Выбрать главу

Dans un frisson, Andreï redémarra. Il roulerait aussi loin qu'il le pourrait vers l'ouest. Il devrait se cacher, traverser les frontières illégalement et, sans aucun doute, risquer sa vie. Mais le sacrifice en valait la peine. Il y avait un pays dont il entendait souvent parler, au bout du continent européen, où il pourrait certainement commencer une nouvelle existence et vendre à prix d'or l'ensemble des recherches contenues dans le manuscrit.

Ce pays, c'était la France.

Après plus de sept cents kilomètres avalés d'un trait, Andreï fit une pause, grilla une cigarette et se décida à rallumer son compteur Geiger. Un moment qu'il craignait par-dessus tout et qu'il avait repoussé des heures durant. Fatalement, l'engin se remit à crépiter. Le scientifique savait bien ce qui l'attendait, désormais. L'aiguille fit le tour du cadran et vint buter au maximum dès qu'il colla l'engin contre sa poitrine.

La radioactivité ne traversait ni l'eau ni le plomb, mais presque tout le reste. Andreï avait respiré des poussières d'iode 131, de strontium 90, de césium 137, de polonium 210...

L'atome était en lui.

Andreï n'était plus un homme, mais un réacteur nucléaire destiné, lui aussi, à exploser.

I

La vie

1

De nos jours

- Annoncez-moi une bonne nouvelle, docteur.

L'horloge indiquait à peine 8 heures, Franck Sharko était le premier patient de la matinée. Le docteur Ramblaix ferma la porte derrière lui et invita le commissaire à s'asseoir. Le cabinet de consultation était propre, fonctionnel, anonyme.

- Je crains malheureusement que nous n'ayons aucune évolution. Avez-vous bien suivi le traitement que je vous ai prescrit le mois dernier ?

Sharko se massa les tempes, la journée commençait très mal.

- Mes poubelles sont pleines à craquer d'ampoules vides et de boîtes de médicaments. J'ai fait des prises de sang qui n'ont rien donné et qui ont valu à mon pauvre infirmier de se faire agresser par un junkie qui lui a vidé les poches pas loin de chez moi. Trois points de suture pour gagner une misère.

Devant l'absence de réaction du médecin, Franck Sharko poursuivit :

- J'ai aussi appliqué vos conseils à la lettre. Même ces histoires de rapports programmés. Et vous me demandez si j'ai bien suivi le traitement ?

Ramblaix éventa des feuilles devant lui. Il prit le temps de répondre, il avait l'habitude de recevoir des hommes et des femmes déstabilisés, de tous âges.

- C'est votre troisième spermogramme, il confirme l'asthénospermie grave. En l'état actuel des choses, la faible mobilité de vos spermatozoïdes ne vous permet pas d'avoir d'enfants. Mais rien n'est perdu, nous allons y arriver.

- Quand ? Et comment ?

- Vous avez déjà procréé par le passé. L'analyse de votre sang, les divers examens que vous avez subis ne montrent ni infection, ni dilatation des veines testiculaires, ni anomalie immunitaire. Vous avez cinquante ans mais, d'un point de vue reproductif, vous restez dans la force de l'âge. Les traitements n'ont pas d'influence sur vous. Je n'ai constaté aucune raison physiologique au fait que vos spermatozoïdes soient paresseux. Il faut peut-être envisager la voie psychologique.

Sur sa chaise, Sharko était extrêmement tendu. Ce fichu mot, psychologie, revenait à la charge, lui collait à la peau, même quand il s'agissait d'analyser une tribu de feignants incapables de grimper un col. Le médecin continua :

- Le stress, la surcharge de travail, des coups durs successifs ou de mauvaises nuits à répétition agissent sur les hormones et l'équilibre de l'organisme. Plus d'un cas d'infertilité passagère sur cinq est dû à un blocage psychologique. Vous ne pouvez imaginer le nombre de couples qui, juste après avoir subi une fécondation in vitro ou fait une demande d'adoption, réussissent tout à coup à procréer.

Le spécialiste incitait Sharko à parler, mais autant s'adresser à un mur. Il parcourut la paperasse et balaya la physionomie de son patient. Notamment les cheveux en pétard couleur poivre et sel, les mains épaisses posées sur les genoux, le costume-cravate bleu sombre, de belle coupe, qui tombait parfaitement sur sa silhouette robuste.

- Je suppose que vous avez traversé des périodes difficiles depuis la naissance de votre premier enfant. C'était il y a... huit ans, je crois ?

Le téléphone portable du commissaire Franck Sharko se mit à vibrer au fond de sa poche. Il n'y toucha pas et se leva, exaspéré.

- Écoutez, docteur : ça fait trois fois que je m'enferme dans vos cabines à 8 heures du matin pour me masturber devant des photos de magazines porno. Et trois autres fois pour venir récupérer des résultats plutôt catastrophiques. C'est difficile pour moi d'en parler avec vous. Les psys, je connais, croyez-moi. Le temps presse, vous comprenez ? Ma compagne a trente-huit ans et je ne suis plus tout jeune. On veut un enfant le plus vite possible, ça tourne à l'obsession. Et sans FIV.

- J'aimerais vous reparler de la fécondation in vitro plus en détail, justement. Le procédé fonctionne très bien et...

- Non, désolé. Ni mon amie ni moi n'emploierons cette méthode. Pour la raison, disons que c'est... personnel. Il me faut une autre solution là, maintenant. Dites-moi qu'elle existe, docteur.

Le médecin se leva à son tour, hochant légèrement la tête, comme s'il comprenait. Sharko remarqua son alliance en argent. Cet homme devait avoir une trentaine d'années, une belle femme, probablement des enfants : un dessin au feutre, caché dans un coin, appuyait cette supposition. Il n'y avait aucune photo des mômes sur le bureau, certains couples à problèmes en venant à détester la progéniture des autres.

- Dans dix jours, c'est Noël. Lâchez du lest. Partez loin de Paris, de votre travail, et reposez-vous. Soyez également patient. Plus vous serez pressé, moins vous aurez de chances d'aboutir. Il faut chasser de votre esprit cette fixation d'avoir un enfant. Ce sont les meilleurs conseils que je puisse vous donner.

Sharko aurait aimé lui dire que cette obsession ne venait pas de lui, mais il se garda bien d'en révéler davantage sur sa vie privée. Un type avec son passé avait de quoi mettre en alerte tous les psychiatres de la planète.

Ils se serrèrent la main. À l'accueil, le flic régla le montant de la consultation en liquide. La secrétaire réclama sa carte de Sécurité sociale et, de nouveau, il prétexta l'avoir oubliée. De ce fait, elle lui établit une fiche à renvoyer à la Caisse primaire d'assurance maladie, qu'il déchira et jeta à la poubelle une fois dehors, face au laboratoire d'analyses médicales. Comme toujours.

Il s'engouffra dans les rues du 16e arrondissement. L'air était froid et humide, le ciel chargé d'une limaille grise. Il allait neiger.

Une écharpe autour du cou, le commissaire de police était inquiet. Cela faisait huit mois qu'ils essayaient d'avoir un enfant, avec Lucie. Même si sa partenaire ne disait rien et encaissait les échecs, Sharko sentait que leur couple battait de l'aile et que la situation finirait par dégénérer, tôt ou tard. Et, pour l'instant, il ne voyait aucune solution : il ne se sentait pas le courage de lui avouer sa stérilité - passagère, espérait-il - mais, d'un autre côté, il avait de plus en plus de mal à laisser planer l'espoir d'un futur bébé. Le docteur avait peut-être raison : prendre le large, quelques semaines, pour remotiver ses spermatozoïdes.