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— Demain, on t’attend au bureau. Difficile de rester loin de tout ça, hein, quand l’autre moitié part tous les jours au charbon ?

— Au lieu de fuir, on est comme irrémédiablement attirés. Même si ça nous fait mal et que, une fois dedans, on ne demande qu’à en sortir. C’est chaque fois pareil. Affaire après affaire, année après année. Il m’arrive souvent de haïr ce métier et, l’instant d’après, de me dire qu’il n’y a rien de mieux.

— Je suis du même avis, fit Camille. Il doit y avoir mieux que de passer ses journées en compagnie de cadavres, et pourtant…

La jeune femme demanda à se rendre aux toilettes. Lucie la regarda s’éloigner, il n’avait suffi que de quelques mots pour qu’elle accroche avec Camille. Sans doute parce qu’elles avaient les mêmes origines et que, il y a quelques années encore, elle aussi exerçait encore dans le Nord. Elle prit la veste de Bellanger et l’accrocha au portemanteau. Le capitaine de police mit les mains dans les poches de son jean, restant debout.

— Bon, je dois t’avouer que je ne crache pas sur des cellules grises supplémentaires, confia-t-il à Lucie. Pascal et Jacques ont la tête sous l’eau. Moi, je suis carrément noyé. Je tape à droite, à gauche, dans les autres équipes pour un peu d’aide, mais beaucoup de gars sont en congé. Ce fichu pont du 15 août est une vraie plaie.

— On ne peut pas reprocher aux gars d’être en vacances. En tout cas, heureuse d’en être. Mon bureau me manque.

— Tes ardeurs risquent d’être vite calmées, quand tu sauras. T’as pas cuisiné du saignant, j’espère ?

— J’ai dû faire dans l’urgence et l’efficacité. Spaghettis bolognaise.

— Avec le vin, ce sera parfait.

— C’est incroyable, cette histoire de greffe et de rêves dont tu m’as parlé au téléphone, murmura Lucie. Il y a encore des choses en ce bas monde qui ne trouvent pas d’explications, c’est rassurant, quelque part. Moi, je crois à tout ça. Les visions, les esprits, les coïncidences troublantes qui ne seraient pas que des coïncidences. Tout ce qui sort de la logique.

— Le plus horrible, là-dedans, c’est l’origine de son cœur. Porter un morceau de tueur en soi. C’est pire que… qu’avoir une grenade dégoupillée au fond de la poitrine.

Ils se turent lorsque Camille les rejoignit, et Sharko arriva dans la foulée avec des baguettes.

Bellanger fit de nouveau les présentations de cette équipe improbable : flic, chef, mère, gendarme, tous unis autour d’obsessions communes, avec cette même volonté d’aller au bout, de comprendre et résoudre.

Franck alla jeter un œil aux jumeaux endormis, les deux petites frimousses lui avaient manqué. Il caressa le front de Jules, le petit pli d’Adrien, puis retourna avec les autres.

Ils s’installèrent autour de la table du salon, transformant la pièce en une espèce de centre de commandement, distribuant de quoi écrire à chacun. Lucie avait servi l’apéritif : Martini rouge pour Camille et elle, whisky pour les hommes.

La gendarme du Nord ne refusa pas l’alcool, ce n’était pas un verre qui la tuerait. Elle sourit intérieurement à ce trait d’esprit et observa à la dérobée les porte-bébés, les bavoirs et les biberons qui traînaient un peu partout. Puis elle jeta un œil aux deux flics, en face d’elle. Franck et Lucie… Comment s’étaient-ils rencontrés ? Ils semblaient heureux, en tout cas, et s’aimaient. Ça se voyait à leurs regards, à leur complicité.

Nicolas Bellanger, quant à lui, resta debout, les mains appuyées sur le bois, sa pochette et un paquet de cigarettes devant lui. Il avait mal aux articulations, un peu au crâne à cause des comprimés excitants, mais se garda bien de le montrer.

Il fixa Camille dans les yeux.

— Je vais devoir faire passer la pilule à mon commissaire divisionnaire en lui expliquant que je vous mets au courant. Aussi, je ne vous cache pas que j’ai fait une requête concernant vos états de service. Discrètement, bien sûr. Ils sont irréprochables.

— Merci.

— Je vais faire passer ça comme on fait avec les indics. Ils existent sans exister, leurs noms ne figurent nulle part, mais ils aident. Ça vous va ?

— Parfait.

— Rien de ce qu’on va se dire ne doit sortir d’ici, je veux être le seul référent, le seul juge de ce qui doit être fait ou pas. On doit être carrés, rien ne doit filtrer.

— Nos intérêts sont communs, répliqua Camille.

Bellanger approuva, au moins elle n’était pas contrariante. Il se tourna vers Lucie.

— Quant à toi, j’ai fait tout ce qu’il faut auprès de l’administratif. Tu signeras quelques papiers demain matin, en arrivant au 36. Officiellement, tu réintègres. Tout le monde est OK ?

Il récolta une série d’acquiescements, puis revint vers la nouvelle recrue. Il parut troublé une fraction de seconde. Durant tout le trajet, il avait eu en tête l’image de cette grande silhouette qui lui tournait le dos, à Étretat. Quelque chose l’avait marqué à ce moment-là, sans qu’il puisse en définir la raison.

— Euh… Je propose que vous commenciez par nous raconter en détail votre enquête. Ensuite, on vous délivrera tout, depuis le début, à Lucie et vous. Car, comme vous l’avez peut-être déjà compris, Lucie abrège son congé maternité. Elle vient d’être maman…

— … de jumeaux visiblement, termina Camille. Mes félicitations.

— Merci.

Camille adressa un sourire amical à Sharko, porta son verre à ses lèvres et en but une petite gorgée. Elle n’avait jamais touché à une goutte d’alcool de sa vie, mais le goût sucré ne lui parut pas si inconnu que cela. C’était plutôt agréable, comme la peau d’une pêche sur la langue.

— Très bien, fit-elle. Sans mensonges ni tabous.

Et elle se mit à tout expliquer depuis le début. Sa greffe l’année d’avant, les rêves récurrents, son obsession de retrouver le propriétaire du cœur, qui l’avait menée jusqu’à Daniel Loiseau.

Elle expliqua la notion de mémoire cellulaire, concept qui souleva beaucoup d’interrogations. Puis elle parla aussi de sa visite chez Mickaël Florès. Oui, elle était entrée par l’arrière parce que c’était défoncé, et que, au fond d’elle-même, quelque chose l’y avait poussée.

— Il faut que je vous montre un truc, confia-t-elle. C’est dans le coffre de ma voiture, et ce serait peut-être… malvenu de l’amener ici.

— Pourquoi donc ? répliqua Lucie.

— J’ai trouvé un petit cercueil dans le grenier de Florès.

Elle fixa Nicolas, qui la regardait avec gravité.

— J’ai jeté un œil, avoua-t-elle. Vu l’état de la toiture, je me suis inquiétée. Le cercueil devait être caché derrière un ensemble de rouleaux de laine de verre, mais la tempête l’a mis au jour. Je… je l’ai emporté.

— Faites voir, fit Bellanger.

La voiture de Camille était garée juste en bas de la résidence. Ils descendirent tous pour observer les petits ossements. Lucie se força à regarder, mais elle éprouva un dégoût profond. Le crâne n’était pas plus gros que celui de ses jumeaux. Sharko lui prit la main.

Cinq minutes plus tard, ils étaient tous, de nouveau, autour de la table, avec l’album photo des Florès, la photo de Maria encadrée des deux religieuses et son enveloppe devant eux. Les os étaient passés du coffre de Camille à celui de Nicolas Bellanger.

— Un collègue à moi qui n’est au courant de rien m’a aidée à localiser cette Maria, dit Camille. Elle s’appelle Maria Lopez, elle est actuellement internée dans un hôpital psychiatrique proche de Barcelone. C’est là-bas que doit se poursuivre ma route.

Elle pointa du doigt le ventre bombé sur le cliché en noir et blanc.