Ils se turent : le garçon apportait les kebabs sur une montagne de riz au safran. À la table voisine, on déboucha une bouteille de Taittinger au milieu d’exclamations joyeuses. C’était un anniversaire. Malko lança son pavé dans la mare.
— Messieurs Jones et Brabeck sont donc chargés de la neutralisation des deux policiers qui protègent Sultan Hafiz Mahmood. Avec des carabines spéciales.
— Right.
Malko se tourna vers les deux gorilles.
— Vous êtes prêts ?
— Sûr ! affirma Chris Jones, c’est comme une carabine de chasse. Sauf qu’on tire une grosse seringue. On en prendra un chacun. C’est facile de ne pas les louper.
— La drogue injectée agit en combien de temps ? demanda Malko.
William Hancock eut l’air un peu embarrassé.
— Well, il n’y a pas d’expérimentation sur l’homme. Mais sur un lion, qui pèse environ quatre fois le poids d’un homme, cela agit en une minute environ…
— C’est long, une minute, remarqua Malko. Ils ont le temps d’appeler du secours, ils ont sûrement des portables ou des radios.
— Nous avons intégré cette donnée, affirma William Hancock, en positionnant non loin de là un fourgon banalisé qui brouillera toutes les communications radio dans le périmètre. En plus, nous avons conservé la dose utilisée pour un grand félin. Cela devrait agir quatre fois plus vite…
Chris Jones hocha la tête gravement.
— J’espère qu’ils vont bien réagir. Parce que nous n’aurons pas d’artillerie.
Malko calma leurs ardeurs.
— La peine de mort existe toujours au Pakistan, rappela-t-il. Avec un simple kidnapping, nous nous en tirerons avec une vingtaine d’années…
Un ange passa et disparut, affolé. William Hancock reprit fermement la main.
— Je vous rappelle, messieurs, que nous agissons dans la légalité la plus complète, en ce qui concerne notre administration. Nous sommes couverts par un presidential finding.
Ce qui soulagea aussitôt les deux gorilles inquiets pour leur retraite.
— Avez-vous d’autres questions ? demanda le chef de station.
— Non, fit Malko. Demain matin, je vais reconnaître les lieux. Vous en faites autant à Taxila, et nous nous retrouvons ici demain soir.
— Parfait, approuva le chef de station.
Le colonel de l’ISI Hussein Hakim venait d’arriver à son bureau, dans Kashmir Road ; un modeste bâtiment de quatre étages, QG de l’Agence. Les autres services étaient éparpillés un peu partout dans Islamabad. Sa secrétaire surgit, ravissante Pendjabie en sari moulant vert d’eau, dégoulinante de bijoux en argent, avec de grands yeux noirs soulignés de khôl pleins de sensualité.
— Voici la liste des arrivées, colonel Sahib, annonça-t-elle.
Le colonel Hussein Hakim, plein de mélancolie, regarda la silhouette élégante onduler jusqu’à la porte. Cette salope s’était fait sauter une seule fois, un soir, sur le coin de son bureau, mais n’avait jamais voulu recommencer sans une promesse de mariage… Or, l’officier pakistanais avait quatre enfants et une épouse encore très présentable, appartenant à un clan qui l’aurait découpé en morceaux en cas de répudiation.
La vie était mal faite.
Il ouvrit le dossier, découvrant la liste des passagers repérés pour diverses raisons à leur arrivée à Islamabad. Il y avait de tout : des citoyens pakistanais recherchés pour fraude fiscale, des businessmen douteux et, de temps en temps, une perle rare. Il la trouva, soulignée de rouge. Prince Malko Linge. Le nom lui disait quelque chose. Il le tapa sur son ordinateur et le dossier apparut… Malko Linge était un « opératif » de la CIA, connu comme le loup blanc. Son dernier séjour au Pakistan remontait à trois ans, lorsque, sous couverture de l’US Aid, il avait tenté de retrouver la trace de Bin Laden. Le rapport prétendait qu’il y était parvenu, sans donner plus de détails. Suivait la liste de ses contacts à Islamabad et à Peshawar. Le colonel Hakim se souvint alors que sa secrétaire lui avait transmis un mot de son homologue de la CIA, William Hancock, avec qui il entretenait d’excellentes relations, lui annonçant l’arrivée de Malko Linge, venu exploiter une piste menant à Bin Laden.
La CIA était extrêmement active au Pakistan et n’avait pas une totale confiance dans ses alliés pakistanais, dont les services étaient souvent gangrenés par les partisans d’Al-Qaida.
En professionnel prudent, le colonel Hussein Hakim décida quand même, pour se couvrir, d’effectuer un petit sondage sur les activités de l’agent de la CIA. D’après sa fiche de police, il était descendu au Marriott. Quelques jours de filature discrète ne feraient pas de mal.
CHAPITRE XI
Assis à côté de Hassan, Malko regardait attentivement les maisons de Siachin Road défiler sur leur droite. Il était dix heures et demie du matin. Il avait, à dessein, choisi de ne pas interférer avec le jogging de Sultan Hafiz Mahmood. Il passa lentement devant le début de la 7e Rue, aperçut fugitivement une voiture bleue arrêtée devant une des maisons. Sûrement la protection statique du scientifique pakistanais.
— Continuez jusqu’à la mosquée Shah Faisal, demanda-t-il à Hassan.
Celui-ci obéit, puis repartit ensuite sur Siachin Road, en direction du zoo. Cette fois, Malko scrutait les pentes de la colline, légèrement boisées. Quelques petits groupes étaient installés sous les arbres. Peu de piétons sur le trottoir. Peu de véhicules. S’attarder eût été contre-productif… Malko se tourna vers Hassan.
— Vous a-t-on donné quelque chose pour moi ?
— Oui, sir, c’est dans le coffre.
La balise électronique destinée à l’hélicoptère. Sa durée de vie était de huit jours, autant la mettre en place maintenant, pour éviter les allers-retours.
— Nous retournons à Taxila, annonça Malko.
Cette fois, il chronométra le parcours, demandant à Hassan de ne pas rouler trop vite. Exactement quarante-cinq minutes de Siachin Road à l’entrée du site archéologique. En comptant une heure, ils seraient dans les temps. Si un camion se renversait au milieu de l’autoroute Islamabad-Peshawar, dans ce pays où les pneus des véhicules étaient lisses comme des joues de bébé, tout était possible… Il repartit sous le soleil vers le stûpa de Dharmarajika. Il faisait encore plus chaud que la veille, et les mêmes voleurs de pierres étaient au travail. Malko dut attendre à l’ombre du stûpa géant qu’ils aient terminé de charger les pierres pour dissimuler soigneusement dans l’herbe la balise GPS, après l’avoir activée. De ce côté-là, au moins, il n’y aurait pas de problème. Désormais, jusqu’au jour J, il n’avait plus grand-chose à faire.
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* *
Aisha Mokhtar en avait perdu le goût du sexe, rembarrant méchamment son dernier prétendant qui, pourtant, possédait des attributs sexuels impressionnants. Il pleuvait sur Londres et cela n’incitait pas à la joie. Sa maison était même carrément sinistre quand il n’y avait pas de soleil, en dépit du minuscule jardinet intérieur. Depuis le départ de son éphémère et princier amant, la Pakistanaise retournait dans sa tête les circonstances de leur rencontre. N’étant pas naïve, elle n’écartait pas une manip’.
Mais par qui et dans quel but ?
Bien sûr, il s’était montré un excellent amant, mais cela ne signifiait pas qu’il n’avait que cela en tête. Beaucoup de gens pouvaient s’intéresser à elle. Les Pakistanais d’abord, les services israéliens et américains ensuite. Son amant aussi, agissant soit par jalousie, soit pour se renseigner.