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Kohler l'ignora et continua d'avancer. Quelqu'un cria, à l'autre extrémité de la pelouse:

— S'il vous plaît!

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Langdon tourna la tête. Un alerte septuagénaire aux cheveux blancs et en sweat-shirt Université de Paris lui adressa un petit signe de la main. Langdon ramassa le frisbee et le renvoya avec habileté. Le vieillard le rattrapa d'un doigt et le fit virevolter plusieurs fois avant de le réexpédier à son partenaire par-dessus son épaule, tout en criant « merci! » à Langdon.

— Félicitations, fit Kohler quand Langdon le rejoignit. Votre partenaire de frisbee se nomme Georges Charpak, prix Nobel de physique et inventeur de la chambre proportionnelle multifils.

Langdon acquiesça — son jour de chance, en somme.

Trois minutes plus tard, Langdon et Kohler arrivaient enfin à destination: un bâtiment résidentiel situé au milieu d'un bosquet de trembles. Nettement plus cossu que les autres, se dit Langdon en l'examinant. La plaque, au-dessus de la porte d'entrée, indiquait Bâtiment C. L'imagination n'est pas leur fort.

Pourtant, malgré la sécheresse de cette désignation, le bâtiment C

cadrait parfaitement avec les options architecturales de Langdon: classique et solide, avec sa façade de briques rouges, sa balustrade ouvragée et ses haies symétriques soigneusement tail ées. Les deux hommes passèrent sous un porche soutenu par deux colonnes en marbre. Sur l'une d'elles, quelqu'un avait griffonné: CETTE COLONNE EST IONIQUE

Des physiciens tagueurs? Cette pensée fit sourire Langdon.

— Je ne suis pas fâché de voir que même d'aussi brillants physiciens peuvent commettre des erreurs.

Kohler se retourna.

— Que voulez-vous dire?

— Que celui qui a écrit ce message s'est trompé. Il ne s'agit pas d'une colonne ionique. Les colonnes ioniques sont d'une largeur égale de bas en haut. Celle-ci est fuselée. Elle est dorique, c'est la variante continentale. C'est une confusion fréquente.

Kohler accueillit cette remarque par un rictus suffisant.

— Son auteur plaisantait, monsieur Langdon. Il pensait aux ions, ces particules chargées d'électricité que l'on trouve dans la plupart des objets qui nous entourent.

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Langdon jeta un coup d'œil sur la colonne et grommela vaguement.

Il se sentait toujours stupide en sortant de l'ascenseur au dernier étage du bâtiment C. Il suivit Kohler le long d'un couloir curieusement décoré en style colonial, avec son divan en merisier, son énorme vase chinois posé sur le sol et ses boiseries sculptées, ce qui ne laissa pas de le surprendre.

— Nous avons fait un effort pour que nos scientifiques en poste dans la maison se sentent comme chez eux, expliqua Kohler.

De toute évidence, se dit Langdon.

— C'est donc ici que vivait l'homme représenté sur le fax?

C'était l'un de vos grands chercheurs?

— En effet, répondit Kohler. En constatant son absence à une réunion, ce matin, nous l'avons appelé sur son pageur. Pas de réponse. Je suis donc monté et c'est ici que je l'ai découvert mort, dans son salon.

Langdon frémit en réalisant tout d'un coup qu'il allait voir un cadavre. Son estomac n'avait jamais été très solide. Il s'en était rendu compte dès l'époque où, encore étudiant, son professeur de dessin lui avait expliqué que Leonardo da Vinci avait acquis son incomparable science du corps humain en déterrant les cadavres et en disséquant leur musculature.

Ils parvinrent à l'extrémité du couloir.

Il n'y avait qu'une porte.

— Le Penthouse, comme on dit aujourd'hui, commenta Kohler en essuyant une goutte de sueur qui perlait à son front.

La plaque de cuivre sur la porte en chêne annonçait: LEONARDO VETRA

— Leonardo Vetra, reprit Kohler, aurait eu cinquante-huit ans la semaine prochaine. Il était l'un de nos plus brillants chercheurs. Sa mort représente une perte immense pour la science.

Pendant un instant, Langdon crut déceler le tressaillement d'une émotion sur le visage impénétrable de Kohler. Mais elle se dissipa

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aussi vite qu'elle était venue. Kohler plongea sa main dans sa poche et en retira un trousseau de clés.

Une pensée dérangeante traversa l'esprit de Langdon. Le bâtiment semblait désert.

— Où sont passés tous les résidents? demanda-t-il.

L'absence totale d'allées et venues aux abords immédiats de la scène d'un crime lui semblait soudain suspecte.

— Ils travaillent dans leurs laboratoires, répliqua Kohler en saisissant la clé.

— Mais la police? insista Langdon. Ils sont déjà partis?

Kohler s'interrompit, la clé à moitié enfoncée dans la serrure.

— La police?

— Dans votre fax, il était bien question d'un homicide, non?

Vous avez certainement dû appeler la police.

— Bien sûr que non!

— Comment?

Kohler plissa ses lourdes paupières.

— La situation est complexe, monsieur Langdon.

Langdon sentit l'appréhension monter en lui.

— Mais enfin, vous avez prévenu les personnes concernées, je suppose?

— À vrai dire, il n'y en avait qu'une, la fille adoptive de Leonardo. Elle travaille aussi au CERN en tant que physicienne.

Dans le même laboratoire que son père. Ils travaillent ensemble.

Mlle Vetra était absente cette semaine, elle faisait de la recherche de terrain. Je lui ai annoncé la mort de son père et elle va nous rejoindre sous peu.

— Mais un homme a été assass...

— L'enquête policière, rétorqua Kohler d'une voix ferme, aura lieu. Mais les enquêteurs voudront certainement fouiller le laboratoire de Vetra, or c'est un espace que lui et sa fille considéraient comme un sanctuaire. La police attendra donc le retour de Mlle Vetra. Je pense que je lui dois bien cet ultime tête-à-tête avec son pauvre père.

Kohler tourna la clé.

La porte à peine ouverte, une bise glaciale s'échappa de l'appartement de Vetra en sifflant. Langdon recula, stupéfait. Il se trouvait au seuil d'un univers insolite: une épaisse brume

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blanchâtre emplissait la pièce et la métamorphosait complètement.

— Mais que diable...? s'exclama Langdon.

— Un système de refroidissement au fréon, répondit Kohler.

J'ai refroidi l'appartement pour préserver le corps.

Langdon boutonna sa veste de tweed pour se protéger du froid.

Je suis au Pays des Merveilles, se dit-il, mais j'ai oublié la formule magique pour rentrer chez moi.

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9

Hideux. Le cadavre était hideux à faire peur. Le défunt Leonardo Vetra était allongé sur le dos, entièrement dénudé, sa peau avait pris un ton bleu-gris. Les vertèbres cervicales, brisées, avaient transpercé la chair à l'endroit de la fracture, apparemment provoquée par une rotation de la tête à 180 degrés. On ne voyait pas son visage, pressé contre le sol. Il gisait dans une flaque d'urine gelée, sa propre urine; les poils pubiens qui entouraient ses organes génitaux ratatinés étaient hérissés par le gel.

Luttant contre une nausée de plus en plus violente, Langdon observa le torse de la victime. Il avait beau avoir détaillé cette blessure très attentivement sur la télécopie, la brûlure était beaucoup plus impressionnante dans la réalité. Le bourrelet de chair grillée était parfaitement dessiné et le symbole se détachait avec une absolue netteté. Langdon se demanda si le frisson qui le parcourait était dû à l'air glacial ou à sa stupéfaction devant le spectacle qu'il venait de découvrir.

Son cœur cognait à grands coups tandis qu'il faisait le tour du cadavre pour lire le même mot, répété identiquement à l'endroit et à l'envers comme pour proclamer le génie de la symétrie. Ce symbole paraissait encore moins vraisemblable maintenant qu'il l'avait sous les yeux.