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Courbettes des éminents évoqués.

— Mon seul côté positif, reprends-je péniblement, c’est d’avoir camouflé le meurtre de la signora Morituri en crise cardiaque de bon aloi. Outre ma personne, ils ont un autre motif d’inquiétude dans le réseau : Moncornard Aristide. Pour une raison que je ne connais pas mais que j’entrevois, le vieux est au courant de ce qui se prépare et se met à avoir la langue trop longue. J’ignore si le juge d’instruction sera à même d’éclaircir ce point, mais je pense que Moncornard faisait partie des commanditaires de l’opération. Il conviendra d’enquêter sur son passé à l’époque de l’Occupation, pour préciser mon hypothèse.

« Maintenant, nos gens sont aux abois. Jaume, qui sur place dirige le commando, décide de faire trucider Moncornard d’abord, et moi tout de suite après, car nous sommes dangereux pour eux. Le décès du vieux par projection d’acide rentre bien dans le schéma d’un fou assassin ; il fait le pendant avec l’électrocution collective. Là, encore, j’ai la complaisance impensable d’écraser le coup pour eux. Seconde aubaine. Ils nous observent à la loupe.

« Lorsque nous enlevons Ellena Mencini, ils comprennent que je me doute de sa culpabilité concernant le meurtre de la vieille signora et décident de mettre le holà. Mes hommes et moi ne devons rien découvrir de positif avant le surlendemain où va avoir lieu le bal. Car tout est paré : Nixon vient faire sa cure, la cabine de projection a été aménagée ; il ne faut plus toucher à rien. Ce salaud de Clabote sait où nous avons conduit la dame de compagnie, et pour cause : il nous a prêté sa villa encore en chantier. Les sbires de Jaume vont la récupérer, la tuent, puis la mettent dans l’auto de Béru, pensant qu’il aura quelque mal à expliquer la présence dans son coffre d’une femme qu’il a kidnappée.

« Maintenant, reste à m’éliminer. Jaume, auquel j’ai fait des confidences à titre professionnel, ne veut pas de ma présence pendant l’exécution générale. Alors les époux Clabote “s’occupent” de ma personne. Le mari complaisant me propose de me faire conduire par sa femme dans un village peu éloigné où je compte interroger la maîtresse de Moncornard. Bien entendu, j’accepte. Un guet-apens est concocté, auquel j’échappe. Le reste… »

— Nous le savons, affirme le Big Boss, sentencieux.

— J’ai oublié de vous dire qu’après le meurtre d’Ellena, ils ont téléphoné à Morituri pour l’avertir que tout était découvert. Le bagnoleur a su que sa ruine et son déshonneur étaient consommés ; il s’est pendu.

Un léger clapotis retentit dans le silence qui suit. C’est Violette qui retire sa main des profondeurs qu’elle explorait. Chantal retrouve progressivement son assiette.

— Je vais lui faire une piqûre, annonce-t-elle en me montrant, mais vous devriez le laisser maintenant, il est exténué.

Moins qu’elle !

Bérurier saisit la dextre de la contractuelle et la porte à ses narines. Il hume voluptueusement.

— Du surfin, apprécie-t-il.

Achille donne le signal de la retraite.

J’interviens pendant que Chantal prépare sa seringue (qu’à charge de revanche un de ces quatre, môme !).

— Monsieur le directeur, dis-je, avant que vous ne vous retiriez, je voudrais vous présenter une requête.

— Je vous suis tout acquis, mon petit ; dites !

— Elle concerne Mlle Violette ici présente. Elle est actuellement contractuelle dans la police parisienne, mais son comportement au cours du coup de main, son courage exemplaire, ses initiatives hardies, ont forcé mon admiration, et je vous demanderais de bien vouloir l’incorporer dans mon équipe. J’ai rarement vu une fille aussi téméraire.

Le Vieux se tourne vers Violette.

— Ah ! vraiment, San-Antonio ?

Violette est rougissante, ce qui aggrave sa rouquinerie.

Béru, ravi, murmure :

— Et puis comme pineuse, monsieur l’direqueur, j’vous la r’commande : un volcan en irruption ! Avec elle, la pipe, feuille de rose, le grelot indonésien, la savonnette mousseuse, c’est de la broutille. Et ell’ vous broute une chatte de copine comme de rien, ce qu’agrémente !

Intéressé, Chilou s’approche et, d’un revers de main caressant, effleure les doudounes paqueteuses de la mère.

— Voyez-vous ça, murmure-t-il, voyez-vous ça, la cachottière ! Bon, eh bien, je vais faire droit à votre requête, mon petit Antoine. Seulement, auparavant vous permettrez que je joue les Pygmalion. On est encore un peu fruste, tout en étant déjà mignonne. Elle va me faire un petit régime, cette exquise. Oh ! rien de grave, ma mignonne, vous allez me perdre dix-huit kilos à tout casser. Et puis on va me teindre ces cheveux, pas vrai ? Carotte, ça se repère de trop loin. Qu’est-ce qu’on peut foutre comme couleur sur cet incendie ? J’y suis : auburn ! Ça fait un peu pute mais c’est préférable à ce Van Gogh, et avec un beau maquillage on enverra la farce ; je la conduirai moi-même chez Carita. Quant aux vêtements, on va faire cadeau de votre garde-robe au Secours National et nous irons vous habiller dans quelques boutiques à la mode : Sakoun, Escada et consorts.

« Vous savez que je vais jouer à la poupée, avec cette gamine ! Elle sait tirer au pistolet, mais sait-elle se servir d’un couvert à poisson ? Hein ? Allez, venez, mon cœur, nous allons commencer une nouvelle vie, vous et moi. Ah ! vous êtes héroïque ! C’est bon, cela, c’est magnifique. Et vous bouffez des chattes pendant qu’on vous… Superbe ! Dites, c’est de la cellulite que j’aperçois au-dessus des mollets ? On va la faire inscrire dans un fitness. Ces petits travers se gomment sans problème. Je ferai de vous une femme-flic pin-up, je vous le garantis. Laissez-vous bien soigner, San-Antonio. Et n’ayez pas peur des séquelles. S’il devait subsister une claudication, eh bien on vous enverrait faire de la rééducation dans un institut qualifié ! A Riquebon, par exemple ! »

Il sort, rajeuni, tenant Violette par la taille.

— J’sais pas si c’s’rait un effet d’mon idée, mais j’croive bien qu’j’l’ai dans l’cul ! soupire tristement Bérurier.

FIN