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Il lança des impressions depuis son ordinateur et alla chercher les feuilles, qu’il tendit à Nicolas.

— Voilà les divers chirurgiens suspectés d’être impliqués dans le trafic. Ils sont tous originaires des pays de l’Est, sauf deux. Lui, c’est Hassan Ertuğrul, un chirurgien turc qui pratiquait les transplantations en Turquie, avec les organes directement venus d’Albanie. Disons qu’il était… le greffeur.

Lucie et Jacques Levallois s’étaient rapprochés.

— Il est mort il y a deux ans d’un cancer, m’a expliqué le gendarme.

Robillard désigna une seconde feuille et pointa un homme aux traits hispaniques. Grand, puissant, avec un nez aquilin et de petits yeux noirs sous d’épais sourcils. La cinquantaine.

— Et le second étranger, c’est Claudio Calderón. Accrochez-vous. C’est un ophtalmologue argentin.

Tous furent sous le choc.

— Un Argentin… Ophtalmologue qui plus est…, fit Nicolas. Ça colle bien avec les énucléations et les monstruosités faites sur les yeux d’El Bendito

Bellanger acquiesça avec conviction.

— Trop âgé pour être Charon, mais bien possible qu’il soit notre quatrième homme. On ignore comment il est arrivé en Albanie, ainsi que les raisons profondes qui l’ont poussé là-bas. On l’appelait le docteur Vautour. À Medicus, il prélevait, entre autres, les cornées. Ce sont des tissus qui font l’objet d’une très forte demande sur les listes d’attente et qui présentent l’avantage de ne pas poser de problème de compatibilité, donc de rejet, contrairement aux reins. Mais Calderón avait des capacités de chirurgie générale, il était très doué. Assisté d’un ou deux spécialistes, il s’occupait en définitive de tous les organes. C’était lui le chirurgien soupçonné d’être le plus impliqué dans le trafic de la clinique Medicus.

— Jamais arrêté ?

— Non. Son nom est un jour ressorti dans l’affaire de la Maison jaune, avant que les papiers disparaissent. Le dossier n’est qu’un château de cartes, la justice traîne. Les personnes qui auraient pu parler se sont mystérieusement rétractées ou volatilisées. Tout comme le docteur lui-même, d’ailleurs. Il semblerait qu’on ignore où il se trouve. Jacques vient de lancer une requête pour une recherche d’identité et de domiciliation sur notre territoire.

Bellanger acquiesça.

— C’est bien. Et on connaît le parcours de ce Calderón avant l’Albanie ?

— D’après les infos du gendarme, l’homme venait directement d’Argentine. Il bossait dans une clinique d’ophtalmologie, à Corrientes. Il n’en sait pas plus.

Les flics se regardèrent. Les pièces du puzzle s’emboîtaient enfin. Nicolas tira les conclusions qui s’imposaient :

— Il semblerait donc que Mickaël Florès se soit mis à enquêter sur les trafics d’organes en 2009. Comme à son habitude, il a voulu creuser le sujet, aller au fond des choses. Au courant du trafic en Albanie, il s’est rendu à Medicus, à Rripe, pour obtenir des clichés, sans doute. Photographier les habitants de la Maison Jaune, d’anciens médecins, des personnes impliquées… Capter leurs regards fous. En tout cas, son enquête l’a fait se pencher sur la personnalité de Calderón. Alors, il s’est rendu en Argentine, pour remonter aux origines et essayer de comprendre comment Calderón en était arrivé là. Ou alors, il voulait carrément le retrouver, l’interroger, le photographier…

— Et ça l’a peut-être conduit jusqu’à l’hôpital psychiatrique où est allé Franck. Puis vers Mario… Puis Charon, ajouta Lucie.

— Ce n’est qu’une hypothèse, mais il faut avouer que l’ensemble se tient très bien.

Nicolas se frotta le menton tout en réfléchissant. Son cerveau était en ébullition, soulevant les questions, répondant à certaines. Il revint vers ses subordonnés.

— On sait où finissent nos victimes, annonça-t-il d’une voix assurée. Dans un laboratoire d’anatomie du CHR d’Orléans. C’est-à-dire sur le sol français. Or, la durée de vie d’un organe prélevé n’est pas infinie, à ce qu’il me semble.

— Quatre heures pour un cœur environ, fit Robillard. Le double pour un foie…

— C’est extrêmement court. S’il y a un trafic d’organes, il y a forcément des receveurs. Des gens qui ont… accepté de se faire greffer illégalement. Qui ont payé cher pour ça. Peut-être qu’ils sont français. Qu’ils vivent pas loin d’ici. Qu’ils sont « ceux qu’on ne voit pas ».

Il n’arrêtait pas de regarder sa montre, comme s’il n’imprimait plus ce qu’il voyait, comme s’il oubliait au fur et à mesure. Pourtant, son cerveau carburait à plein régime. Il fixa Robillard.

— Pascal, essaie de te rencarder sur le sujet des trafics d’organes, voir s’il y a un moyen quelconque de remonter jusqu’à des receveurs illégaux. Ces gens-là ont forcément, à l’origine, un dossier médical lourd. Ils ne peuvent pas être totalement invisibles.

— Tu voudrais procéder comme pour la came ? On chope le consommateur, et ça nous permet de remonter au dealer ?

— Exactement. Inutile de te dire que… que le temps presse.

— C’est bien le problème. Remonter un trafic, ça prend du temps, des semaines, des mois, ça demande des ressources. Ça ne peut certainement pas se résoudre en quelques jours.

— Je m’en doute, bordel ! Mais fais ton possible, OK ?

Nouveau coup d’œil sur sa montre. À cran, il se tourna vers Lucie.

— Occupe-toi des facturettes d’essence. Triture-moi ça dans tous les sens. Je veux des résultats, des réponses.

Lucie acquiesça en silence.

— Quant à toi, Jacques, t’as du neuf sur Pradier ? Son passé ? Son historique informatique ?

— Je suis en train de collecter tout ce que je peux sur lui. J’ai contacté les administrations, je ne peux pas aller plus vite que la musique, malheureusement.

— Si, il faut aller plus vite que la musique. Je veux aussi des infos sur Calderón, savoir s’il est en France. J’ai un contact aux impôts. Ça permettra de tout court-circuiter. Je vais te le donner. Suis-moi.

Ils sortirent. Lucie et Robillard se regardèrent, l’air soucieux.

— Je m’inquiète vraiment pour lui, murmura Lucie.

— Tu n’es pas la seule. Il croit que tout peut se faire comme ça, d’un claquement de doigts. Il est en train de péter un câble.

Lucie soupira et se pencha sur les facturettes d’essence de Camille Pradier, reçues par mail. Il y en avait des centaines. Elles étaient classées par ordre chronologique, la plus ancienne datait de sept ans plus tôt, et la dernière d’une semaine. Encore un signe de la méticulosité, de la maniaquerie de Pradier.

Lucie avait l’impression de perdre son temps, mais elle s’y plongea. En plus de la date et de diverses informations liées au carburant, les facturettes indiquaient l’adresse de la pompe à essence. Les deux endroits qui revenaient le plus souvent étaient ceux d’une station-service d’Orléans et une autre d’Antony, au sud de Paris. Toujours tard, sur Antony, et le dimanche. Sans aucun doute lié à la descente de Pradier au Styx.