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Ils coururent dans l’eau, mais ils avançaient comme dans une scène au ralenti. Des voix espagnoles se mirent à hurler. Un coup de fusil retentit et percuta l’eau une dizaine de mètres plus loin. Un autre suivit. Sharko prit la main de Florencia et la tira à lui, mais il sentit de la résistance.

La jeune femme avait la main sur la poitrine, la bouche ouverte.

Une fleur rouge fleurissait sur son poncho.

— Non… Non… souffla Sharko.

Il la tira jusqu’à une rangée de roseaux derrière laquelle il s’abrita. Le faisceau lumineux cherchait, fouillait. Des balles faisaient gicler l’eau vraiment tout près.

— Tenez bon, fit-il en lui caressant le front.

Un râle sortit de sa gorge. Elle trouva la force de parler :

— Miguel Gomez… Il est un… journaliste qui a enquêté… sur La Colonia. Je… sais pas où… il habite… Essayez de… le retrouver… Il vous dira sûrement… la vérité…

Sharko tenta de la soulever, de la porter à bout de bras, mais la douleur dans son genou le foudroya.

Du sang sortait désormais de la bouche de Florencia.

Poumon percé. Sa gorge sifflait étrangement.

Son visage se figea, ses yeux restèrent grands ouverts, fixant le néant. Sharko la serra contre elle.

Puis il lâcha le corps délicatement.

Le visage disparut, englouti par le marais. Les petites particules verdâtres reprirent leur place, comme si Florencia n’avait jamais existé.

Avalée par les abysses, avec les autres.

Les bateaux étaient en train de contourner une ultime bande de végétation.

Ensuite, ils l’auraient en ligne de mire.

Sharko se rua vers la berge.

Une balle se logea à quelques centimètres alors qu’il disparaissait en boitillant vers les bois. Un véhicule était bien là, au bord d’une petite clairière.

La portière était ouverte, la clé était en effet sur le contact. Franck s’enfonça dans l’habitacle et démarra au quart de tour.

Il vit les hommes débarquer du bateau dans son rétroviseur, les fusils entre les mains. Ils se ruèrent dans sa direction en criant. D’autres coups de feu claquèrent.

Il appuya sur la pédale d’accélération et fonça droit vers le néant.

Des larmes coulaient sur ses joues.

69

Sharko roulait vers le sud, l’œil rivé au rétroviseur.

Aucune trace des tueurs.

Pour le moment.

Ses poursuivants avaient dû être démunis lorsqu’ils étaient arrivés de ce côté des marais et l’avaient vu leur filer sous le nez en voiture. Mais ils avaient certainement contacté leurs acolytes restés à proximité de l’hôpital. Des voitures s’étaient probablement lancées à sa poursuite. Aussi, le flic avait bifurqué, prit des routes au hasard, traversé des villages de fin du monde.

La colère bouillait en lui. Florencia était morte en l’aidant à s’échapper. Ils l’avaient abattue de sang-froid pour l’avoir, lui. Sharko ne garderait, de cette femme, que le souvenir de ce visage qui l’avait sorti des ténèbres.

Elle lui avait sauvé la vie.

Franck avait retrouvé son portefeuille et son passeport dans la boîte à gants. Il ne tenait plus debout, puait la vase, ses vêtements avaient pris une teinte marron, étaient couverts de végétaux. Ses Beryl étaient mortes.

Lorsqu’il se sentit dans une sécurité toute relative, il stoppa dans la première grande ville qu’il trouva, Empedrado, planqua sa voiture dans une petite rue et resta dans l’habitacle, grelottant. Il poussa le chauffage à fond et attendit que le jour se lève.

Il n’y avait pas un chat dans les rues. En rentrant dans une petite boutique de prêt-à-porter qui venait juste d’ouvrir, le lieutenant effraya le vendeur. Le magasin se trouvait face à un hôtel, l’America’s Best Inns. C’était un véritable foutoir, qui semblait également abriter une habitation à l’étage.

Sharko étala des billets sur le comptoir et demanda à prendre une douche et à passer un coup de fil. Le vendeur, d’abord méfiant, finit par accepter devant les trois billets de mille pesos. Le flic, de surcroît, acheta un jean, un tee-shirt gris, un pull en laine et une des paires de Converse en cuir noir qui habillaient les mannequins de la vitrine.

Sans poser de questions, le vendeur l’emmena dans une petite salle de bains et ferma la porte derrière lui. Le lieutenant se glissa sous la douche chaude et ressentit un soulagement infini. Il leva les yeux vers le pommeau, la bouche grande ouverte, et se savonna à s’en arracher la peau.

De l’eau chaude, la propreté, l’odeur du savon…

Franck se massa la jambe. La douleur, dans le genou, se faisait toujours aussi lancinante, mais le flic se dit qu’il tiendrait le coup. Il le fallait. Il ne pouvait pas se permettre de se pointer à l’hôpital ou chez un médecin.

Il se rhabilla dans ses nouveaux vêtements — jean noir, pull —, laça ses chaussures et sortit, remerciant le vendeur qui lui prêta son téléphone portable. Sharko s’éloigna dans le magasin et appela Lucie. Lorsqu’elle décrocha, il eut envie de lâcher toutes les larmes de son corps.

Mais il tenta de se retenir.

La petite voix retentit.

— Franck… J’étais morte d’inquiétude, je n’arrête pas d’essayer de te joindre. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Sharko gonfla ses poumons.

— Rien, Lucie, rien de grave. On… On a piqué ma bagnole de location, et le téléphone était à l’intérieur. Un vol con, mais ça m’a causé pas mal de soucis.

— Tu es sûr que tout va bien ?

— Parfaitement. Et toi, comment ça se passe ?

Lucie signifia à Nicolas, d’un geste, que Franck était en ligne et que ça allait. Ils marchaient tous deux en direction du laboratoire d’anatomie. La flic essaya de peser ses mots, évitant de parler de sa sinistre aventure dans la maison brûlée pour sauver Nicolas.

— C’est… très compliqué, ici, je t’expliquerai plus en détail quand tu rentreras. Mais sache qu’on a retrouvé celui qui a kidnappé Camille. Il s’appelle lui aussi Camille… Camille Pradier.

— Et notre Camille ?

— Toujours aucune trace.

— Pradier n’a pas encore parlé ?

— Il a eu un accident de voiture en fuyant, il est décédé à l’hôpital.

Sharko écrasa son poing sur un étal en bois où reposaient pêle-mêle des casquettes et des bonnets.

— Merde.

— Là, je me rends avec Nicolas dans le laboratoire d’anatomie où il bossait, il y a au moins un corps de tatoué.

— On garde espoir, d’accord ? J’avance pas trop mal de mon côté. Je… je faisais une petite pause, mais je vais me remettre en route. Direction la ville d’Arequito. Je pense que c’est là-bas que je trouverai un journaliste qui pourra m’éclairer sur l’affaire de La Colonia del Montes.

— Arequito, c’est là où Florès s’est rendu en arrivant en Argentine ?

— Exactement. Je remonte la piste à l’envers. Je pense que, dans le cadre de son enquête, il est allé voir ce journaliste en premier, ensuite l’hôpital de Torres puis a fini à Buenos Aires, pour y trouver El Bendito.

Lucie s’arrêta au bas des marches de l’institut d’anatomie.

— On est arrivés, Franck. Je vais devoir te laisser.

— Comment vont les jumeaux ?

— Ma mère s’occupe très bien d’eux. Elle les adore, les emmène au parc. Mais… elle sent bien que quelque chose ne tourne pas rond avec notre enquête. Ça devient difficile de lui cacher la vérité.

— Tu as une toute petite voix. Tu devrais te poser un peu, récupérer.