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Bon, elle a fini de composer. J’entends confusément la sonnerie d’appel. Ça ronfle quatre, cinq, six, sept, huit fois. Puis on décroche.

— Allô ! fait la « silhouette » à voix basse, c’est moi.

On lui cause avec intensité. Elle interrompt :

— Vous avez agi comme des cons ! Maintenant, il va falloir…

Elle dit pas davantage parce que je viens de donner une forte secousse au cordonnet. Et comme j’avais fixé l’autre bout à la fourche du bigophone, la communication est coupée ; de plus l’appareil choit de sa console et éclate comme une coucourbe sur le carrelage.

Je sors de derrière mon rideau. J’ai mon feu en pogne, l’air pas gentil, je suppose. Tu verrais Lucette, la tronche qu’elle me fait ! Y a de tout dans son expression : surprise, peur, rage, désespoir. J’actionne le commutateur. Le petit lustre-rouet de l’entrée éclaire l’anéantissement de Mme Clabote.

On se défie d’un double regard noir.

— Fin d’un grand amour, soupiré-je. Bon Dieu, ce que j’y ai cru pourtant !

Il y a comme une grande peine glacée au tréfonds de mon être ; un désespoir polaire, si tu piges ? C’est vrai que j’y ai cru, à nous deux ! J’ai vécu notre coup de foudre, du moins ce que j’ai pensé être un double coup de foudre, avec passion ; comme Roméo a aimé Juliette, comme Barrault aime Renaud et comme Roux aime Combalusier.

Sans cesser de la braquer, je vais à la porte et adresse un signe à l’extérieur afin de requérir Bérurier. Au premier, la voix du castré, alerté par le fracas du téléphone brisé :

— Qu’est-ce que c’est ?

— Mme Clabote a voulu donner un petit coup de fil et a fait tomber l’appareil téléphonique, cher ami, soyez sans crainte, dès demain on vous le remplacera !

— Je vous croyais parti ! note le cher homme.

— J’avais omis de dire quelque chose d’important à Lucette Clabote.

— Ah ! bon.

— Pardonnez le dérangement, on vous revaudra ça.

— Dites, ce serait malheureux, après tout ce que vous faites pour Marinette !

Ah ! le gentil ! Ah ! le saint homme. Ça, oui, c’est un mari modèle. Il regagne sa chambre et Béru entre, kif une pièce de Feydeau réglée quart de tour. Les portes claquent et s’ouvrent. Ballet !

Le Mastar a omis, dans sa précipitation, de renfermer sa braguette, et comme il a oublié aussi d’enfiler son slip, t’as une vue imprenable sur son balancier.

Dans les cas graves, il est comme Elliot Ness, le drôle : présent, efficace, muet.

— Une urgence pour madame, murmuré-je en désignant Lucette. Elle va remonter se coucher.

Il a compris. Il s’approche de ma fabuleuse maîtresse et allonge sa main derrière la nuque de celle-ci.

— Ne me touchez pas ! fait-elle.

En guise de réponse, Béru ôte son chapeau de sa main restée vacante et, assurant bien l’immobilité de la tronche de la patiente, lui file un coup de boule de footballeur au front. Le bruit est faible mais le choc puissant, car elle perd connaissance d’urgence. Mister Béru se recoiffe, se baisse et charge Lucette sur son épaule.

Je le précède dans l’escalier.

On l’étend sur le lit qui lui fut dévolu par notre bonne hôtesse.

— Tu as ma boîte, Gros ?

— Voici-voilà, voilà-voici ! ricane l’Enflure.

Je sors une seringue toute chargée. La boîte chromée en contient trois, douillettement protégées par des lamelles de polyester. Je dégage l’aiguille, retrousse la jupe de la donzelle et lui bricole une rapide injection dans la cuisse.

Ensuite, je mets la seringue utilisée avec les deux autres et glisse la boîte dans ma fouille.

— Elle va en avoir pour une quinzaine d’heures, annoncé-je au Mastar.

Là-dessus, mon cher ami Sogrenut se repointe, balzacien dans sa robe de chambre de laine rouge. Il regarde Lucette.

— Elle est malade ?

— Non, non, le docteur Bérurier vient de lui administrer un calmant car elle a été très choquée par notre accident. Elle va sûrement dormir longtemps. Il faudra que Marinette reste à son chevet et n’aille pas travailler demain.

Le digne homme opine.

Puis, gêné :

— Dites-moi… A propos de Marinette, justement…

— Oui ?

— Elle est très énervée. Ses sens qui l’emparent, de vous sentir là. Vous ne voudriez pas lui faire une bonne manière, qu’elle puisse dormir ? Oh ! la moindre des choses, ne serait-ce qu’une branlette ; c’est une fille pleine de tempérament.

Il est si misérable que la pitié me biche.

— Moi, pendant ce temps, je descendrai regarder un film de nuit à la télé ; je crois même qu’il y a de la boxe sur Canal Plus.

— O.K., fais-je, nous allons nous en occuper.

— Vous êtes formidable ! assure l’excellent homme.

On passe dans la chambre matrimoniale. Marinette est en effervescence. Mais elle réfrène en apercevant Béru.

— Douce amie, lui fais-je, vous est-il arrivé de contempler un outil de ce calibre ?

Je lui désigne le futal écossé du Gros. Elle mate par la lucarne et réprime un haut-le-corps.

— Sapristi ! s’exclame-t-elle.

— N’est-ce pas ?

Béru s’avance vers le lit.

— Et vous pouvez vérifier la fraîcheur, dit-il, c’t’un arrivage de la nuit !

Il est allé m’ouvrir en douce une porte de service de l’institut et je suis entré comme un concert (à Pas-de-Loup), sans rencontrer âme qui vive à cette heure de la noye. Nous avons rallié la chambre du Mastar. Une aimable vision nous y attendait : Violette et la serveuse de l’auberge endormies. Tendrement enlacées puisque chacune a noué ses jambes au cou de l’autre.

— C’est pas émotionnant ? fait Alexandre-Benoît. Cet’ jeun’ fille qui dort av’c innocence, la joue sur la cressonnière de sa potesse ? Tu croiverais des chérubines ! C’est la belle âge ! Quand j’songe à toutes les p’tites salopes qu’on voye dans la rue, chnouffées et cradoches et qui s’placent un’page d’France-Soir roulée en guise de tampasc, j’m’dis qu’heureus’ment qu’on a encore des d’moselles d’cett’ qualité.

— Certes, conviens-je, c’est réconfortant.

Anéanties qu’elles sont par des étreintes folles, elles reposent sans que notre venue les trouble.

On va s’asseoir près de la baie, avec juste la lumière d’un lampadaire.

— Tu boiererais pas un coup d’champ’ ? demande le Gros. Ya des demi-boutanches dans l’petit frigo.

Je trouve l’idée convenable et il va déballer deux quilles de rouille qu’il scalpe avec une aisance stupéfiante.

— On boive au goulot, déclare l’Obscène au grand cœur, c’est comme ça qu’il est le meilleur et qu’il fait l’mieux roter. Maint’nant, si c’serait un effet d’ta bonté, bonnis-moi un peu ce dont y s’est passé ?

Je récapitule d’autant plus volontiers que, tu le sais, j’estime que c’est en ressassant les faits qu’on finit par les comprendre. Je reprends tout avec l’électrocution collective, clé de voûte de l’affaire. C’est le cri dans la presse ! Clabote prend peur, voit son établissement foutu et, en ami désespéré, me lance un S.O.S., à moi, meilleur flic de France (à gauche quand tu sors des chiottes).

A peine suis-je à pied d’œuvre (de chef-d’œuvre si l’on se réfère à cet ouvrage qui en consécute), que la vieille dame italienne est butée. Du coup je m’intéresse à sa dame de compagnie. Cette dernière étant belle et sexy, je m’en empare. Le couple Clabote survient malencontreusement alors que je calce avec véhémence la donzelle sur la couche mortuaire. Confusion de ma part ! Je me crois perdu corps et biens dans l’estime de la somptueuse Lucette. Au contraire, impressionnée par ma prestation, elle me donne anonymement rendez-vous. J’ai le coup de foutre, me montre à la hauteur et démarre séance bandante une histoire d’amour qui me conditionne pour les pires folies.