— Votre voyage au Pakistan ?
— Cela n’est pas directement lié. Non, les services secrets britanniques ont récupéré il y a quelques jours un caméscope. Celui-ci avait été en possession d’un membre d’Al-Qaida et contenait un film avec Oussama Bin Laden.
— En quoi cela me concerne-t-il ?
— Ce caméscope a été acheté à Dubaï par vous, précisa placidement Malko. Les Britanniques voudraient savoir comment il est arrivé entre les mains de Bin Laden.
Chaudry, le chauffeur, n’avait toujours pas démarré. Aisha Mokhtar demeura quelques instants silencieuse, puis répliqua :
— Je ne me souviens pas d’avoir acheté une caméra à Dubaï. Il s’agit sûrement d’une erreur.
Malko posa une main sur le genou gainé de nylon noir et précisa :
— Aisha, le marchand, lui, se souvient parfaitement de vous. En plus, vous avez payé avec votre carte American Express.
Aisha Mokhtar ne répondit pas immédiatement, puis demanda, visiblement mal à l’aise.
— Où voulez-vous en venir ?
— Moi, nulle part, assura Malko. Mais les Brits veulent vous poser un certain nombre de questions. Je pense qu’il serait mieux d’en discuter entre nous, avant.
— Qui êtes-vous vraiment ?
— Ce que je vous ai dit, confirma Malko, mais je suis aussi un chef de mission de la Central Intelligence Agency et j’enquête sur une histoire d’une gravité exceptionnelle.
— Qui me concerne ?
— C’est vous qui allez me le dire. Que diriez-vous d’aller déjeuner au Dorchester ? Nous ne serons pas loin de Grosvenor Square…
— Pourquoi Grosvenor Square ?
— C’est là que se trouvent les bureaux de la CIA à Londres. À l’ambassade des États-Unis.
— J’ai déjà un déjeuner, protesta-t-elle, sans conviction.
— Je pense que ce serait une bonne idée de le décommander, suggéra Malko.
Aisha Mokhtar lança quelques mots au chauffeur, qui démarra enfin. Elle composa ensuite un numéro sur son portable et annonça à son interlocuteur qu’elle avait un empêchement de dernière minute, incontournable.
Malko l’observait. Elle savait sûrement beaucoup de choses, mais cela ne serait pas facile de les lui faire avouer… Dix minutes plus tard, ils débarquaient au Dorchester, et furent installés dans un coin de la solennelle salle à manger. Pour la détendre, Malko commanda une bouteille de Taittinger Comtes de champagne Rosé millésimé 1999, attendit que Aisha ait vidé deux flûtes et planta son regard doré dans le sien.
— Aisha, dit-il, j’ai beaucoup de sympathie pour vous, j’adore vous faire l’amour, mais je veux savoir si vous êtes décidée à coopérer.
— Coopérer avec qui ?
C’était le moment de lâcher son missile. Il avait décidé de ne pas y aller par quatre chemins. Sans fuir son regard, il expliqua à voix basse, lentement :
— Saviez-vous que votre amant en titre, Sultan Hafiz Mahmood, qui se trouve en ce moment à Islamabad, avait procuré une arme nucléaire artisanale à Oussama Bin Laden ?
Une ombre imperceptible passa dans les prunelles noires d’Aisha Mokhtar et Malko devina qu’elle savait quelque chose.
— Une arme nucléaire, croassa-t-elle pourtant, comment voulez-vous…
Brusquement, elle changea de ton, et lança, furieuse :
— Si vous continuez à me persécuter, je quitte ce pays immédiatement. Je possède la double nationalité et j’ai des amis puissants au Pakistan. L’ambassadeur ici est un ami très proche.
— L’ambassadeur du Pakistan ne peut rien pour vous, corrigea tranquillement Malko. Vous êtes impliquée dans une affaire de terrorisme nucléaire. Si vous tentiez de quitter la Grande-Bretagne, vous seriez immédiatement placée en garde à vue… C’est-à-dire en prison.
Aisha Mokhtar devint si pâle qu’il eut juste le temps de lui verser du champagne qu’elle but avidement. S’ensuivit un silence pesant.
— Je n’ai pas faim, dit-elle soudain.
— Prenez une sole, suggéra Malko.
Il en commanda deux. Aisha Mokhtar alluma une cigarette d’une main tremblante et demanda :
— Vous avez vu Sultan à Islamabad ?
— J’ai failli. Vous avez eu de ses nouvelles ?
— Je lui ai téléphoné, avoua-t-elle à voix basse, je pensais que c’était lui qui vous avait envoyé…
— Vous avez donné mon nom ?
— Oui, admit-elle dans un souffle.
Malko n’extériorisa pas sa fureur. Voilà l’explication du brusque renforcement de la protection de Sultan Hafiz Mahmood… Il laissa passer quelques instants avant de dire :
— Aisha, vous êtes dans une situation très difficile. Si vous ne coopérez pas, les États-Unis vont vous réclamer comme complice de Bin Laden et vous resterez en prison des mois ou des années.
Décomposée, la Pakistanaise ne put que balbutier :
— Vous parlez sérieusement ?
— Oui. Votre ami Sultan Hafiz Mahmood a, apparemment, livré à Al-Qaida un engin nucléaire capable de tuer des centaines de milliers de personnes. Cet engin, actuellement, est dans la nature et nous devons le retrouver coûte que coûte. Donc, il faut dire la vérité. C’est bien vous qui avez acheté ce caméscope ?
— Oui, mais je ne savais pas à qui il était destiné.
Comme j’habitais Dubaï, c’était plus facile qu’au Pakistan.
— Vous l’avez remis à Sultan Hafiz Mahmood.
— Quelques semaines plus tard. J’ignorais qu’il l’avait offert à Bin Laden.
— Vous l’avez rencontré, lui ?
— Non. Sultan n’a jamais voulu m’emmener lorsqu’il allait le voir, il disait que c’était trop dangereux et que les femmes n’avaient rien à faire là-bas.
Elle se tut, puis essaya d’avaler quelques bouchées de sa sole en or massif, d’après son prix, et finalement y renonça.
— J’ai envie de vomir, lança-t-elle, livide. Excusez-moi.
Elle se leva brusquement de table et disparut. Lorsqu’elle revint, elle avait repris quelques couleurs et Malko attaqua de nouveau.
— Aisha, dites-moi la vérité maintenant. Vous étiez au courant de cette affaire nucléaire ?
La jeune femme hésita longtemps avant d’admettre :
— Oui.
— Dites-m’en plus.
— En 2002, Sultan est allé rendre visite à Bin Laden quelque part dans le Waziristan, expliqua-t-elle. Il a emporté le caméscope que j’avais acheté à Dubaï. Lorsqu’il est revenu, il était très excité, mais n’a pas voulu me dire pourquoi. Ensuite, je l’ai vu souvent angoissé, nerveux, presque dépressif. Une nuit d’insomnie, il a fini par m’avouer qu’il avait fait une promesse à Bin Laden et qu’il se rendait compte qu’elle était presque impossible à tenir…
— Il vous a dit de quoi il s’agissait ?
— Oui. Il avait promis de lui livrer une bombe atomique ! Moi, j’ai cru qu’il voulait en voler une… Ensuite, il ne m’en a plus parlé. Jusqu’au jour où je suis partie à Londres. J’avais oublié cette histoire, mais, avant que nous nous séparions, il m’a avoué qu’il était en train de parvenir à ses fins et m’a remis des documents à mettre à l’abri à Londres.
— Quoi donc ?
— Des pièces impliquant le gouvernement pakistanais dans les transferts de technologie nucléaire à l’Iran et à la Corée du Nord. Il m’a dit qu’il voulait pouvoir se défendre, s’ils apprenaient ce qu’il avait fait pour Bin Laden. C’est tout ce que je sais. Je vous jure…
Elle le fixait de ses grands yeux noirs dont l’expression changea soudain. Posant sa main sur la sienne, elle murmura d’une voix suppliante :