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On a mis le fameux et si précieux écriteau « Do not disturb » au crochet de la lourde. Allongé sur le lit malodorant des amours crapuleuses, les mains sous la tête, je regarde deux mouches en train de baiser au plafond. Je suis cerné, y a pas ! La fornication est partout. La nature n’est qu’un immense enchevêtrement de sexes, une projection incessante de semences. Dans ce travail à la chaîne des espèces, l’engendrement ne s’arrête jamais.

Ce soir, grand bal.

Mais en attendant ?

Que fait Alexis dont la bergère a disparu ? Que font les gens meurtriers de cette association mystérieuse ?

Je pense, pense… Des idées plus ou moins folles surgissent dans mon caberluche, fulgurent, s’en vont, ou bien se mettent en mémoire. Je reconstitue tant mal que bien l’étrange puzzle. Partant de l’hypothèse qu’un grand coup se préparait ici et qu’il a été « dérangé » par des événements extérieurs. Histoire en double partie. Le hasard a permis que se jouassent deux pièces en même temps, au même endroit. Pièces de grand-guignol, sanglantes… Non, pas sanglantes ! Electrocution, étouffement, aspersion d’acide, noyade, constituent des morts sans effusion de raisin. De vraiment sanglant, en somme, y a juste eu l’assassinat d’Ellena Mencini, abattue d’une praline dans la théière. Et il y aurait eu ma mort à moi si la bombe m’avait tué, ou bien, plus tard, les balles du tireur sur la route.

On toque à ma porte.

Et l’écriteau, bordel !

Qui vient me tartiner la prostate ? Le service ? M’étonnerait. On frappe derechef. Me faut vigiler. Des fois que des gars de la bande voudraient vérifier si je me suis placardé chez mon gros pote !

Je continue de ne pas bouger.

Une petite voix vieillotte appelle, assez bas :

— Ouvrez-moi, commissaire : je sais que vous êtes là.

Tiens, voilà qui est singulier.

Comme je ne bronche toujours pas, la voix chevrotante reprend :

— Je vous vois !

Je soulève ma tronche. Le lit n’est pas dans l’axe du trou de serrure. On me bluffe.

— Vous êtes allongé sur le lit et vous regardez en direction de la porte !

Merde ! Je rêve ou quoi ?

Putain, moi, tu me connais. Curieux comme un morbac ! Je saute du paddock et vais délourder.

Surprise ! Une charmante vieille dame, plâtreuse, ridée, le cheveu blanc-bleu, la bouche mal fardée en violet. Des fanons trembillent sous son menton.

Elle est drapée dans un peignoir de l’établissement. Ses pinceaux d’échassier servent de tuteur à d’énormes veines bleues qui s’entortillent autour d’eux comme un lierre écœurant.

— Madame ?

— Je peux entrer ?

— Je vous en prie.

Elle come ; je shute.

Et j’attends.

Elle sourit.

— Peut-être avez-vous entendu parler de moi, il y a une dizaine d’années en arrière : Catherine Katarina, voyante ? Je faisais beaucoup de publicité dans les journaux et j’avais une émission hebdomadaire à la télévision.

Je la regarde. Non, franchement, je ne me la rappelle pas. Tant de gens surgissent d’une manière ou d’une autre dans notre horizon, font un petit quelque chose et disparaissent… Tant de gens ! Brouillade de visages ! On les découvre, on les oublie. Notre existence, c’est la salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare.

— Ah ! oui, peut-être bien, fais-je poliment.

— J’ai cessé d’exercer, mais mes dons sont intacts, dit-elle.

Bon, la voilà qui vient me taper la bonne ferte, Mamie Nova. Compte-t-elle me bottiner de la fraîche ?

— Je n’en doute pas, réponds-je.

— Je sais qui vous êtes, commissaire. Votre célébrité…

— Merci, dis-je sèchement, ayant horreur qu’on me mouille la compresse.

— Je sais aussi que vous venez éclaircir ce mystère des électrocutions. Il me tient particulièrement à cœur car l’une des victimes, Pétrus Dubois-Douillet, avait été mon fidèle client, jadis, et était devenu mon ami, ajoute l’excellente femme.

J’attends la suite.

Elle vient :

— Je vous propose une petite expérience, commissaire.

— Laquelle ?

— Entrer en communication avec Pétrus Dubois-Douillet afin d’apprendre des choses sur le drame.

Allons bon ! Le guéridon à paroles, maintenant ! Dis, elle dégénère, mon enquête, Huguette ! Tu vois le Sana avec cette vieille sorcière, invoquant les esprits pour faire progresser le schmilblick ?

— Ecoutez, chère madame…

— Oh ! je sais. Cartésien comme vous l’êtes, vous me prenez pour une folle !

— Du tout, mais je suis officier de police et ce serait un grave manquement aux règles de ma profession que d’en appeler à l’au-delà pour obtenir des informations. On nous reproche déjà d’avoir des indicateurs, dans la police, que serait-ce si l’on nous suspectait d’utiliser le surnaturel.

— Ami, fait la vieille momie, seule importe la finalité. Personne ne connaîtra mon intervention, et si elle se montre positive, vous serez le seul à en tirer bénéfice. Vous rêvassiez sur ce lit, ne me dites pas que vous refusez d’accorder cinq minutes à une expérience !

Elle est poilante, la vioque, dans son genre. Extravagante, mais sympa.

— Comment avez-vous su que je me trouvais dans cette chambre ? demandé-je.

— Je n’ai pas grand mérite à cela : je vous ai vu y pénétrer cette nuit en revenant de faire faire pipi à mon yorkshire vieillissant qui a de l’incontinence.

— Vous me voyiez sur ce lit, à travers la porte, tout à l’heure ?

— En fait, je vous « devinais ». Question d’ondes. Vous comprenez ?

— Tout à fait !

— Bon, on s’y met ?

— Je vous en prie.

— Fermez les rideaux.

Je les ferme.

— Asseyons-nous face à face dans ces fauteuils. Vous voulez bien éteindre le lampadaire ?

Je souscris à ses recommandations. Elle a une odeur, Catherine Katarina. Une odeur de vieille un peu rance et sucrée. Prélude olfactif à la mort. Nos odeurs vieillissent avec nous, un peu plus vite que nous, même.

Elle glisse sa main dans la grande poche de son peignoir et en retire un petit casque de walkman avec deux minuscules écouteurs, comme tu vois sur la tronche des gus en train de faire du jogging en écoutant la neuvième symphonie de Fernand Reynaud.

— Que dois-je faire ? demandé-je, très confusément impressionné parce que ça me ferait plutôt pouffer, ce cinoche.

— Simplement vous concentrer et vous mettre à l’unisson de mon O positif.

— Avec plaisir.

Elle met son casque de ses pauvres mains qui sucrent, en prenant garde à ne pas se décoiffer.

Ensuite elle ferme les yeux, se penche en avant et place ses deux pattounes en conques sur ses orbites (n’ajoute pas « de cheval », ça romprait le charme !).

— Pétrus, appelle-t-elle doucement. O cher Pétrus, m’entendez-vous ?

Elle attend et se met à siffler entre son dentier, ou plutôt à zonzonner. Ça fait comme quand t’obtiens pas la communication, biscotte l’encombrement des lignes : « bzzzzz… bzzzzz… bzzzzz… » Elle cesse pour héler de nouveau :

— Pétrus ! Pétruuuuuus ! C’est Catherine Katarina qui vous appelle. Répondez, Pétrus !

« Bzzzzz… bzzzzz… » fait le silence.

Bon, ça commence à bien faire, tu crois pas ?

Un moment, je veux bien, deux moments, bonjour la merderie.

— Ah ! ah ! fait soudain Mémère en réagissant. C’est vous, Pétrus ! Comment ? Vous n’êtes pas Pétrus Dubois-Douillet ? Qui êtes-vous, alors ? Le quoi ?… Le général Junot, duc d’Abrantès ? Je vous prie de m’excuser, mon général… Connaissez-vous Pétrus Dubois-Douillet ?… C’est cela : un nouveau, grand, un peu voûté, avec le nez plutôt fort… Je peux vous demander de le prévenir ?… C’est très gentil à vous. Mes respects, mon général…