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— Oook.

— Et pas au Conseil de l’Université ?

— Oook ?

— Une idée sur l’identité du voleur ? »

Le bibliothécaire haussa les épaules, un mouvement décidément expressif pour un corps qui n’était guère plus qu’un sac entre deux omoplates.

« Bah, c’est déjà ça. Tenez-moi au courant si d’autres faits bizarres se produisent, vous voulez bien ? » Vimaire leva la tête vers les empilements d’étagères. « Plus bizarres que d’habitude, j’entends.

— Oook.

— Merci. C’est un plaisir de tomber sur un citoyen qui estime de son devoir d’aider le Guet. »

Le bibliothécaire lui donna une banane.

Vimaire se sentit curieusement allègre lorsqu’il sortit et se replongea dans les rues vibrantes d’animation. Pas de doute, il découvrait des éléments. De tout petits éléments, comme les pièces d’un puzzle. Individuellement, ils ne signifiaient rien, mais tous suggéraient un tableau plus vaste. Tout ce qu’il lui fallait, c’était trouver un coin, ou un morceau d’un bord…

Il était à peu près sûr qu’il ne s’agissait pas d’un mage, malgré ce qu’en pensait le bibliothécaire. Pas d’un mage digne de ce nom, à jour de sa cotisation. Ce genre de coup, ça n’était pas leur style.

Et il y avait, bien sûr, cette histoire de tanière. La meilleure solution serait d’attendre le soir, des fois que le dragon sortirait, et d’essayer de repérer d’où il sortirait. Il lui faudrait donc se poster en altitude. Existait-il un moyen de détecter les dragons eux-mêmes ? Il avait jeté un coup d’œil aux détecteurs de Planteur Je-m’tranche-la-gorge, lesquels consistaient uniquement en un bout de bois sur une tige en métal. Quand la tige fondait, on avait trouvé le dragon. Comme beaucoup d’articles de Je-m’tranche-la-gorge, ils étaient parfaitement efficaces à leur manière, en même temps que complètement inutiles.

Il existait sûrement un meilleur moyen de dénicher la bête que d’attendre que vos doigts tombent en cendres.

* * *

Le soleil couchant s’étala sur l’horizon comme un œuf légèrement poché.

Les toits d’Ankh-Morpork se hérissaient déjà d’une belle collection de gargouilles en temps ordinaire, mais à présent ils s’animaient d’un ramassis impressionnant de trognes fantomatiques comme on n’en avait jamais vu en dehors des gravures sur bois dénonçant les méfaits du gin dans les milieux sociaux non amateurs de gravures sur bois. Nombre de trognes surmontaient des corps bardés d’une panoplie redoutable d’armes de tous calibres transmises depuis des siècles de génération en génération, souvent à la force du poignet.

De son perchoir sur le toit du poste du Guet, Vimaire voyait les mages qui frangeaient les faîtes de l’Université et les bandes de chercheurs de trésors opportunistes qui attendaient dans les rues, la pelle prête à l’action. Si le dragon avait vraiment fait son lit en ville, demain il dormirait par terre.

De quelque part en dessous fusa le cri de Planteur Je-m’tranche-la-gorge, ou d’un de ses collègues, qui vendait des saucisses. Vimaire sentit soudain monter en lui une vague de fierté civique. Il y avait forcément du bon chez des citoyens qui, face à la catastrophe, songeaient à vendre des saucisses aux participants.

La ville attendait. Quelques étoiles apparurent.

Côlon, Chicard et Carotte se trouvaient aussi sur le toit. Côlon faisait la tête parce que Vimaire lui avait interdit de se servir de son arc et de ses flèches.

Cette catégorie d’arme était déconseillée en ville : vu son poids et son tir hasardeux, la flèche risquait de transpercer un innocent badaud cent mètres plus loin plutôt que l’innocent badaud visé.

« C’est vrai, fit Carotte, c’est la loi sur les armes de jet (Sécurité publique), 1634.

— Arrête de tout l’temps citer ce genre de trucs, lança sèchement Côlon. On en a plus, d’ces lois-là ! Tout ça, c’est de l’histoire ancienne ! Maintenant, c’est plus… chaispasquoi, là… pragmatique.

— Loi ou pas, fit Vimaire, moi, je vous ai dit de ranger ça.

— Mais, mon capitaine, j’suis un as du tir ! protesta Côlon. Et puis, ajouta-t-il avec humeur, y en a des tas qui l’ont amené, leur arc. »

Il avait raison. Les toits voisins ressemblaient à des hérissons. Si jamais la sale bête montrait son museau, elle allait s’imaginer voler à travers un panneau de bois ajouré. Pour un peu, on l’aurait plainte.

« Je vous ai dit de ranger ça, répéta Vimaire. Je ne veux pas que mes hommes descendent des civils. Alors rangez ça.

— Ça, c’est bien vrai, renchérit Carotte. On est là pour protéger et servir, voilà, mon capitaine. »

Vimaire lui lança un regard en coin. « Euh… fit-il. Ouais. Oui. Affirmatif. »

Sur le toit de sa maison sur la colline, dame Ramkin mit en place un pliant plutôt inadéquat en un tel lieu, disposa le télescope, la bouteille de café et les sandwiches sur le parapet devant elle et s’installa pour attendre. Elle avait un carnet sur les genoux.

Une demi-heure s’écoula. Des nuées de flèches accueillirent un nuage de passage, plusieurs chauves-souris infortunées et la lune montante.

« Merde, c’est pas du boulot d’soldat, ça, finit par déclarer Chicard. On lui a foutu les chocottes, au bestiau. »

Le sergent Côlon baissa sa pique. « Ça m’en a tout l’air, reconnut-il.

— Et il commence à faire frisquet, ici », dit Carotte. Il donna un coup de coude poli au capitaine Vimaire, affalé contre une cheminée, l’air maussade et le regard perdu dans le vide.

« Peut-être qu’on devrait redescendre, mon capitaine ? dit-il. Il y en a beaucoup qui le font.

— Hmm ? fit Vimaire sans bouger la tête.

— Ça pourrait tourner à la pluie, en plus », ajouta Carotte.

Vimaire ne répondit pas. Depuis quelques minutes il observait la Tour de l’Art, centre de l’Université et, d’après ce qu’on racontait, plus vieux bâtiment d’Ankh-Morpork. C’était assurément le plus haut. Le temps, les conditions atmosphériques et les réparations sommaires lui avaient donné l’aspect noueux d’un arbre qui aurait essuyé trop de tempêtes.

Il essayait de se souvenir de sa forme. Comme c’est souvent le cas des éléments de décor familiers, il ne l’avait pas vraiment regardée depuis des années. Maintenant il essayait de se convaincre que la forêt de petites tourelles et de créneaux à son sommet ressemblait à celle de la veille.

Il avait du mal.

Sans en détacher les yeux, il attrapa le sergent Côlon par l’épaule et l’orienta doucement dans la bonne direction.

« Vous ne voyez rien de bizarre en haut de la tour ? » demanda-t-il.

Côlon scruta un moment l’édifice puis se mit à rire nerveusement. « Ben, on dirait qu’y a un dragon assis d’sus, non ?

— Oui. Je trouve aussi.

— Seulement, seulement, seulement quand on regarde comme il faut, quoi, on voit que c’est un effet des ombres, des touffes de lierre et tout l’toutim. J’veux dire, si on ferme à moitié un œil, ça ressemble à deux vieilles bonnes femmes avec une brouette. »

Vimaire essaya. « Ben non, dit-il. Ça ressemble toujours à un dragon. Un très gros, même. Un peu courbé, qui regarde en bas. Tenez, on voit ses ailes repliées.

— ’mande pardon, mon capitaine. Ça, c’est juste une tourelle cassée qui donne cette impression. »

Ils l’observèrent un moment.

Puis Vimaire demanda : « Dites-moi, sergent – c’est juste histoire de savoir –, d’après vous, qu’est-ce qui donne l’impression de deux ailes immenses qui se déplient ? »

Côlon déglutit.

« D’après moi, ce qui donne cette impression, c’est deux ailes immenses, mon capitaine, répondit-il.