il pouvait bien conduire les pas des adeptes. Il ne pouvait rien imaginer de plus excitant que de découvrir une trace de l'ancienne société secrète — la statue qui ouvrirait subrepticement la Voie de l'Illumination, et qui lui apprendrait le nom de ce fameux sculpteur anonyme.
— Je fais le tour par la gauche, dit Vittoria. Prenez à droite. Je vous retrouve dans cent quatre-vingts degrés.
Langdon répondit par un sourire crispé. L'horreur sinistre de cette histoire le faisait frissonner. En longeant sa moitié de circonférence, il lui semblait entendre la voix du tueur chuchoter dans le grand vide de la rotonde. « À 20 heures. Des agneaux sacrifiés sur les autels de la science. Une progression mathématique vers la mort. 20 heures, 21 heures, 22 heures, 23
heures... et minuit. »
Langdon vérifia sa montre: 19 h 52. Huit minutes.
Dans la première niche de droite se trouvait le tombeau du premier roi de l'Italie unifiée. Comme c'était fréquent à Rome, le sarcophage était disposé de biais par rapport au mur, ce qui semblait perturber le groupe de visiteurs qui le contemplait.
Langdon ne prit pas le temps de leur expliquer la raison de cette maladresse apparente. Les tombeaux chrétiens n'obéissaient pas forcément à la logique architecturale des bâtiments qui les abritaient. L'essentiel était qu'ils soient tournés vers l'est, en raison d'une ancienne superstition que Langdon avait évoquée en cours de sémiologie, pas plus tard que le mois précédent.
— C'est parfaitement incongru! avait lancé une étudiante, au fond de la salle, après l'explication que venait de développer le professeur. Pourquoi les chrétiens tenaient-ils tant à être enterrés face au soleil levant? Ils ne pratiquaient tout de même pas le culte du soleil!
Langdon faisait les cent pas devant le tableau en grignotant une pomme.
— Monsieur Hitzrot!
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Un jeune homme qui sommeillait sur sa chaise se redressa en sursaut:
— Qui? Moi?
Langdon lui montra du doigt la reproduction d'un tableau Renaissance affichée au mur de la classe:
— Qui est cet homme agenouillé devant Dieu?
— Euh... C'est un saint?
— Génial! Et comment le savez-vous?
— Parce qu'il a une auréole au-dessus de la tête...?
— Excellente réponse. Et cette auréole vous rappelle-t-elle quelque chose?
Un sourire ravi apparut sur les lèvres de l'étudiant.
— Oui! Ces trucs égyptiens qu'on a appris au dernier trimestre... les disques solaires!
— Merci, Hitzrot. Vous pouvez vous rendormir.
Le professeur s'adressa à toute sa classe:
« Comme bien d'autres éléments de la symbolique chrétienne, les auréoles des saints sont héritées du dieu Râ des anciens Égyptiens. Le christianisme est truffé de réminiscences du culte solaire. »
— Excusez-moi, demanda une jeune fille au premier rang.
Je vais à la messe tous les dimanches, et je n'en vois pas vraiment les traces...
— Tiens donc? Quelle fête célébrez-vous le 25
décembre?
— Noël, la naissance de Jésus-Christ.
— Et pourtant, si l'on en croit les évangiles, Jésus serait né au mois de mars. Que fêtons-nous donc le jour de Noël?
Silence général.
« Mes chers amis, le 25 décembre correspond à l'ancienne fête païenne de sol invictus – le soleil invincible – qui coïncide avec le solstice d'hiver, cette date miraculeuse qui marque le retour de l'astre solaire, et l'allongement de la durée des jours.
Langdon s'offrit une nouvelle bouchée de sa pomme. »