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— Vaut mieux que tu ailles dans ta chambre, maintenant…

— Pourquoi ?

— C’est préférable.

— Tu en es bien certaine ?

— Je suis désolée, Nicolas, mais je préfère rester seule. On se verra demain matin.

Nicolas remarqua le mascara qui avait coulé sous ses yeux et le long de ses joues. Il voulut aller vers elle mais jugea qu’il valait peut-être mieux la laisser tranquille.

— C’est comme tu veux. En tout cas, j’espère que je n’ai rien fait de mal.

— Non, Nicolas. Ne pense surtout pas ça. J’ai passé… un moment merveilleux. Et c’est génial que tu sois venu me rejoindre. Vraiment génial.

Camille avait envie de tout lui dire. Lui avouer qu’elle allait mourir, qu’il n’y avait presque plus d’espoir. Qu’un jour, elle tomberait et ne se relèverait plus jamais. Mais elle n’en eut pas le courage, ni la force.

Nicolas se rhabilla en fixant le métronome, embrassa Camille une dernière fois et ajouta, juste avant de sortir :

— Je ne pourrai jamais savoir ce qu’il y a dans ton cœur, ce que tu ressens. Parce qu’on ne peut pas lire dans le cœur des autres. Mais… Je peux lire ce qu’il y a dans le mien.

Il baissa les yeux, les releva.

— Je ne suis jamais tombé amoureux. Mais si ça devait m’arriver, là, maintenant, j’aimerais bien que ce soit avec quelqu’un comme toi.

Sans attendre de réponse, il ferma la porte derrière lui.

Camille serra le roman de Maurice Leblanc contre sa poitrine et eut l’impression qu’une aiguille creuse venait de lui transpercer le cœur.

Elle explosa en sanglots.

47

Dimanche 19 août 2012

À l’atterrissage de l’Airbus A330 à l’aéroport Ezeiza, Buenos Aires, la température annoncée était de 9 °C, avec un vent du sud soufflant à soixante kilomètres par heure sous un ciel sans nuages.

Il était minuit, heure locale et c’était l’hiver. Franck Sharko s’était néanmoins attendu à des températures plus clémentes, vu le genre de vêtements qu’il avait emportés : pantalons légers, chemises à manches courtes… Heureusement, il avait tout de même plié un blouson écossais, très fin, dans lequel il se glissa dès qu’il récupéra sa valise sur le tapis roulant.

Queue pour l’immigration, justificatifs de domicile ou d’hôtel, douanes, récupération de pesos au premier distributeur croisé. Sharko comprit immédiatement qu’il était en Amérique latine : les odeurs d’épices dans l’aérogare, les chauffeurs de taxi qui vous sautaient dessus, les sonorités espagnoles. Et surtout, l’eau dans les chiottes qui tournait à l’envers.

Avant de monter dans un taxi, il lut ses SMS. Il y avait une confirmation de réservation à son hôtel et un message de Lucie qui disait : Bien joué, tu as oublié ta carte de réquisition dans la poche de ta veste.

Sharko pâlit, fouilla par réflexe dans ses poches. Elle avait raison. C’était ça, faire ses valises avec Marie Henebelle sur le dos, et partir dans la précipitation.

Il regarda sa montre et fit un rapide calcul. En ajoutant les heures de décalage, il était 5 heures en France. Il envoya un message, signalant que son voyage s’était bien passé — malgré la climatisation glaciale dans l’avion et le peu d’espace entre les sièges qui vous détruisait les jambes — et qu’il pourrait bien survivre sans sa carte de police.

Une fois à bord d’un taxi, il annonça au chauffeur sa destination : l’hôtel La Menesunda, quartier Boedo.

Au bout d’une vingtaine de minutes, Buenos Aires apparut dans un halo de lumière orangée, loin à l’horizon. Sharko devina d’abord ses gratte-ciel, puis ses routes droites et immenses, parmi les plus longues et larges du monde. Malgré l’heure tardive, les bus sillonnaient encore les rues — des rues quadrillées, ordonnées comme les rangées et les colonnes d’un damier —, bouffaient l’asphalte dans un ronflement fatigant. Le flic se rappela un ancien voyage au Caire, et se fit la réflexion que cette ville plate comme une galette était un mélange d’influences, de genres, d’époques, avec une partie qui semblait figée dans le passé et une autre beaucoup plus moderne.

Mais Sharko se rappela qu’il avait aussi, face à lui, une nation qui avait connu son lot de souffrances, avec les guerres, les coups d’État, les dictatures qui s’étaient succédé dans les années 70 et 80, la crise financière qui, au début des années 2000, avait entraîné la banqueroute et plongé la population dans une misère noire. Des gens avaient crevé de faim, ici.

Quartier Boedo. Vieilles bagnoles, maisons à deux étages. Odeurs d’amandes grillées, de laurier. Terrasses de cafés attrayantes, boutiques alléchantes : confiserie Trianon, Café Margot, restaurant Esquina dos Mundos… Partout, des affiches pour des spectacles de tango, des invitations à danser à chaque coin de rue, à s’abandonner aux sons des bandonéons et des guitares sèches. Une ville au sang chaud, latino. À cette heure pourtant tardive, tous les bars du quartier étaient bondés. Population jeune, bruyante, sophistiquée.

Sharko fut déposé devant son hôtel. Il annonça son nom à l’accueil, s’installa rapidement. Chambre propre, correcte, sans personnalité : il aurait très bien pu se trouver à L’Haÿ-les-Roses ou à Montréal. Il prit une bonne douche — on se sentait toujours crasseux après quatorze heures de vol, surtout collé à côté d’un type qui ronflait — et dormit jusqu’au début d’après-midi, le lendemain. Plus de douze heures d’un sommeil sans rêves, ininterrompu, amplifié par le décalage horaire. Aussi, en se réveillant, eut-il l’impression de s’arracher à des sables mouvants.

Sans même croquer un morceau au restaurant de l’hôtel, il sortit, habillé d’un pantalon de costume anthracite, d’une chemise claire et de son blouson écossais. Dehors, le ciel était pur, d’un bleu puissant. Le soleil tapait, jouait avec les longues ombres des jacarandas aux feuillages bleu-violet agités par le vent. Pourtant, Sharko remonta la fermeture de son blouson jusqu’au cou.

L’Apanovi — Asociación Pro Ayuda a No Videntes — était située juste à côté d’un club de foot, à l’angle des avenues du 25 de Mayo et Boedo. À l’intérieur, lignes épurées, larges couloirs, peintures le long des murs. Le lieutenant se présenta à l’accueil et, lorsqu’il parla de « police française », il vit les yeux de l’homme s’agrandir. Son français et son charisme lui suffisaient, sa carte de réquisition n’était pas utile.

— Jose Gonzalez est ici ? demanda-t-il.

L’homme acquiesça et décrocha son téléphone. L’Argentin vint à sa rencontre quelques minutes plus tard. Une tige d’au moins un mètre quatre-vingt-quinze, avec une moustache grise en poils de sanglier et des lèvres comme des calebasses. Il devait avoir aux alentours de soixante ans et était vêtu simplement, peu soucieux de son apparence. Un type venu d’un milieu modeste, Sharko le sentit immédiatement.

Le lieutenant attaqua en anglais, Gonzalez le comprenait à peu près.

— En quoi puis-je vous aider ? demanda l’Argentin.

Sharko expliqua avec sa maîtrise habituelle qu’il était policier et qu’il menait une enquête compliquée. Il lui présenta dans un premier temps la photo de Mickaël Florès.

— Vous le connaissez ?

Le regard de Gonzalez s’assombrit.

— Un photographe français. Il est venu ici, oui, il y a peut-être deux ou trois ans, si je me souviens bien…

— C’était à l’été 2010, précisément.

— Sans doute, oui. Que se passe-t-il ?