Et de nous commenter la vie sexuelle de la contractuelle :
— Faut dire qu’la Violette a eu une enfance masturbée. Sa daronne est morte en couches ; naturliche, son vieux s’est remarida. La belle-doche a fait un mariage d’oraison, n’en réalité l’était gougne. Viovio avait pas dix ans qu’é lu broutait l’frifri et s’faisait déguster la chaglatte. Paraît qu’é s’servait d’aubergines comme gode, c’te friponne ! C’est pas une éducance d’princesse, on a beau dire ! Lui en est resté des attirances, Violette ! Son bonheur, c’est la bagatelle à trois. Ell’raffole monicher une frangine pendant qu’é s’laisse baguer par un jules.
« Bon, r’tire ta pattoune d’sa culotte qu’è puisse nous servir. Si l’cœur l’en dit, on lu f’ra sa joie d’viv’ après son service. Fais voir sentir tes doigts, Violette. E renif’ la choucroute alsaco ! Je préfère à la limande pas fraîche ! Comme quoi, la Bretagne arrête pas l’progrès. L’bidet y a mis le pied, les jeunesses y ont pris goût et y n’en sortirera qu’par la force des baïonnettes ! »
Courroucé, M. Blanc donne un coup de poing sur la table et m’apostrophe violemment :
— Antoine ! Sommes-nous rassemblés pour faire un bilan de la situation ou pour écouter les délires érotiques de ce répugnant personnage !
Béru sursaute :
— Qu’est-ce y vient d’me traiter, Bamboula ? Répugnant personnage ! Un mec que le grand-père bouffait encore nos missionnaires ! Répugnant personnage, ce singe-panzé qui vient just’ d’descend’ d’son arb’ ! Non, mais je croive rêver ! Sors dehors qu’ j’t’rent’ dedans, niacouais ! Allez, sors, si tu serais un homme, qu’on s’esplique une bonne fois, bordel à cul ! D’puis l’temps qu’y m’cherche, y va t’enfin m’trouver, c’ grand pas beau !
Mes paroles apaisantes et l’arrivée du gigot le calment. Un brin d’excuse proféré au second degré par Jérémie lui rend sa sérénité. Il se remet à manger.
A cet instant (comme on écrit dans les puissants romans suspensieux), le téléphone du bar se met à glaglater piteusement. Le taulier décroche :
— Les Goémons écoutent, déclare-t-il.
Et effectivement, « ils » écoutent par le truchement de son ouïe.
— Bougez pas, je vais voir, fait l’homme au tablier bleu après un instant d’attention.
Il lance à la canonnade :
— On demande M. Bérurier !
Le bâfreur stoppe son double mouvement d’épaules et de mâchoires. Son mufle de fauve brusquement débusqué se dresse. Il a les babines ruisselantes de jus de viande et trois haricots glissent sur ce qu’il est convenu d’appeler sa cravate.
— Moi ! fait-il à travers une livre de nourriture en cours de mastication.
Il déglutit l’ensemble.
— Qui peut-il savoir qu’j’sus ici ? interroge le Mammouth à la ronde.
Personne ne lui fournissant une version plausible, il se lève, va au biniou (nous sommes en pleine Bretagne).
— A qui ai-je-t-il l’honneur ? lance mon gracieux compagnon avec emphase.
La réponse le laisse sans voix. Depuis notre table, nous percevons le déclic du téléphone raccroché par le correspondant du Gros. Lui demeure encore quelques secondes avec le combiné à l’oreille. Puis il finit par le déposer sur sa fourche et revient à son assiette.
— Mystère et boule Quies ! déclare-t-il en reprenant sa truelle pour s’envoyer une plâtrée de fayots.
— Qui t’appelait ? questionné-je.
— Il a pas donné son blaze. Juste il a dit : « Vous ne devriez pas laisser votre voiture en plein soleil. »
— C’est tout ?
— Tout ce qu’il y a de tout. Puis il a raccroché.
Je me soulève de mon siège afin de regarder à l’extérieur. Devant le restau, il y a une place pavée, avec une statue en son centre qui représente un zig loqué dix-huitième siècle, brandissant son bicorne de façon conquérante. Nos tires sont rangées en épi autour de la statue. Celle du Gravos a l’air d’une épave arrachée à une montagne de carcasses promises à la compresseuse. Elle est noire et ce qui subsiste de carrosserie brille au soleil.
— Je vais voir, dis-je.
La ville est paisible à l’heure du déjeuner. En langueur. Pas un bruit. Ce n’est pas un soleil très vivace qui l’arrose, plutôt un jaune d’œuf de poule élevée en batterie. Entre deux immeubles, on découvre l’océan gris et blanc. Le bateau des îles passe précisément dans l’échancrure, et c’est une chouette carte postale.
Je m’approche de la guinde du Dodu. Très sincèrement, elle mériterait d’être exposée dans les Salons de Loto. Je la vois parfaitement sur un podium, cernée par des projos avec un panneau explicatif :
« Cette Citroën DS est la propriété de l’officier de police Alexandre-Benoît Bérurier qui continue de l’utiliser dans l’état où elle se trouve pour vaquer à sa vie professionnelle. »
Je considère l’intérieur : les banquettes crevées d’où jaillissent les ressorts, le plancher bouffé par la rouille qui permet d’apercevoir la route, le volant rafistolé par des étais de bois entortillés de chatterton, la boîte à gants sans couvercle, le pare-brise remplacé par du contre-plaqué dans lequel on a aménagé des meurtrières.
Oui, une pièce de musée. Musée de la loufoquerie. Seul mon cher et regretté Dubout pouvait concevoir pareil engin.
La carrosserie est bosselée, crevée, ravaudée. Le pare-chocs ressemble aux moustaches de Dali. Le coffre ferme avec du fil de fer.
Pourquoi le correspondant anonyme a-t-il déconseillé à Béru de laisser sa voiture au soleil ? Nous sommes donc observés, suivis ? On nous connaît !
Je détortille le bout de fil de fer qui garde le couvercle de la malle en position fermée. Ça grince sinistros lorsque je le soulève.
Ça grince bien plus fort dans ma tronche quand je vois ce que le coffre contient.
DÉLIBÉRATIONS
Elle est allongée en chienne de fusil dans l’innommable coffre, parmi des bidons, des reliquats de nourritures largement décomposées, des culottes de femme ayant servi à essuyer la jauge à huile, des outils déglingués, des magazines pornos, des bottes de caoutchouc pestilentielles, des moulinets hors d’usage et des tubes de vaseline crevés (le Gros doit fréquemment faire appel à ce produit pour investir les dames inaptes à accueillir sa surdimension).
Elle a la joue sur un sac à pommes de terre, ses deux bras sont repliés sous elle, ses genoux remontent presque à son menton et ses chaussures sont posées dans la pliure de son ventre ; sans doute les avait-elle perdues pendant son transport. On lui a tiré une balle sous le menton et le projectile a traversé la boîte crânienne, faisant exploser la calotte comme une noix de coco. Mais sous les cheveux bruns, l’effroyable blessure fait moins d’impression que si elle affectait le bon général de Bénouville.
Je me hasarde à palper. La rigidité cadavérique « a fait son œuvre », comme on dit immanquablement en de telles circonstances. Ça va être joyce de la sortir de son puant cercueil et il faudra attendre que ce phénomène inéluctable disparaisse avant de la placer dans une bière plus chrétienne.
Je rabats le couvercle. Il récalcitre vilain. Tout est nazé dans cette tire. Puis je rentortille le fil de fer servant de serrure de sécurité et regagne le troquet. Avant de m’attabler, je passe me laver les pattounes ; faut toujours, quand tu viens de tripoter un macchab’.
Le Mastar a déjà mis à mal le gigot, espère ! Lui a pratiqué une de ces brèches que tu vois briller l’os, bongu ! Sa boulimie s’exaspère, céziguemuche ! La platée de haricots au jus baisse de niveau. La Pine, qui chipote sur la souris, fait tout mignard à côté ; lui, c’est un freluquet de la bectance, un œuf coque le nourrit. Il s’alimente au Muscadet. Seul, M. Blanc clape raisonnablement, en homme équilibré.