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La psychiatre s’exécuta, parlant d’une voix douce. Maria Lopez se contracta plus encore, ses genoux étaient presque collés à son menton. Elle se mit à pleurer. Puis, d’un coup, ses jambes se détendirent, lançant violemment ses deux pieds devant elle. Elle ne heurta que le vide. Elle se leva, tituba et se rua vers la gendarme, frappant des deux poings au hasard, presque au ralenti. Camille lui attrapa les poignets, elle s’agitait désormais comme une forcenée et lui colla des coups dans les tibias. Elle se mit à hurler.

— ¡ Me robaron mi niño ! ¡ Me robaron mi niño !

Un infirmier arriva dans les trente secondes et la maîtrisa, aidé par Camille. Elle ne se calmait pas, son visage se tordait de colère, si bien que la psychiatre lui administra un sédatif. Dix secondes plus tard, elle sombrait. On la reposa sur son lit.

Camille reprit son souffle. La psychiatre l’invita à sortir et referma derrière elle.

— Je suis désolée, fit-elle.

— Elle a bien dit : « Ils m’ont volé mon enfant » ?

La psychiatre s’arrêta net dans le couloir et lui demanda la photo. Camille la lui tendit.

— Des religieuses, dit-elle à voix basse.

— Ça vous parle ? demanda Camille.

Castilla retourna le cliché.

— Maria, Valence. Elle est dans une Casa cuna

— Qu’est-ce que c’est, une Casa cuna ?

Elle rendit la photo et regarda la gendarme gravement.

— Un centre pour jeunes femmes enceintes, comme il en existe de nombreux à travers l’Espagne.

Elle désigna le ventre bombé de Maria.

— Je pense que ce bébé existe, confia-t-elle. Vous cherchez à connaître son identité, je présume ? C’est la raison de votre venue ici et de votre rencontre avec Maria ?

— En partie, oui.

Marisa Castilla sembla hésiter, puis dit :

— Suivez-moi.

Elle se dirigea vers son bureau, feuilleta un gros répertoire puis composa un numéro. Elle parla quelques minutes en espagnol et raccrocha.

— Filez tout de suite à Valence, c’est à deux heures de train. Il y a là-bas un historien du nom de Juan Llores, on a parlé beaucoup de lui dans nos journaux et il a déjà eu un proche hospitalisé dans notre structure. Je le connais bien. Il accepte de vous rencontrer.

Elle nota son identité sur un coin de feuille qu’elle tendit à Camille.

— Probable que la photo ait été prise à la Casa cuna Santa Isabel de Valence. Juan vous donne rendez-vous devant la porte d’entrée de Santa Isabel à 19 heures.

— Très bien mais… pourquoi ?

— Il y a un scandale qui secoue l’Espagne depuis quelque temps, et dont Maria Lopez semble être l’une des victimes. Ce scandale, c’est celui des bébés volés du franquisme. Allez à Valence, Juan vous expliquera mieux que moi.

44

Le listing envoyé par le CHR était arrivé deux heures plus tôt, aux alentours de 15 heures.

Il y avait presque quatre mille employés au CHR d’Orléans, mais « seulement » cinquante-trois personnes dont les initiales étaient CP ou PC. Lucie avait estimé que l’individu qu’ils recherchaient devait être un homme, quelqu’un capable de transporter une femme, de trancher une tête, de commettre pareilles atrocités. Non pas qu’elle jugeât qu’une femme en était incapable — l’Histoire lui eût facilement prouvé le contraire —, mais le mail « Je suis doué, non ? » indiquait un rédacteur masculin.

Robillard étant occupé à autre chose, c’était elle qui s’était chargée de récupérer le listing et de travailler la première dessus. D’emblée, elle avait mis de côté toutes les femmes. Restaient vingt-neuf identités à vérifier. Cela faisait encore beaucoup trop.

La direction du centre hospitalier avait mis le temps, mais avait bien travaillé. Lucie Henebelle et Pascal Robillard disposaient des nom, prénom, date de naissance, adresse personnelle et fonction des différents employés concernés.

— Quatre d’entre eux ont plus de cinquante-cinq ans, je les ai éliminés d’office, fit Lucie.

— Je n’éliminerais personne, moi, répliqua Robillard. On ne sait jamais.

Il ferma son traitement de texte, il en avait terminé et allait pouvoir aider Lucie. Cette dernière écrasa l’index sur la photo de la tête coupée.

— CP se vantait de ses horreurs. Il était en contact régulier avec Daniel Loiseau, les deux hommes se livraient au petit jeu du : « T’as vu ce que, moi, j’ai fait ? » Ils cherchaient encore à rivaliser, à se prouver quelque chose. Je vois mal quelqu’un de moins de vingt ans faire une chose pareille, et après quarante, on sort un peu des normes…

— Baratin de bouquins, tout ça. Fourniret, il avait quel âge ? Soixante berges ? Tu crois que ça l’a empêché de jouer les docteurs ?

— Oui, mais de manière générale, ces statistiques se vérifient. Alors on va dire qu’on fait confiance aux statistiques dans un premier temps, OK ? On doit aller vite, à l’essentiel.

— Très bien.

— J’ai fait deux paquets, selon les critères d’âge. Ceux entre vingt et quarante ans, et les autres. Si on prend ceux qui entrent dans les normes, il en reste seize. On se fait une petite recherche dans le STIC ?

Le STIC était le fichier des infractions constatées. Lucie s’épongea le front avec de l’essuie-tout. Elle était en nage et plutôt éprouvée par sa première journée de travail. L’air était étouffant malgré les ventilateurs qui tournaient à fond. Pascal Robillard entra au fur et à mesure dans le STIC les noms de tous les hommes qu’elle lui dictait.

— Rien, fit-il. Ils sont tous clean.

— Pas de bol.

— Donne-moi quand même l’autre groupe d’hommes, les hors normes, comme tu dis, que je jette un œil.

Alors que Robillard fouinait dans les fichiers de la police, Lucie se concentra sur sa propre liste. Plus tôt dans l’après-midi, elle s’était renseignée sur le CHR d’Orléans. Il était composé de nombreux sites : hôpital, centre d’accueil pour personnes âgées, laboratoires, instituts de formations paramédicales, de kinésithérapie, de soins d’urgence. Un véritable réseau qui s’étendait sur plusieurs hectares.

Les employés concernés se répartissaient entre les différents hôpitaux et les services du centre universitaire. Difficile, rien qu’avec des fonctions, de cerner leur homme, mais elle se dit qu’il ne pouvait s’agir d’employés de maintenance, qui n’avaient pas accès aux ordinateurs. Or, d’après l’expert en informatique, « CP » se connectait très souvent, y compris la nuit. Cela faisait six individus en moins.

En restaient dix dans sa liste. Trois médecins/enseignants, un médecin urgentiste, deux infirmiers, un cardiologue, un kinésithérapeute, un chef de service de traumatologie et un radiologue. Que des Christian Poidevin, Corentin Panais, ou des Pierre Candelieu, Patrick Chauvert. CP et PC… Ils habitaient tous du côté d’Orléans, à une petite centaine de kilomètres d’ici. Et tous avaient, évidemment, d’excellentes compétences médicales.

Lucie rageait parce qu’elle ne pouvait rien en déduire de plus. N’importe lequel d’entre eux pouvait être celui qu’ils cherchaient.

— J’ai un truc, fit Robillard, l’œil rivé sur son écran.

Lucie prit son stylo.

— Vas-y.

— Christophe Poirier, quarante-quatre ans. Il a été impliqué dans une bagarre en 2010, à la sortie d’un bar à Orléans. Il a failli envoyer un type à l’hôpital. Il bosse en rééducation.