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— Et là, tu te tranches la gorge, la Gorge ?

— Quinze pour cent pour les officiers ! » s’empressa de proposer l’autre à Vimaire qui s’éloignait. La légère panique dans son regard s’expliqua bientôt. La concurrence était sévère.

Les habitants d’Ankh-Morpork n’étaient pas naturellement héroïques, mais ils étaient naturellement commerçants. En l’espace de quelques mètres, Vimaire aurait pu acheter un nombre incroyable d’armes magiques – Vérytable certyfycat d’orthenticité avec chasque artycle –, une cape d’invisibilité – une bonne idée, se dit-il, davantage impressionné encore par l’astuce du propriétaire du stand qui se servait d’un miroir dépourvu de verre –, et, pour détendre les esprits, des biscuits pour dragons, des ballons et des moulins à vent sur des bâtonnets. Une bonne idée : des bracelets de cuivre garantis pour éloigner les dragons de vertu.

Il y avait apparemment autant de sacs et de pelles à se balader que d’épées.

L’or, c’était ça. Le trésor. Hah !

Cinquante mille piastres ! Un officier du Guet en gagnait trente par mois et devait payer pour qu’on lui refaçonne le portrait.

Qu’est-ce qu’il ne ferait pas avec cinquante mille piastres… ?

Vimaire réfléchit un moment à la question puis imagina ce qu’il ferait avec cinquante mille piastres. L’éventail était déjà beaucoup plus large.

Il faillit emboutir un groupe d’hommes rassemblés autour d’une affiche clouée au mur. Elle annonçait effectivement que la tête du dragon qui avait terrorisé la ville vaudrait cinquante mille piastres au héros courageux qui la livrerait au palais.

Un des badauds, dans lequel Vimaire sentit un héros de premier plan, vu sa taille, son armement et la manière dont il suivait les lettres du doigt, un des badauds, donc, faisait la lecture aux autres.

«… ve-re-ra au pe-a-le-ais, conclut-il.

— Cinquante mille, fit un autre d’un air pensif en se frottant le menton.

— Pas cher payé, intervint l’intellectuel du groupe. Bien en dessous du tarif. Devrait donner la moitié du royaume et la main d’sa fille en mariage.

— Oui, mais il est pas roi. Il est patricien.

— Ben, la moitié de son patrimoine ou j’sais pas comment ça s’appelle. Elle ressemble à quoi, sa fille ? »

Le groupe de chasseurs l’ignorait.

« Il n’est pas marié, les renseigna Vimaire. Et il n’a pas de fille. »

Ils se retournèrent et le toisèrent. Il lisait le mépris dans leurs regards. Des comme lui, ils s’en envoyaient sans doute des dizaines par jour.

« L’a pas d’fille ? fit l’un d’eux. Il veut qu’on tue des dragons, et il a pas d’fille ? »

Vimaire, bizarrement, se sentit tenu de prendre la défense du seigneur de la ville. « Il a un petit chien qu’il aime beaucoup, dit-il avec obligeance.

— Vachement dégueulasse, de même pas avoir une fille, fit l’un des chasseurs. Et qu’est-ce que c’est, cinquante mille piastres, de nos jours ? Ça paye… quoi ?… Les filets.

— ’xact, approuva un collègue. Les gens croient que c’est une fortune, mais ils se rendent pas compte que… ben, on a pas d’retraite, y a des frais médicaux, l’achat et la maintenance du matériel…

— … L’usure des vierges, renchérit un petit gros.

— Ouais, et puis aussi… Quoi ?

— J’suis spécialisé dans les licornes, expliqua le chasseur petit gros avec un sourire embarrassé.

— Ah, d’accord. » Le premier chasseur avait l’air de celui qui meurt d’envie depuis longtemps de poser une question. « J’croyais qu’elles étaient très rares, de nos jours.

— Là, t’as raison. On voit pas beaucoup de licornes non plus », répondit le chasseur de licornes. Vimaire eut l’impression que c’était sa première blague dans toute sa vie.

« Ouais, bon. Les temps sont durs, fit sèchement le premier.

— Et c’est qu’ils ruent de plus en plus dans les brancards, les monstres, fit un autre. J’ai entendu causer d’un type, il a tué un monstre dans un lac, jusque-là pas de problème, il a exposé son bras au-dessus de sa porte…

— Pour encouradgeay layze ôtres, fit avec un accent étranger l’un des badauds.

— C’est ça, et vous savez quoi ? Sa mère est venue se plaindre. Oui, sa mère s’est amenée direct au château le lendemain et elle s’est plainte. Vraiment plainte. Voilà comment on nous respecte.

— Les femelles, c’est toujours les pires, fit sombrement un autre chasseur. Une fois, j’suis tombé sur une gorgone qui louchait, oh, c’était une vraie terreur. Elle s’pétrifiait l’nez à tout bout d’champ.

— C’est notre cul à nous qu’on risque à chaque coup, fit l’intellectuel. Je veux dire, j’aimerais qu’on me donne une piastre par cheval qu’on m’a bouffé sous le derrière.

— Parfaitement. Cinquante mille piastres ? Il peut s’les mettre quelque part.

— Ouais.

— Parfaitement. Rapiat.

— On va aller boire un coup.

— Parfaitement. »

Ils approuvèrent tous d’un hochement de tête entendu et partirent à grands pas vers le Tambour Rafistolé, sauf l’intellectuel, qui revint furtivement vers Vimaire, l’air gêné.

« Quel genre de chien ? demanda-t-il.

— Quoi ? fit le capitaine.

— J’ai dit : quel genre de chien ?

— Un petit terrier à poil dur, il me semble. »

Le chasseur réfléchit un moment. « Nan », finit-il par lâcher avant de se dépêcher de rattraper les autres.

« Il a une tante à Pseudopolis, je crois », lui lança Vimaire.

Il n’eut pas de réponse. Le capitaine du Guet haussa les épaules et repartit à travers la cohue vers le palais du Patricien…

* * *

… Où le Patricien passait une mauvaise heure du déjeuner.

« Messieurs ! fit-il d’un ton brusque. Je ne vois vraiment pas quoi faire de plus ! »

Les représentants municipaux rassemblés marmonnèrent entre eux.

« Dans un cas pareil, la tradition veut qu’un héros se présente, dit le président de la Guilde des Assassins. Un tueur de dragons. Où est-il ? Voilà ce que je veux savoir. Pourquoi nos écoles ne forment-elles pas des jeunes gens aux compétences dont la ville a besoin ?

— Cinquante mille piastres, ça ne me paraît pas beaucoup, dit le président de la Guilde des Voleurs.

— Ça ne vous paraît sans doute pas beaucoup, à vous, cher monsieur, mais c’est tout ce que la ville peut se permettre, dit le Patricien d’un ton ferme.

— Si elle ne peut pas se permettre davantage, je n’ai pas l’impression qu’elle va durer longtemps, la ville, dit le voleur.

— Et le commerce, alors ? intervint le représentant de la Guilde des Marchands. Personne ne va envoyer des bateaux de denrées comestibles rares pour se les faire carboniser, pas vrai ?

— Messieurs ! Messieurs ! » Le Patricien leva les mains en un geste conciliant. « Il me semble, reprit-il en profitant de la brève interruption, que nous sommes ici en présence d’un phénomène strictement magique. J’aimerais connaître l’opinion de nos doctes amis sur la question. Hmm ? »

On donna un coup de coude à l’Archichancelier de l’Université de l’Invisible qui s’était assoupi.

« Hein ? Quoi ? fit le mage en se réveillant en sursaut.

— Nous nous demandions, dit le Patricien d’une voix forte, ce que vous comptiez faire au sujet de votre dragon ? »

L’Archichancelier était vieux, mais une existence entière de survie dans le monde de compétition magique et de politique byzantine de l’Université de l’Invisible lui avait appris à trouver un argument de défense en une fraction de seconde. On ne restait pas longtemps Archichancelier quand on laissait siffler ce genre de réflexion ingénue à ses oreilles.