— Je vous en prie, protégez-moi…
Sous la table, sa jambe se pressait contre la sienne. La femelle reprenait le dessus. Si Malko lui avait demandé une fellation en plein restaurant, elle aurait sûrement accepté. Il ne réagit pas à ses avances. Quelque chose lui disait qu’elle ne lui racontait pas tout, mais le résultat n’était déjà pas mince.
— Parfait, dit-il, je vais vous laisser. Je vous rappellerai très vite. Ne parlez de tout cela à personne.
— On peut dîner ce soir ? proposa-t-elle.
— Peut-être. Cela dépend de vous.
En partant, il se dit que, désormais, le succès ou l’échec de sa mission dépendait d’Aisha Mokhtar.
CHAPITRE XIII
Le colonel Dok Shakar, représentant l’ISI à Londres, était livide. Sous les regards croisés de Richard Spicer, de Sir George Cornwell et de Mark Lansdale, il se décomposa encore plus. La lumière venait de se rallumer dans l’auditorium du MI6, après la projection du film montrant l’engin nucléaire artisanal remis à Bin Laden.
— Aviez-vous connaissance de ce projet ? demanda Sir George Cornwell.
Le Pakistanais sursauta.
— Of course not ! D’ailleurs, je ne suis pas certain qu’il s’agisse vraiment d’une bombe ! Il est impossible de dérober de l’uranium enrichi dans nos installations. Tout est sévèrement gardé et comptabilisé… Si cette bombe existe, ceux qui l’ont mise au point se sont procuré le combustible nucléaire d’une autre façon. Soit auprès de fabricants russes, soit auprès des Iraniens…
Les trois hommes le regardèrent froidement.
— Le Pakistan, selon nos sources, possède aujourd’hui 2 600 kilos d’uranium enrichi, précisa Mark Lansdale. Sultan Hafiz Mahmood compte de très nombreux amis dans cette filière qu’il a contribué à créer…
— Je vais rendre compte tout de suite, mais à Islamabad, c’est déjà la nuit, bafouilla le colonel de l’ISI, défait.
Richard Spicer intervint alors.
— Nous avons déjà tenté d’interroger Sultan Hafiz Mahmood, mais le gouvernement pakistanais a refusé. Je pense donc qu’il serait nécessaire de nous autoriser à le questionner sur cette affaire.
— Je vais transmettre votre demande, jura le Pakistanais, de plus en plus décomposé.
Juste avant qu’il ne franchisse la porte, Richard Spicer ajouta :
— Nous considérerions comme un casus belli que M. Sultan Hafiz Mahmood ait un « accident cardiaque » dans les jours qui viennent.
Restés seuls, les trois hommes remontèrent dans le bureau de Sir George Cornwell. Le patron du MI6 semblait extrêmement soucieux. Il se tourna vers son homologue de la CIA.
— Que pouvons-nous faire ?
— Nos drones sont déjà en train de peigner la zone de la frontière pakistano-afghane, annonça Richard Spicer, à la recherche du bâtiment où cet engin a été assemblé. De plus, des éléments héliportés sont en alerte à Spin Bolak, pour une éventuelle action commando. Nos U-2 basés dans les Émirats arabes unis ont reçu l’ordre d’intensifier leurs vols de reconnaissance. Mais je crains fort que cet engin soit déjà loin. La seule personne qui peut nous aider à le retrouver est Sultan Hafiz Mahmood.
— Rien du côté d’Al-Qaida ?
— Rien. Pas de communiqué, pas de cassette. Même pas de rumeurs. Pourtant, nous sommes à peu près certains que Bin Laden se cache entre le Waziristan et le Baloutchistan.
— C’est là-bas qu’il faudrait faire exploser une bombe, grommela Sir George Cornwell. Pour en être débarrassé pour de bon…
Le portable de Richard Spicer sonna et il répondit.
— Rejoignez-nous au « 6 », fit-il, après un brève échange. C’est Malko Linge, précisa-t-il. Il a déjeuné avec Aisha Mokhtar et nous rejoint.
Malko fit son apparition un quart d’heure plus tard et rendit compte de son déjeuner. Désormais, le parcours du caméscope était éclairci.
— Vous pensez qu’elle en sait plus sur l’affaire de la bombe ? interrogea le chef de station de la CIA.
— C’est possible, fit prudemment Malko. Mais elle est morte de peur. Je vais essayer de la faire parler.
— Ne la lâchez pas, recommanda l’Américain.
*
* *
Les derniers invités au dîner de Sultan Hafiz Mahmood étaient en train de prendre congé, le laissant en tête à tête avec la superbe Éthiopienne draguée quelques jours plus tôt, lorsque la sonnette de la porte tinta. Un domestique alla ouvrir et revint prévenir le maître de maison.
— Le général Ahmed Bhatti souhaite s’entretenir avec vous, annonça-t-il. Il vous a envoyé une voiture.
Sultan Hafiz Mahmood, surpris, regarda sa montre. Il était près de minuit.
Le général Ahmed Bhatti était le chef de l’ISI.
— Maintenant ? demanda-t-il.
— Maintenant, Mahmood Sahib.
L’estomac soudain tordu d’angoisse, Sultan Hafiz Mahmood passa un gilet brodé sur sa tenue pakistanaise, prit sa pochette de cuir contenant son portable, de l’argent et des papiers, et alla trouver l’Éthiopienne, installée dans le living-room.
— Je reviens tout de suite, promit-il. Mets un DVD en m’attendant…
Une Mercedes noire sans plaque attendait devant la porte, avec un chauffeur et un garde du corps. Une seconde voiture, avec quatre hommes à bord, assurait la protection. Ils ne mirent pas dix minutes à atteindre l’immeuble de Kashmir Road où quelques rares fenêtres étaient encore éclairées. Un planton introduisit tout de suite Sultan Hafiz Mahmood dans l’immense bureau du cinquième étage. Le général Ahmed Bhatti accueillit l’ingénieur avec courtoisie, lui offrit du thé, s’excusa de l’avoir convoqué à une heure aussi tardive, puis alla directement au but.
— Nous venons de recevoir un message de notre chef d’antenne à Londres, annonça-t-il abruptement. Il a été convoqué au MI6 où on lui a projeté un film où vous expliquez à Oussama Bin Laden le fonctionnement d’un engin nucléaire artisanal.
— Impossible ! sursauta Sultan Hafiz Mahmood, ce film ne comporte pas de bande sonore…
Réalisant l’énorme gaffe qu’il venait de commettre, il se tut, la tête baissée, le visage soudain humide de transpiration. Le général Ahmed Bhatti, atterré, insista :
— Peu importe les détails, coupa-t-il. Il s’agit vraiment d’une bombe atomique ?
Il s’attendait à une dénégation acharnée, mais Sultan Hafiz Mahmood demeura d’abord silencieux, comme s’il cherchait à comprendre le sens de la question, puis, relevant la tête, il planta son regard dans celui du général Bhatti et dit simplement :
— Oui, sir, un engin d’une puissance de dix kilotonnes. Quelque chose dans son regard glaça le patron de l’ISI.
Une lueur hallucinée d’une intensité qui mettait mal à l’aise. Le général eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Jusque-là, il avait cru à une manip des Américains pour leur extorquer des secrets ou quelques « terroristes » de plus… Il demeura sans voix quelques instants, puis insista :
— C’est vous qui avez fourni à Bin Laden de quoi construire cet engin ?
— Non, sir, je l’ai assemblé moi-même. J’ai agi selon ma conscience. Pour le bien de l’oumma.
Les yeux de Sultan Hafiz Mahmood brillaient d’un éclat dément. Le général Bhatti comprit qu’il avait en face de lui un homme qui ne possédait pas toute sa raison. Il ne fallait pas le brusquer.
— Vous imaginez les conséquences pour notre pays ? Pour votre pays ? corrigea-t-il.
— L’oumma tout entière vous remerciera, proclama Sultan Hafiz Mahmood. Et Allah vous aidera…