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Lucie nota l’adresse qu’il lui fournit et l’entoura en rouge. Un quart d’heure plus tard, Robillard en avait terminé avec ses recherches.

— Sur les vingt-neuf, c’est donc le seul à être connu des services de police, conclut-il. Mais ça ne veut rien dire, c’était juste une bagarre. Celui qu’on cherche pourrait être n’importe lequel d’entre eux. Dans ta liste comme dans la mienne.

— Je sais, répliqua Lucie en soupirant, je sais.

Elle se leva, nerveuse, regarda encore une fois l’heure.

— Je te vois venir, fit Robillard en l’observant. Tu n’as pas changé depuis un an. Mais on n’aura pas de commission rogatoire avant lundi.

— On peut toujours aller sur le CHR et faire un tir groupé. Voir si on trouve certains de ces employés, juste leur poser quelques questions, parler à leurs collègues. Pas besoin de papiers, pour ça.

Robillard secoua la tête.

— Sans la CR, on ne pourra pas perquisitionner chez eux, au besoin. Et puis, on va galérer comme des fous pour se rendre sur Orléans. C’est un samedi de chassé-croisé, ma grande. Et la plupart de ces employés seront rentrés chez eux quand on arrivera sur place, si on y arrive. T’as vu l’heure ? N’y pense même pas. Lundi, je te dis. La Terre ne s’arrêtera pas de tourner d’ici là.

Lucie marqua une hésitation, et finit par se résigner. Pascal avait raison, ça ne servait à rien dans l’immédiat. Et puis, il y avait les jumeaux… Pour une première grosse journée, mieux valait rentrer à l’heure et ne pas abuser de la générosité de sa mère.

Elle rassembla les listes et les fourra dans son sac.

Pascal Robillard éteignit son ordinateur, plutôt satisfait.

— Quelle semaine d’enfer ! Mais on a bien bossé. On a logé Loiseau, on se rapproche de CP. Ça sent plutôt bon. Il n’y a plus qu’à attendre le retour du juge pour la commission rogatoire et notre tournée au CHR dès lundi, si tout va bien.

Lucie resta pensive.

— Quant à Charon et la seconde silhouette dans l’abattoir, fit-elle… C’est toujours le grand mystère.

— Leur tour viendra, peut-être avec le voyage de Franck en Argentine. On finit toujours par les avoir.

— On doit quand même toute cette enquête à la tempête et à cet arbre déraciné qui nous a menés à la fille aveugle. C’est-à-dire juste au hasard.

— Le hasard fait partie du métier. (Il regarda sa montre.) Bon, excuse-moi, faut vraiment que j’y aille. Ma fille rentre d’un petit séjour à la ferme et il faut que je la récupère.

— Elle a quel âge, maintenant ?

— Sept ans.

— Bon Dieu… Ce que ça passe vite. On bosse ensemble depuis combien… trois ans ? Et je ne l’ai vue qu’une fois.

— On se fera une bouffe, si tu veux, quand tout ceci sera terminé.

— Avec plaisir.

Il mit les voiles avant elle, Tupperware vide de protéines dans une main, sac de sport dans l’autre. Lucie l’aimait bien, Robillard. Un gars discret, droit, qui faisait le job du mieux qu’il pouvait, sans jamais faire de vagues.

Après son départ, elle resta encore quelques minutes. Seule sur le pas de la porte, elle observa cet endroit à l’odeur de vieux bois, au plancher craquant, peuplé de dossiers empilés et de tonnes de procédures. Elle se sentait bien, ici. À sa place. Prête à foncer.

Malgré l’horreur de leur enquête, elle sourit, heureuse d’avoir rempilé.

Mais elle savait, au fond d’elle-même, que ça ne durerait pas.

45

Il était presque 18 heures, Camille était à une demi-heure de sa destination.

Le train Euromed mordait le rail à grande vitesse, le long de la côte espagnole, dévoilant dans le lointain des étendues bleutées, des cathédrales blanches, des plaines infinies, magnifiquement verdies par le climat méditerranéen. Un bouquet de couleurs qui vous explosait au visage.

La gendarme avait la tête appuyée contre la vitre, les yeux mi-clos sous l’effet de la climatisation, essayant de se reposer un peu malgré les Espagnols et les touristes qui parlaient fort. Les accents roulaient, les langues claquaient.

Elle pensait à Nicolas Bellanger.

Plus tôt, elle lui avait téléphoné pour le mettre au courant de l’avancée de ses recherches : il y avait, peut-être, une chance de retrouver l’enfant de Maria, de comprendre une partie de l’histoire des Florès. Nicolas avait alors cédé à un coup de folie : la rejoindre à Valence pour le dîner. Et, éventuellement, repartir avec elle le lendemain vers Paris afin de préparer la descente au Styx.

Camille avait accepté cette proposition délirante avec plaisir. Nicolas avait de nouveau parlé « d’officialiser » les découvertes avec la présence d’un OPJ de la Crim, cependant la jeune femme n’était pas dupe : il prenait le prétexte de l’enquête pour la rejoindre.

Il en pinçait pour elle.

C’était réciproque. Quelque chose de puissant brûlait dans le ventre de Camille. Un alcool fort qui l’enivrait, brisait les tabous. D’un autre côté, elle songeait à Boris et se sentait fautive. Leur relation était tellement différente, presque respectueuse. Deux collègues qui travaillaient ensemble depuis si longtemps, qui se tournaient autour sans jamais avoir osé franchir la barrière.

L’arrêt du train l’arracha à ses pensées. Elle arriva finalement à la gare València-Nord. À peine sortie, elle attrapa un taxi et indiqua l’adresse au chauffeur : « Casa cuna Santa Isabel ». L’homme parvint à comprendre son espagnol, jeta un œil dans son rétroviseur et se mit en route sans poser de questions.

Camille ne voyait rien de la ville, revenue dans l’enquête et plongée dans ses réflexions. Les bébés volés du franquisme… De quoi s’agissait-il, précisément ? En quoi Mickaël Florès, né à l’hôpital Lariboisière de Paris d’après son état civil, était-il concerné ? Quel était le lien avec Maria Lopez et le petit squelette au crâne meurtri ?

La gendarme se représentait encore le visage de Maria Lopez, cette folie qui l’habitait, ses lèvres qui palpitaient : « El diablo… El diablo… » Elle avait réagi ainsi en voyant la photo d’elle enceinte, touchant son propre ventre. Qui était le diable ? Le bébé lui-même ?

Valence mêlait avec harmonie les quartiers de la vieille ville et une architecture des plus modernes. Bâtiments aux formes futuristes, immeubles design, stades démesurés. Certains chantiers étaient encore en cours mais semblaient abandonnés, laissant là des verrues effroyables d’acier et de béton. C’étaient les vestiges des dégâts causés par la crise : plus personne n’avait d’argent pour financer ces travaux pharaoniques. Camille avait même entendu parler d’un aéroport qui n’avait jamais vu d’avions atterrir, et qui était aujourd’hui à l’abandon ou utilisé comme piste de karting.

Un panneau indiqua « Calle de la Casa Misericordia ».

Ils y étaient.

Le taxi s’arrêta devant un grand mur austère en brique rouge, rehaussé de grilles à pointes et portant une caméra. Camille régla le chauffeur et se dirigea vers une porte qui semblait blindée. Un panneau bordeaux, collé au mur, indiquait « Casa cuna Santa Isabel ».

Il était presque 19 heures. Camille s’essuya le front avec un mouchoir et patienta à l’ombre. La chaleur était toujours insupportable, la gendarme se liquéfiait. Elle pria pour avoir une bonne climatisation dans son hôtel, quitte à attraper la crève.

Un homme s’approcha, il tenait une pochette violette sous le bras. Un petit gars à l’air bourru et au regard perçant, vêtu d’une chemise crème et d’un pantalon fin de la même couleur. Il traversa la route prestement, vint d’un pas assuré à la rencontre de Camille et lui tendit la main. Il avait de grosses auréoles de sueur sur sa chemise, au niveau des aisselles.