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— Il n’est pas à moi. Il appartient au capitaine maintenant. Ou à vous tous peut-être. Un genre de mascotte. Il s’appelle Bravegars Balluchon Plumepierre. »

Bravegars Balluchon Plumepierre tint stoïquement le coup sous le poids du nom et renifla un pied de table.

« Y r’semble drôlement à mon frangin Errol, dit Chicard en jouant à fond la carte du moineau joyeux, effronté mais sympathique. L’a l’même nez pointu, si vous m’permettez, m’dame. »

Vimaire regarda la créature qui inspectait son nouvel environnement et sut qu’elle serait désormais, irrévocablement, Errol. Le petit dragon mordit pour voir dans le pied de table, mâcha quelques secondes, recracha et se mit en rond pour dormir.

« Il va pas mettre le feu, dites ? demanda anxieusement le sergent.

— Je ne crois pas. Il n’a pas l’air d’avoir encore compris à quoi servent ses conduits à feu, répondit dame Ramkin.

— Mais on n’a rien à lui apprendre question relaxation, dit Vimaire. En tout cas, les gars…

— Oook.

— Je ne m’adressais pas à vous, monsieur. Qu’est-ce qu’il fait chez nous, celui-là ?

— Euh… s’empressa de répondre le sergent Côlon. Je… euh… comme vous étiez parti et tout, et que nous, on serait sans doute à court de personnel… Carotte, là, a dit que c’était légal et tout… J’l’ai assermenté, mon capitaine. L’anthropoïde, mon capitaine.

— Assermenté comme quoi, sergent ?

— Comme agent spécial, mon capitaine, fit Côlon en rougissant. Vous savez, mon capitaine. Une espèce de garde civil. »

Vimaire leva les bras au ciel. « Spécial ? Plutôt unique en son genre, bordel de merde ! »

Le bibliothécaire adressa un grand sourire à Vimaire.

« Juste provisoirement, mon capitaine. Le temps de cette affaire, quoi, implora Côlon. Il nous rendrait bien service, mon capitaine, et… ben, c’est le seul qu’a l’air de nous apprécier…

— Je trouve l’idée franchement excellente, dit dame Ramkin. Bravo, l’anthropoïde. »

Vimaire haussa les épaules. Le monde était déjà assez dingue comme ça, qu’est-ce qui pourrait aggraver son cas ?

« D’accord, dit-il. D’accord ! J’abandonne. Très bien ! Qu’on lui donne un insigne, mais je me demande bien où il va se l’accrocher ! Ah bon ! Oui ! Pourquoi pas ?

— Ça va, mon capitaine ? s’inquiéta Côlon.

— Bon ! Bon ! Bienvenue au nouveau Guet des Orfèvres ! lança sèchement Vimaire en arpentant distraitement la pièce.

Génial ! Après tout, le boulot vaut son pesant de cacahuètes, non ? alors on peut tout aussi bien employer des sin… »

La main du sergent se plaqua respectueusement sur la bouche de son supérieur.

« Euh… juste un truc, mon capitaine, conseilla aussitôt Côlon aux yeux étonnés de Vimaire. Dites pas le mot qui commence par s. Quand il entend ça, la moutarde lui monte au nez, mon capitaine. C’est plus fort que lui, il se sent plus. Comme un chiffon rouge qu’on agite devant un chaispasquoi, mon capitaine. « Anthropoïde », ça va, mais pas le mot qui commence par s. Parce que, mon capitaine, quand il se met en rogne, il est pas du genre à bouder dans son coin, mon capitaine, si vous m’suivez. À part ça, il pose pas de problèmes. D’accord ? Suffit de pas dire “singe”. Ohmerde. »

* * *

Les frères étaient nerveux.

Il les avait entendus discuter. Les choses allaient trop vite pour eux. Il avait cru les faire entrer petit à petit dans la conspiration, en ne leur révélant jamais plus de vérité que ne pouvaient en absorber leurs petits cerveaux, mais il les avait quand même surestimés. Il fallait les tenir d’une main ferme. Ferme mais juste.

« Frères, dit le Grand Maître Suprême, les Manchettes de la Véracité sont-elles convenablement mises en valeur ?

— Quoi ? fit distraitement le frère Tourduguet. Oh. Les Manchettes. Ouais. Mises en valeur. Parfaitement.

— Et les Martinets de l’Appel sont-ils convenablement dépouillés ? »

Le frère Plâtrier sursauta d’un air coupable. « Moi ? Quoi ? Oh. Oui, pas de problème. Dépouillés. Oui. »

Le Grand Maître Suprême marqua un temps.

« Frères, dit-il d’une voix douce, nous sommes si près du but. Encore un tout petit effort. Encore quelques heures. Un petit effort, et le monde est à nous. Vous me comprenez, frères ? »

Le frère Tourduguet racla un pied par terre.

« Ben… fit-il. J’veux dire, évidemment. Oui. Pas d’inquiétude là-d’sus. On est derrière vous à cent dix pour cent… »

Il va dire « seulement », songea le Grand Maître Suprême.

«… Seulement… »

Ah.

«… on… enfin, nous tous, quoi, on a trouvé ça bizarre, vous avez l’air tellement différent, vous voyez, après l’invocation du dragon, comme qui dirait…

— Complètement nettoyé, fit avec obligeance le frère Plâtrier.

— … Oui, comme si… – le frère Tourduguet se débattit avec les serpents de l’expression orale – comme si on vous avait enlevé quelque chose…

— Vidé jusqu’à la dernière goutte, précisa le frère Plâtrier.

— Oui, comme il dit, et nous, on… Ben, c’est peut-être un peu risqué…

— Comme si des bouts de votre cerveau vivant se faisaient aspirer par des créatures effroyables de l’au-delà, poursuivit le frère Plâtrier.

— Moi, j’aurais plutôt vu ça comme une migraine, dit le frère Tourduguet au désespoir. Et on s’demandait, vous comprenez… cette histoire d’équilibre cosmique et tout… parce que, ben, vous avez vu ce qui est arrivé à ce pauvre vieux Cagoinces. Ça pourrait être une espèce de jugement. Hum.

— Ce n’était qu’un crocodile fou caché dans un parterre de fleurs, dit le Grand Maître Suprême. Ç’aurait pu arriver à n’importe qui. Mais je comprends ce que vous ressentez.

— Ah bon ? fit le frère Tourduguet.

— Oh, oui. C’est tout naturel. Tous les grands mages se sentent un peu mal à l’aise avant d’entreprendre une œuvre de l’importance de la nôtre. » Les frères se gonflèrent d’orgueil. Les grands mages. C’est nous, ça. Ouais. « Mais dans quelques heures tout sera terminé, et je suis sûr que le roi vous récompensera généreusement. L’avenir s’annonce radieux. »

Après une déclaration pareille, normalement, le tour était joué. Cette fois, ça n’eut pas l’air de prendre.

« Mais le dragon… commença le frère Tourduguet.

— Il n’y aura pas de dragon ! Nous n’en avons pas besoin. Écouter, dit le Grand Maître Suprême, c’est tout simple. Le jeune roi aura une épée merveilleuse. Tout le monde sait que les rois ont des épées merveilleuses…

— L’épée merveilleuse dont auquelle vous nous avez causé, c’est ça ? demanda le frère Plâtrier.

— Et quand elle touchera le dragon, dit le Grand Maître Suprême, pfuiiit !

— Ouais, ça fait comme ça, dit le frère Portier. Mon oncle, une fois, il a flanqué un coup de pied à un dragon des marais. Il l’avait surpris à boulotter ses citrouilles. Cette saleté a failli lui arracher la jambe. »

Le Grand Maître Suprême soupira. Encore quelques heures, oui, et alors, fini tout ça. La seule décision qu’il n’avait pas encore prise, c’était s’il allait leur ficher la paix – qui les croirait, après tout ? – ou envoyer la Garde les arrêter pour bêtise au dernier degré.

« Non, fit-il avec patience, je veux dire que le dragon disparaîtra. Nous le renverrons. Fin du dragon.