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— Bien sûr. Cependant, Hadj Ali est jeune et vient de prendre ce job, lorsque l’ancien aide de camp est parti à la retraite, avec une énorme fortune.

— On dit qu’il est en très mauvais termes avec la nouvelle femme du Sultan, Isteri Hadjah Mariam et qu’il a peur de se faire virer bientôt. Mais ce ne sont peut être que des ragots…

Joanna dut sentir l’incrédulité de Malko car elle ajouta aussitôt avec un sourire plein d’amertume.

— Vous pensez que je défends John aveuglément, n’est-ce pas ? Qu’il a encaissé cet argent et qu’il s’est enfui. Je ne le crois pas. Certes, John était très coureur, fou des Asiatiques, mais en même temps toujours très attaché à moi, même si, sur le plan physique, nos rapports n’étaient plus les mêmes. Jamais il ne serait parti ainsi.

Elle semblait totalement sincère. Malko demanda :

— Que s’est-il passé le jour de sa disparition ?

— Il est parti comme tous les jours. Il m’a dit « à ce soir »… Je le connais depuis neuf ans, j’aurais senti quelque chose. Ensuite, on a retrouvé sa voiture à Limbang et c’est tout. Pour y arriver il a fallu qu’il traverse la jungle.

— Mais de Limbang, où a-t-il pu aller ?

— Il y a des avions.

— II avait son passeport sur lui ?

Joanna changea d’un coup et avoua dans un souffle :

— Oui.

Le silence retomba, troublé seulement par le fracas des gouttes énormes s’écrasant sur les tôles du toit. Une vraie mitraillade… Si John Sanborn avait emporté son passeport, c’est qu’il avait bien l’intention de quitter le Brunei… Malko posa les yeux sur Joanna. La jeune femme était en train de se reverser du Cointreau, d’une main qui manquait de fermeté.

Ses yeux étaient pleins de larmes. Elle se leva brusquement en lançant

— Excusez-moi.

Quand elle revint, ses yeux étaient secs et elle avait enfilé un T-shirt à la place de son maillot. Il lui arrivait à mi-cuisses et lorsqu’elle se rassit, Malko aperçut fugitivement le reflet blanc d’un slip minuscule.

— Je sais ce que vous pensez, murmura-t-elle, mais y a sûrement une explication.

— Je vais essayer de la trouver, fit Malko en se levant.

Joanna en fit autant. Brutalement, la jeune femme s’effondra dans les bras de Malko, secouée de sanglots.

— Je n’en peux plus ! souffla-t-elle. Seule ici toute la journée !

Je deviens folle. Personne ne m’invite plus. Et je voudrais tellement savoir… Je suis sûre qu’il est mort. Qu’on l’a tué parce qu’il risquait de découvrir quelque chose.

Malko se sentit perturbé par ce chagrin réel. Les seins lourds, à peine protégés par le léger coton, s’écrasaient contre sa chemise et une cuisse charnue s’appuyait entre les siennes, sans aucune retenue. Joanna était décomposée. En l’écartant gentiment, Malko effleura la masse d’un sein et elle frémit comme un chat qu’on caresse. Son pubis se colla à lui. Son corps pesait soudain très lourd, sa tête s’enfouit dans son épaule. Il emprisonna dans sa main un de ces seins qu’il admirait depuis son arrivée et elle ne broncha pas. La pluie tambourinait sur les tôles du toit, assourdissante. Joanna paraissait soudée à lui de tout son corps. Il sentait son souffle chaud dans son cou, de plus en plus précipité. Elle recula un peu, et murmura

— Ne me laissez pas.

Son ventre s’appuyait encore plus au sien, ses seins s’écrasaient contre le voile de sa chemise. Pourtant, elle ne pouvait plus ignorer l’état dans lequel elle mettait Malko. Il fit une dernière tentative pour se détacher d’elle. En vain. Cela chassa ses derniers scrupules. Ce fut facile pour lui de relever le T-shirt sur les cuisses fuselées et pleines, de rouler ensuite le slip minuscule qui tomba à terre, dévoilant un buisson sombre.

Joanna respirait rapidement. Elle savait ce que Malko, un homme qu’elle connaissait depuis une heure allait lui faire. Pourtant, lorsqu’il glissa sa jambe entre les siennes pour les ouvrir et qu’il l’envahit ensuite doucement, elle se contenta de le serrer encore plus fort, à l’étrangler. Ce fut une étreinte bizarre. Excité par l’étrangeté de la situation, Malko ne put se retenir longtemps. Lorsqu’il se vida en elle, Joanna poussa un petit soupir heureux bien qu’elle n’ait pas joui. Ils demeurèrent enlacés quelques instants, puis elle s’écarta, fixant sur lui un regard brouillé par l’alcool et le désespoir.

— Vous devez penser que je suis une salope…, fit-elle. Mais vous êtes le premier à être gentil avec moi. J’ai tellement besoin de tendresse. Et si vous pouviez découvrir la vérité…

— J’essaierai, promit Malko.

Tandis qu’il reprenait une tenue décente, elle ramassa la petite boule de dentelle de son slip et le remit, lissant le T-shirt par-dessus. Pourquoi s’était-elle livrée ainsi ?

Malko laissa la question en suspens. Après une embrassade rapide, il courut sous la pluie jusqu’à sa Toyota. Joanna fit quelques pas à son tour, trempée aussitôt par l’averse tropicale. Immobile, elle le regarda partir. L’eau collait le T-shirt à sa poitrine, la moulant de façon provocante et elle était encore plus belle ainsi.

* * *

Au coin du simpang 782 et de Kota Batu, Malko doubla une Range-Rover beige immobilisée sur le bas-côté. Un Blanc en chemise et short kaki paraissait occupé à réparer une roue. Massif, avec des cheveux en brosse. Il releva la tête lorsque Malko passa et le suivit des yeux. Inexplicablement, ce dernier en éprouva un vague malaise. L’homme semblait surveiller la maison de John Sanborn. Malko repensa à la pulpeuse Joanna, veuve ou épouse du chef de station. Il irait bien la revoir…

Il reprit Kota Batu, roulant doucement à cause de la pluie. Des dizaines de sampans bourdonnaient sur la Brunei River, reliant la rive ouest au Kampong Ayer, un énorme village malais sur pilotis, labyrinthe de baraques en bois unies par de fragiles passerelles. Là grouillait un tiers de la population brunéienne… Consolation : de leurs taudis, ils avaient une vue imprenable sur la coupole dorée de la mosquée Omar Ah Saifuddin, et apercevaient le dôme également en or massif du palais de leur souverain bien-aimé.

Il franchit Subok Bridge, tourna un peu plus loin dans Jalan Sultan, et s’arrêta devant le modeste building abritant l’ambassade américaine. Au troisième étage, un Marine le fit passer sous un portique magnétique et la secrétaire de l’ambassadeur le conduisit dans le bureau de son patron.

Walter Benson avait les cheveux gris coupés très courts, un visage intelligent et des pieds énormes.

Une grande photo de Boca Raton, en Floride, était épinglée au-dessus de son bureau, à côté du drapeau US. Il accueillit Malko avec chaleur.

— Welcome dans le trou du cul doré du monde ! lança-t-il, jovial. Je n’ai plus que quatre mois à tirer avant de regagner mon cabinet d’avocat… Heureusement qu’il y a Singapour, sinon on étoufferait ici… Un peu de sucre, du lait ?

La secrétaire avait déjà apporté l’éternel et insipide café américain.

— Pas de lait, beaucoup de sucre, demanda Malko.

Par les fenêtres, on apercevait une grande partie du Kampong Ayer et la mosquée. Une voiture de police passa en couinant impérieusement. Walter Benson fit la grimace.

— C’est pire qu’à New-York! Pourtant, il n’y pratiquement pas de criminalité.

Il alluma une cigarette.

— J’espère que vous allez démêler cette histoire :

Elle risque d’empoisonner nos relations avec le Brunei. Les Malais sont très susceptibles et on commence à me regarder d’un drôle d’air dans les cocktails officiels.

Malko ajouta encore un peu de sucre et dit :

— J’ai vu la femme de John Sanborn. Elle prétend qu’il a été assassiné…