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Le Sultan eut un sourire ironique.

— Il a décidé de me rendre mon argent… Je ne veux pas le voir pour le moment.

Hadj Ali referma la porte, ignorant le gurkah transformé en statue et se hâta dans le couloir recouvert de moquette jaune. Pensant à la note de son ami Guy Hamilton. Il était assis sur un volcan.

* * *

Malko monta l’escalier menant au premier étage la City Bank dans Jalan Pemancha, en plein cœur Bandar Sen Begawan. Un coup de fil d’Angelina Fraser, une heure plus tôt, lui avait appris qu’on murmurait au Jerudong Country Club que Peggy Ling se trouvait dans la beach-house du prince moud, plus connu sous le nom de « Sexme ». Cependant, personne ne l’avait vue et pouvait n’être qu’une rumeur.

Une secrétaire mafflue leva un œil sur lui.

— Mr Lim Soon ? demanda Malko.

Il prit une de ses cartes et griffonna : de la part de Walter Benson.

— Asseyez-vous, dit-elle.

Il prit place à côté d’une ravissante jeune Malaise, jambes gainées de bas blancs en dépit de la chaleur de bête, vêtue d’un tailleur de toile verte, en train de lire le Financial Times. La veste du tailleur entrouvrait sur une poitrine qui n’aurait pas déparé bas-relief érotique hindou. Elle lui adressa un bref regard et reprit sa lecture.

Quelques instants plus tard, la porte vitrée d’un bureau s’ouvrit sur un petit Chinois à la tête ronde et au regard perçant qui fonça vers Malko.

Lim Soon, se présenta-t-il. Vous venez de la part de mon ami Walter.

— Exact.

La jeune femme avait replié son Financial Times. Elle interpella le Chinois d’une voix amusée

— Vous m’avez oubliée, Mr Soon.

Mr Soon se confondit en excuses.

— Pas du tout, protesta-t-il, mais vos documents sont pas prêts.

La jeune femme écoutait, attendant visiblement qu’on lui présente Malko. Le Chinois s’empressa de le faire.

— Mr Malko Linge, un ami de l’ambassadeur américain. Datin Alya Hadjah Azizah, cousine de Son Altesse le Sultan, Hadj Hassanal Bol Muizzaddin Waddaulah. Une fidèle cliente de la banque…

II égrenait les titres d’une voix monocorde. Malko l’admira de les retenir tous par cœur… Hadjah Azizah lui tendit une main fine aux ongles interminables pourpres comme du sang. Ses lèvres épaisses se retroussèrent en un sourire sensuel.

— J’espère que vous vous plaisez à Brunei Mr Linge

Malko effleura les doigts d’un baisemain léger, puis croisa longuement son regard.

— Ma joie sera encore plus grande si j’ai le plaisir de vous revoir,

dit-il.

Lady Alya Hadjah Azizah sourit sans répondre dit au Chinois

— J’ai rendez-vous au tennis… Je reviendrai plu tard.

Elle s’éloigna en balançant très légèrement se hanches en amphore, comme une personne de sa condition aime le faire quand elle désire plaire. Lim Soon se pencha vers Malko.

— Elle a du sang chinois, c’est pour cela qu’elle est si belle ! dit-il, mi-figue mi-raisin. Mais c’est rare qu’elle parle à des étrangers. Du moins ici à Brunei. A Londres où elle a un appartement c’est différent.

— Venez dans mon bureau.

Visiblement les yeux dorés de Malko ne l’avait pas laissée indifférente… Lorsqu’ils furent installés, Chinois alluma une cigarette et demanda

— Que voulez-vous savoir ? Walter Benson m’a dit que vous enquêtiez sur la disparition des vingt millions de dollars…

— Je voudrais comprendre le système bancaire du Sultan, dit Malko. Peut-être pouvez-vous m’aider. D’abord, qui signe les chèques ?

— C’est très compliqué, cela dépend de la nature dépenses. Mais dans ce cas précis, il s’agit d’un compte que le Sultan possède à l’International Bank Brunei.

J’avais vu la photocopie du chèque de millions. Il semble que les autres aient été tirés sur le même carnet. Il y a deux signatures. Celle du Sultan et celle du Premier aide de camp, Al Mutadee Hadj Ali.

— Et ensuite ?

— C’est difficile à dire. Même si l’ordre était indiqué, ils ont pu être endossés. J’ai déjà effectué une petite enquête à Singapour sans résultat.

— Il n’y a pas de comptes à numéros là-bas ?

— Non. Mais ces chèques ont pu être envoyés en suisse, aux Bahamas, dans n’importe quel paradis fiscal.

— Ont-ils été débités ?

— Oui. Le Premier aide de camp a fait parvenir à l’ambassadeur la photocopie des débits. Trois chèques de 7,5 millions de dollars, un de 5. Le compte de John Sanborn a bien entendu été contrôlé.

Bien sûr. Ici et à Singapour. Mais on ne peut pas vérifier toutes les banques du monde…

Le muezzin de la mosquée Omar Ali Saifuddin se mit à ululer et le Chinois grimaça, agacé.

— Avez-vous une hypothèse ? demanda Malko.

Lim Soon eut un sourire ambigu.

— Hadj Ali soutient que c’est John Sanborn qui venu chercher les chèques. Or, ce dernier a disparu…

— Vous pensez qu’il est coupable ?

— Comment connaître les gens ? fit le Chinois avec geste évasif.

C’est possible… Mais pas certain.

— Et cette Chinoise. Peggy Mei-Ling ?

L’autre haussa les épaules.

— Oh, c’est une pute de Hong-Kong. Il y en a souvent. Elles reçoivent 15 000 dollars pour le weekend et plus si elles plaisent. Le frère du Sul Mahmoud, en fait une grosse consommation… C’est curieux que John Sanborn soit parti avec une fi comme ça.

Malko sentait qu’il n’y croyait pas trop.

— Vous avez bien une idée, vous ? insista-t-il.

Lim Soon mit un bon moment à répondre, un rire embarrassé bien asiatique…

— D’abord, fit-il, je ne crois pas que ce soit Sanborn. C’est un de mes clients, je le connais.

Moi, je pense qu’on a voulu voler le Sultan. C’est facile, il ne sait pas ce qu’il possède… A deux cent millions de dollars près… Il a de l’argent partout, si les Américains n’avaient pas rendu les cinq millions de dollars, il n’aurait jamais rien découvert. Il s’en moque. Seulement, ça l’a vexé que des étrangers le volent et maintenant il est fou furieux.

— Qui peut avoir voulu l’escroquer ?

Lim Soon jouait avec un crayon. Ses yeux noirs étaient sans cesse en mouvement.

— A mon avis quelqu’un du Palais.

— Qui s’occupe de ses affaires ?

— Al Mutadee Hadj Ali.

— Il n’aurait pas dénoncé le voleur ?

Pas forcément. Il a pu avoir peur de se taire congédier. C’est lui qui promène l’attaché-case du Sultan avec les chéquiers, l’argent liquide, les bijoux, qui paie toutes les factures… Et Hassanal Bolkiah n’est pas tendre. Nous sommes dans un pays musulman. On ne coupe pas la main des voleurs, mais or n’en est pas loin.

Malko sentait que le Chinois ne lui disait pas vraiment le fond de sa pensée… Il insista.

— Et si c’était Hadj Ali lui-même ?

— Risquer de tout perdre pour vingt millions de dollars, c’est idiot, objecta le Chinois. Il peut en prendre dix fois plus en restant… Mais il est très jeune, lui aussi.

Malko repensa soudain à une confidence de Joanna Sanborn.

— Il paraît que la nouvelle épouse du Sultan veut se débarrasser de lui ?

Un éclair amusé passa dans les yeux noirs de Lim Soon.

— Vous êtes bien informé pour un homme qui n’est à Brunei que depuis quelques jours. On le dit, mais au Palais…

— Si c’était vrai, insista Malko, cela serait une explication…

— Bien sûr, dut avouer le Chinois. Mais qui va enquêter sur Al Mutadee Hadj Ali ?

Un ange malais traversa le bureau et s’enfuit vers le Kampong Ayer.