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Parti dix jours plus tôt de Koh-Sichang, l’avant-port de Bangkok, où il avait complété son chargement de sacs de riz de 18 000 tonnes – à Bangkok, en raison du peu de profondeur du port, on ne pouvait charger plus de 8 000 tonnes –, il se dirigeait vers le port israélien de Haifa. Bien que construit en 1982, le Salinthip Naree n’était pas très rapide. Il lui fallait environ vingt-quatre jours pour couvrir les 6 014 milles séparant Bangkok de Haifa. Ayant déjà franchi le détroit de Malacca, il devait traverser tout l’océan Indien d’est en ouest. Il en était, en gros, à la moitié de sa traversée. Quatre fois par an, son armateur, la compagnie thaïe Precious Shipping Ltd avait un contrat avec le gouvernement israélien pour un transport de riz d’environ 18 000 tonnes. De la dunette, le capitaine Salman Lankavi inspectait la mer. Ils venaient de croiser un énorme pétrolier descendant du golfe Persique, l’Iris Atlantic, dont il avait pu distinguer le nom dans ses jumelles. C’était une des zones maritimes les plus fréquentées du monde, à cause des pétroliers effectuant la navette entre le Moyen-Orient et l’Asie.

Le capitaine posa ses jumelles et redescendit dans sa cabine afin d’y consulter les messages e-mail de son armateur.

Ce dernier avait communiqué aux autorités israéliennes le jour et l’heure de départ du Salinthip Naree, ainsi que son itinéraire non-stop jusqu’à Haifa.

Salman Lankavi s’était fait engager un an plus tôt par la Precious Shipping Ltd pour un salaire de 6 000 dollars par mois. Son second était malais comme lui, et le reste de l’équipage, de différentes nationalités. De pauvres bougres gagnant entre 700 et 1 200 dollars par mois. Il se pencha sur une carte où il avait noté son itinéraire. Il était le seul à savoir que ce voyage-là n’était pas comme les autres. Tout le monde ignorait que Salman Lankavi était membre du Kumkulaw, un groupe islamiste radical malais lié à la Jemaah Islamiyah, et que c’était à la demande de ses chefs qu’il avait postulé auprès de l’armateur thaï. Avec un but bien précis qu’il allait réaliser au cours de ce voyage.

Il se sentait parfaitement calme, en accord avec lui-même, tandis que le Salinthip Naree filait vers un point déterminé quelque part au milieu de l’océan Indien. Il ouvrit le petit coffre de sa cabine et vérifia le pistolet automatique qui s’y trouvait. Il l’avait acheté pour 80 dollars à Patpong, le quartier chaud de Bangkok, quelques jours avant son départ. Il n’aurait peut-être pas à s’en servir, mais c’était quand même une sécurité.

Le coffre refermé, il étala sur le sol un petit tapis de prière et, prosterné, supplia Allah de lui accordé son aide. Il n’avait qu’un rôle relativement facile à jouer, mais absolument indispensable.

Apaisé, il remonta sur la dunette, inspectant de nouveau la mer avec ses jumelles. L’océan Indien était patrouillé en permanence par les navires de la Ve flotte de l’US Navy, dont le QG se trouvait à Barhein, à la recherche de trafics liés au terrorisme. Bien que l’arraisonnement d’un navire en pleine mer soit, théoriquement, un acte de piraterie, les Américains ne se gênaient pas pour arraisonner et fouiller tout navire suspect à leurs yeux. Quitte à s’excuser ensuite. Au cours du premier contact radio, si le capitaine du navire interrogé indiquait une escale dans un port connu pour ses trafics, ou si son itinéraire présentait des anomalies, il était fouillé de fond en comble. Cette méthode semblait indispensable aux Américains, l’océan Indien n’étant survolé par aucun satellite, et uniquement par quelques appareils de reconnaissance à long rayon d’action partis de l’île de Diego Garcia.

Le capitaine Lankavi était serein : son vraquier ne contenait que du riz, en sacs de cinquante kilos. Après l’avoir déchargé à Haifa, il irait charger du coton à Alexandrie, à destination de Shanghai. Possédant une cinquantaine de navires, la Precious Shipping Ltd était une compagnie ayant pignon sur rue, dans North Satom Road, à Bangkok, et une excellente réputation.

Malko, assis en face de Richard Spicer, le chef de station de la CIA à Londres, réfléchit quelques instants à l’information concernant l’achat du caméscope, se faisant aussitôt l’avocat du diable.

— Même si c’est Aisha Mokhtar qui l’a acheté, cela ne prouve pas qu’elle soit mêlée à cette affaire, remarqua-t-il.

— Exact, reconnut l’Américain, mais cela nous donne un levier contre elle. Il faut la recontacter et lui faire peur. Le fait qu’un objet acheté par elle se retrouve chez Bin Laden est quand même troublant, d’autant que son amant officiel est proche de Bin Laden.

— Croyez-vous vraiment qu’elle soit au courant de quelque chose ?

Richard Spicer eut un geste évasif.

— Honnêtement, je n’en sais rien. Les musulmans ne font pas confiance aux femmes, mais c’est un contexte particulier. Montez à l’assaut. Je vous tiendrai au courant de notre réunion de cet après-midi. Nous devons, coûte que coûte, savoir ce qu’il est advenu de cet engin nucléaire. Puisque la récupération de Sultan Hafiz Mahmood a échoué, c’est aux Pakistanais de le faire parler. Et on va les motiver. Appelez-moi après l’avoir quittée, pour faire le point.

Malko se retrouva dans Grosvenor Square et héla un taxi à l’entrée de South Audley Street, pour se faire conduire au Lanesborough. Ce n’est que dans sa chambre qu’il composa le numéro de la ligne fixe d’Aisha Mokhtar. Une voix d’homme répondit, sûrement le chauffeur, et Malko demanda à parler à sa patronne en donnant son nom.

Après un court silence, le chauffeur revint dire que Mrs Mokhtar était sortie.

Ce qui était probablement faux, car il serait lui aussi sorti. Malko n’insista pas et appela le portable. Sur répondeur. Aisha Mokhtar tenait parole : elle l’avait viré de son existence. Aussi décida-t-il de prendre le taureau par les cornes. Il redescendit, appela un taxi et se fit conduire à Belgrave Mews North. En sortant du véhicule, la première chose qu’il aperçut fut la Bentley verte stationnée dans l’impasse. Aisha Mokhtar était chez elle.

Trente secondes plus tard, il vit la porte du numéro 45 s’ouvrir, d’abord sur le chauffeur, puis sur la jeune Pakistanaise, en tailleur rose pâle et bas noirs. Chaudry lui ouvrit la portière et fit ensuite le tour de la Bentley pour se remettre au volant. Malko courait déjà. Il arriva à la hauteur de la Bentley au moment où le chauffeur lançait le moteur, ouvrit la portière arrière gauche et se laissa tomber à l’intérieur, à côté d’Aisha Mokhtar ! Celle-ci poussa une exclamation à la fois stupéfaite et furieuse, mais se reprit très vite.

— Sortez immédiatement de cette voiture ! lança-t-elle, ou j’appelle la police.

Malko lui adressa un sourire désarmant.

— Excellente idée ! J’allais justement vous demander de nous conduire à Scotland Yard. À la division antiterroriste. C’est dans Broadway Street.

Il vit les prunelles de la Pakistanaise s’agrandir et son assurance disparut d’un coup.

— Scotland Yard ! fit-elle d’une voix mal assurée. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi aurais-je à me rendre à Scotland Yard ? Je possède un passeport britannique, je ne suis pas une immigrée. Je vous ai dit que je ne voulais plus vous voir…

— Je sais, reconnut Malko, mais depuis, il y a eu un fait nouveau.