— Pourquoi prétends-tu que c’était un vieux salaud ?
— Il se pointe chaque fois avec une gonzesse nouvelle, généralement jeune. Il la traite comme du poisson gâté et, au bout de quelques jours, elle fout le camp. Il les faisait pleurer, ce dégueulasse !
Il est rétrospectivement courroucé par les butorderies du père Moncornard ; lui, c’est un tendre dans son genre, Karim Karabi. Sans donner à la femme une place prépondérante dans la société, il ne l’en respecte pas moins.
La porte s’ouvre et un quinquagénaire gris de poils, à l’air chafouin, surgit pour apostropher mon interlocuteur :
— Hé ! dis donc, le raton laveur, y a du boulot ! Laisse pas les autres s’appuyer le gros œuvre.
Et de me défier d’un regard en comparaison duquel deux glaves de tubar ressemblent aux yeux angéliques de la gentille Bernadette Soubirous.
Je laisse filer Karim.
Au reste, il n’a plus rien de palpitant à m’apprendre.
Quand je quitte le petit burlingue, je tombe sur Alexis, venu surveiller l’aménagement de la salle des conférences.
— Il faut être dément pour organiser un bal avec tout ce qui vient d’arriver, déclare-t-il. J’ai de ces bouffées, si tu savais ! Je voudrais congédier tout ces gens : clients et personnel, et sauter dans le premier avion venu.
— Tiens bon, l’ami ; notre existence est cyclique : après la merde vient le miel !
— Il arrive qu’on s’y enlise, dans la merde, et qu’on y crève !
— Nous touchons au but, menté-je.
— Dans quel état sera mon institut ! lamente Clabote. Franchement, Antoine, en t’appelant à la rescousse, j’espérais autre chose.
— Je ne suis pas le bon Dieu, mais un simple poulet, plaidé-je. Nous sommes aux prises avec une espèce d’organisation qui a bien préparé son affaire. Nous ne connaissons rien de ses desseins. Pourquoi supprime-t-elle tes clients ? Dans quelle perspective ? Te nuire ? Le prétexte est un peu fragile ; il n’est pas besoin d’un massacre pour couler une maison.
— En attendant, c’est tout de même moi qui trinque, grince Alexis. A la fin de cette affaire, je n’aurai plus qu’à fermer boutique et à retourner au pays !
— Chiale pas, merde ! Quand tu jouais au rugby, tu m’as raconté, qu’un jour, les Anglais vous menaient quinze-zéro à la mi-temps et que vous avez tout de même gagné la partie ! Là, nous sommes menés dix à zéro mais nous remporterons le match ! Cela dit, j’ai besoin de ta participation, talonneur !
— Qu’est-ce que je peux faire ? soupire le mari de Lucette.
— Eclairer ma lanterne sourde, mec. Tu m’as dit que le père Moncornard venait ici avec une souris. La dernière en date serait partie depuis peu ; il me faut l’identité et l’adresse de cette donzelle.
— Pour quelle raison ?
— Il ne t’échappe pas que je suis commissaire et que j’ai des raisons d’interroger sans qu’on me réponde par d’autres questions ? le rembarré-je.
Il se ferme comme l’escarguinche en hibernation, quand il construit son petit mur de l’Atlantique pour s’isoler du monde.
D’un pas rageur, il me guide jusqu’à la réception. Répercute ma question à Gaston Lamoul, le chef. Celui-ci, lunettes de notaire et mémoire d’éléphant, récite, tout en farfouillant dans un fichier :
— Gladys Touraine, boulevard de la Gironde, Bordeaux !
Et puis il sort un bristol et nous le tend avec emphase, car la fiche confirme ce qu’il vient d’énoncer. Et alors, bravo ! Est-ce qu’il empoche les mille francs ou s’il revient faire quitte ou double la semaine prochaine ?
— Géant ! approuvé-je. Quel professionnalisme ! J’espère que M. Clabote vous paie selon vos mérites !
Mon pote grince des dents, n’appréciant pas la boutade. C’est vrai qu’il est mauvais coucheur.
— Cher monsieur Gaston, voulez-vous essayer de m’obtenir cette personne au téléphone ?
Le gonzier, très coopératif, passe dans le compartiment de la standardiste.
— Tu n’as plus besoin de moi ? hargnit Alex.
— Plus pour l’instant.
Là-dessus, Lucette, ma fabuleuse, paraît. Elle porte un tailleur Chanel. Tweed marron, chaînettes et boutons d’or, chemisier grège. Elle bandouille un sac, également Chanel, à l’épaule.
— Tu pars ? demande Alex.
— Tu sais bien que j’ai rendez-vous chez mon dentiste, à Vannes.
Il hausse les épaules.
— J’ai d’autres préoccupations, bougonne-t-il.
Le mufle ! Ah ! qu’un homme comme cela mérite bien d’être cornard ! Et comme il est gentil d’alléger mes remords !
M. Gaston réapparaît.
— Cette dame n’est pas chez elle, déclare-t-il. Quelqu’un m’a demandé ce que je lui voulais, j’ai dit qu’elle avait oublié un bijou à l’institut. On m’a répondu de le lui adresser à l’Hôtel Grand Large de Port-la-Craquette.
— C’est à trente kilomètres d’ici, m’explique Alex, un établissement qui voudrait nous concurrencer, mais qui végète car il n’a ni notre infrastructure ni notre compétence et encore moins notre confort !
Ça y est, le voilà qui dindonne, pigeonne, paonne, rengorge. Vanité toujours présente. Tu te grattes l’orgueil et tes ongles puent la merde !
— Tu veux rencontrer cette bonne femme ? demande-t-il.
— Le plus vite possible.
— Lucette peut t’y déposer, c’est presque sur sa route !
Décidément, les cocus ne changeront jamais.
— Je ne voudrais pas la déranger, balbutié-je hypocritement.
— Penses-tu, elle s’en fera une joie, n’est-ce pas, Lucette ?
LE CHEMIN DES ÉCOLIERS
Et c’est vrai qu’elle s’en fait une joie, Lucette, de m’emporter à Port-la-Craquette. Surtout lorsqu’au sortir de Riquebon on s’engage dans une petite forêt de pins. La route est sablonneuse, qui la traverse. On emprunte un sentier dans lequel les roues de sa Peugeot 205 patinent. Il y a des touffes de fougères très hautes. Elle stoppe sa guinde dès que nous sommes hors de vue et se jette sur ma partie inférieure avec la voracité des grands fauves. Pas de vraies amours sans passion. Passionnée, elle l’est. Une folie ! Sa fougue ! Je te décris plus. C’est si intense ! Si total ! L’apothéose (j’aime ce mot, il ressemble à un feu d’artifice ; il jaillit, s’épanouit, éclabousse).
La charmante petite voiture qui sert de carapace à nos amours tangue, vibre. On klaxonne fortuitement. On allume les phares avec les pieds, on desserre le frein à main avec les fesses, on fêle le rétroviseur avec la nuque. Je défonce le couvercle de la boîte à gants avec ma queue ! Te dire l’effervescence voyeuse qu’on fait montre ! Son Chanel en prend un coup ! Elle, elle en prend deux ! C’est le sac du printemps (on est le 21 mars). On carnage la voiture abominablement. Y aura des frais de sellerie et de détachage. L’amour explosif à ce point, laisse des traces.
On se bouffe la gueule, le sexe, tout ce qui passe à portée de dents ! L’ivresse nous porte, emporte. L’envolée superbe. Soif inextinguible ! Inrassasiable ! Sitôt fini, on a besoin de recommencer. Faudrait pouvoir aller jusqu’à l’épuisement, l’exténuance totale. Hélas, le temps qui sur chaque ombre en jette une plus noire nous incite aux déculades précoces. On désunit. On sort de la tire pour se rajuster, la réparer aussi un brin, enlever le plus gros.
On se sent hirsutes, mal lavés, abasourdis de pas s’être complètement achevés.
Faut que je pousse pour repartir, because le sable qui est pire que la neige. La neige, tu te dis qu’elle fondra, le sable, fume !
J’ai les guibolles qui flanellent. J’arc-boute pourtant. On s’arrache. Repart. Pendant qu’elle conduit, je garde ma main sous sa jupe. Deux doigts glissés dans sa culotte (toute la pogne, impossible, le slip est trop P 3).