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- Je me souviens d'elle, fit-il en acquiesçant, et j'ai consulté nos registres après l'appel de vos services français. Elle est venue chaque jour, pendant plus d'une semaine, dans nos archives. Une femme assez peu bavarde, mais agréable. Et particulièrement séduisante.

Lucie resta académique.

- Quel type d'informations cherchait-elle ?

- Principalement les documents qui traitent de la pollution, et aussi de la dépollution des sites nucléaires. Je lui ai dit que nous avions de quoi faire, nous disposons de milliers de dossiers sur le sujet. Il y a une bonne dizaine d'années, des unités de nos bases se sont chargées de dépolluer de leurs déchets radioactifs les sites autour de Los Alamos ou de Hanford, dans l'État de Washington. Votre journaliste voulait connaître les méthodes et moyens mis en œuvre, les analyses menées, les solutions de stockages appliquées.

- Cela ne vous a pas dérangés qu'elle fouille dans vos documents ?

- Absolument pas. De nombreux journalistes, chercheurs ou historiens viennent ici pour consulter les traces de l'histoire militaire américaine. Il y a quelque temps, beaucoup de civils se rendaient sur notre base et en profitaient pour visiter nos installations. À l'époque, nous abritions encore le musée national de la science et de l'histoire nucléaire. Mais pour des raisons de sécurité, il a été extériorisé, et les accès à notre base sont désormais très contrôlés.

Après que Sanders lui eut accroché un badge « Visitor » sur le blouson, ils grimpèrent dans le véhicule et se mirent en route. Lucie avait l'impression d'halluciner : la base de Kirtland ressemblait à une ville dans la ville. Ils doublèrent un hôpital, des écoles, un parc de jeux, le tout aligné le long de rues interminables et d'une propreté irréprochable. Sur la droite, en avant-plan des montagnes, s'étiraient des quartiers résidentiels : de jolies maisons, des sentiers de cailloux, des palmiers devant chaque façade, le tout sur fond de ciel bleu.

- Vous êtes impressionnée, n'est-ce pas ?

- Plutôt, oui. C'est gigantesque.

- Vingt mille personnes travaillent ici, nous sommes le plus gros employeur de la ville. Nous avons six collèges et universités, deux écoles privées, plus de mille logements, des magasins, un terrain de golf, des crèches... Côté technologie, nous sommes à la pointe en matière de recherche sur les nanocomposants, mais notre grande spécialité reste l'expertise des systèmes d'armes nucléaires. Nous travaillons conjointement pour les départements de la Défense et de l'Énergie.

Lucie avait l'impression d'assister à une démonstration commerciale vantant les mérites et la performance de l'armée américaine. Tout était trop beau, trop propre. Elle pensa à une construction de Lego, un monde magique d'où les personnages figés, sourire aux lèvres, ne sortent jamais. Des familles complètes vivaient entre ces murs, des enfants y grandissaient, alors que, à quelques centaines de mètres, on jouait avec des têtes nucléaires.

Ils arrivèrent finalement devant un bâtiment au design tout en courbes, avec de hautes vitres et d'impressionnants pans de béton. De grosses lettres fixées sur la façade indiquaient Air Force Documentation and Ressource Library. Ils pénétrèrent dans la gigantesque bibliothèque, protégée par des portiques magnétiques. Lucie apprécia la beauté de l'endroit, moderne certes, mais qui dégageait force et calme à la fois. De jeunes gens, dont certains en tenue kaki, planchaient au-dessus de tables en bois sur des ouvrages techniques.

Sanders ouvrit une porte au fond, et, avec Lucie, ils descendirent une volée de marches avant d'atterrir au bord de pièces de tailles démesurées, bondées d'étagères hautes de plusieurs mètres. Il devait y avoir ici des dizaines, des centaines de milliers de documents, accessibles pour certains avec des échelles coulissantes. Deux personnes marchaient entre les allées, avec des caisses remplies de paperasse sous le bras.

- Voici notre base documentaire accessible à la communauté des chercheurs, historiens et journalistes, et librement consultable. C'est ici que votre compatriote est venue. Vous y trouverez tout ce que vous pouvez imaginer concernant l'histoire, la technique, les recherches des principaux laboratoires et départements de l'AFB, mais aussi d'autres institutions. Nous recevons plus de deux cents nouveaux documents par jour en provenance de l'extérieur. Il s'agit de dossiers pour la plupart déclassifiés, issus d'anciens laboratoires, bases ou centres de recherches fermés, ou en passe de l'être. Neuf personnes qualifiées travaillent à plein temps sur le rangement et les mises à jour.

Lucie roulait les yeux, impressionnée.

- Par « documents déclassifiés », vous entendez ?

- D'anciens documents confidentiels, secrets ou top secrets, qui n'ont plus de raison de l'être. Désormais, ils sont automatiquement déclassifiés après vingt-cinq ans, sauf si une agence gouvernementale requiert une prorogation de la durée de classification au Centre national de déclassification. Bref, tout cela est un peu compliqué.

Lucie se rappelait la phrase publiée dans "Le Figaro" : On peut lire des choses qu'on ne devrait pas, au Pays de Kirt. Elle connaissait la complexité des administrations, les scandales qui éclataient parfois avec Wikileaks ou par l'intermédiaire d'articles incendiaires, dont les sources venaient souvent d'anciens documents confidentiels, et que les personnes concernées n'avaient pas réussi à faire disparaître ou avaient simplement oubliés.

C'était peut-être sur l'un d'eux que Duprès avait mis la main.

- Et... comment je peux savoir ce que... Véronique Darcin a consulté ?

Sanders se dirigea vers un ordinateur. Lucie lorgna discrètement les caméras, dans les angles du plafond.

- Elle est assurément passée par notre puissante base de données. Je lui avais fourni un code d'accès, ce qui permet de garder les traces de toutes ses recherches informatiques. Elle a pu naviguer dans la base par mots-clés, auteurs, titres, centres d'intérêt. L'ordinateur renvoie alors à des numéros de documents, des titres et une petite description, mais pas toujours. Cela dépend des informations dont les techniciens disposent au moment du référencement. Dans tous les cas, l'ordinateur donne l'endroit exact où les trouver dans les allées. Il ne reste plus ensuite qu'à les consulter.

Il pianota sur le clavier et tendit la main.

- Je remplis une fiche vous concernant, afin que vous puissiez naviguer. Votre passeport ou votre carte d'identité, s'il vous plaît.

Lucie s'exécuta, un peu sceptique. On la fichait de tous les côtés, et elle détestait ça. Elle comprenait mieux pourquoi Duprès s'était promenée avec une fausse identité. Hormis ses transactions bancaires dans les hôtels ou aux distributeurs, elle ne laissait quasiment aucune trace. Après quelques secondes, Sanders lui laissa la place.

- Voilà, vous êtes connectée à la base sur un compte « Invité ». Son utilisation est d'une simplicité extrême, vous verrez. Le code associé à la journaliste française était AZH654B. Lancez une recherche avec ce critère, et vous saurez vers quoi se sont orientées ses recherches. Je vous laisse, du travail m'attend. Demandez-moi à l'accueil, en haut, dès que vous aurez terminé.