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Le général Bhatti sentit sa raison vaciller : il s’était attendu à tout sauf à cet aveu tranquille, assuré, fier. Tout à coup, Sultan Hafiz Mahmood se leva et se mit à arpenter le bureau à grandes enjambées, tout en frottant machinalement son bras gauche avec sa main droite. Le général Bhatti ne comprenait pas tout ce qu’il disait, ne saisissant que des mots épars… « djihad », « croisés », « vengeance de Dieu ».

D’une voix qu’il s’efforçait de maîtriser, il demanda :

— Mahmood Sahib, comment avez-vous fait pour vous procurer ce combustible nucléaire ?

Sultan Hafiz Mahmood s’arrêta net, le fixant de son regard fou.

— Allah m’a aidé !

Tout à coup, il vacilla légèrement, son teint pâlit, son œil droit se ferma. Il prononça encore quelques mots indistincts puis s’effondra sur place, sans un mot. Le général Ahmed Bhatti, après quelques secondes se stupeur horrifiée, se précipita et allongea Sultan Hafiz Mahmood sur le dos. Ce dernier respirait faiblement, les narines pincées, le teint cireux… Le général se rua sur son téléphone et hurla :

— Envoyez-moi deux hommes et un brancard, vite ! Ensuite, il appela le standard et se fit passer l’hôpital Al-Shifar. Dès qu’il eut la permanence, il se fit connaître et prévint :

— J’arrive avec un malade qui vient d’avoir un accident vasculaire cérébral. Cela me semble grave. Il ne faut pas qu’il meure.

Le médecin de garde bredouilla qu’il ferait l’impossible, qu’il préparait une intervention, et le général Bhatti raccrocha. Lorsque les deux infirmiers eurent emmené Sultan Hafiz Mahmood qui n’avait pas repris connaissance, il décida d’appeler à son domicile le général Pervez Musharraf, chef de l’État pakistanais. La situation était trop grave pour l’affronter seul. Si cette affaire s’était nouée dans son dos, son avenir était derrière lui. Lorsqu’il eut enfin le président Musharraf en ligne, il lui demanda un entretien d’urgence sans préciser pourquoi : les services indiens écoutaient tout. Inutile de les mettre au courant.

— Je vous attends, répondit laconiquement Pervez Musharraf.

Si le général Ahmed Bhatti demandait à le voir à cette heure tardive, cela ne pouvait être que pour une raison très grave. Le général Bhatti appela ensuite à son domicile le colonel Hussein Hakim et lui enjoignit de rejoindre immédiatement le QG de l’ISI. Deux jours plus tôt, cet officier lui avait transmis une note concernant une éventuelle surveillance par la CIA de Sultan Hafiz Mahmood.

*

*   *

Habitué aux situations d’urgence, ayant déjà plusieurs fois échappé à des attentats, le président Pervez Musharraf avait écouté calmement le général Bhatti.

— Vous n’étiez au courant de rien ? demanda-t-il d’une voix incisive.

Ce ne serait pas la première fois que l’ISI le trahirait. Mais le général Bhatti n’était pas un islamiste, plutôt un pragmatique.

— Je le jure sur le Coran, affirma-t-il solennellement. Et cette affaire semble étrange. Comment a-t-on pu voler de l’uranium enrichi ? Tout notre matériel stratégique se trouve à la centrale de Kahuta, sous la surveillance permanente d’éléments totalement sûrs.

Son portable sonna. C’était l’hôpital Al-Shifar. Lorsqu’il raccrocha, le général Bhatti était encore plus pâle.

— Sultan Hafiz Mahmood a été frappé d’une attaque cérébrale massive, annonça-t-il. Pour l’instant, ses jours ne sont pas en danger, mais il est incapable de parler.

— Quand pourra-t-il retrouver l’usage de la parole ? demanda le président Musharraf.

— Impossible à dire. Peut-être jamais. (Il ajouta aussitôt :) Jamais les Américains ne vont nous croire !

— Invitez-les à venir le voir à l’hôpital, conseilla le président. Ils se rendront compte par eux-mêmes que c’est vraiment un accident vasculaire. Le plus urgent est de tirer les choses au clair. Et d’arrêter une position vis-à-vis de l’extérieur. Pouvez-vous me certifier qu’aucun organisme officiel n’est impliqué dans cette affaire ?

— Non, reconnut le général Bhatti, mais je vais diligenter une enquête dès demain matin.

— Convoquez le responsable de la centrale de Kahuta. Je veux avoir un état précis des stocks. Je vais moi-même appeler le président Bush, mais je dois absolument être sûr de ce que je dis. Venez à la présidence demain matin, à dix heures, avec les premiers éléments.

Après avoir quitté le domicile du président Musharraf, le général Bhatti regagna son bureau de Kashmir Road, où il avait convoqué tous ses collaborateurs susceptibles de lui apporter des lumières sur cette incroyable affaire. Si Sultan Hafiz Mahmood n’avait pas avoué, il n’y aurait pas cru…

*

*   *

Blême, au garde-à-vous, le colonel Hussein Hakim essayait de rester stoïque face au déchaînement de fureur du général Bhatti. Celui-ci venait de lire le dossier de Sultan Hafiz Mahmood et de découvrir l’étrange voyage du scientifique au Baloutchistan, et la disparition inexpliquée des deux agents de l’ISI chargés de le surveiller.

— Qu’est-ce qu’il allait faire à Gwadar ? glapit le chef de l’ISI. Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ? Il n’y a eu aucune enquête sur la disparition de nos deux hommes ?

— Si, par notre poste à Gwadar, assura le colonel Hakim. Sans résultat. Quant à Sultan Hafiz Mahmood, nous l’avons interrogé. Il a déclaré s’être rendu à Gaddani pour affaires et, ensuite, être allé à Gwadar pour y retrouver un chef baloutche de ses amis, le Nawar Jamil Al Bughti.

Le général Bhatti frappa du poing sur le bureau et rugit.

— Deux de nos hommes ont été assassinés au lance-roquettes à Gwadar et vous n’avez pas fait le rapprochement ?

Penaud, le colonel Hakim baissa la tête.

— Général Sahib, Sultan Hafiz Mahmood a toujours été intouchable. Rien ne le reliait directement à cet incident…

— Ces hommes étaient chargés de le surveiller ! Vous êtes idiot.

Le colonel baissa la tête, accablé. Son chef bouillonnait de fureur. Cette affaire sentait très, très mauvais…

— Je veux qu’on m’amène ce Nawar, ordonna-t-il. Où vit-il ?

— Près de Quetta.

— Qu’il soit ici ce soir.

Le colonel Hakim n’osa pas lui dire que cela risquait de déclencher une insurrection au Baloutchistan. Et, qu’en plus, le Nawar ne serait pas coopératif. Il détestait le gouvernement central.

Le général Bhatti continua la lecture de l’épais rapport consacré à Sultan Hafiz Mahmood et bondit de nouveau.

— D’après une de nos écoutes, Mahmood a reçu un appel de Londres, de sa maîtresse, Aisha Mokhtar, lui demandant s’il lui avait envoyé un certain Malko Linge.

— Exact, général Sahib.

Le général Bhatti s’en serait arraché la moustache. Il vociféra :

— Ce même Malko Linge se trouvait à Islamabad la semaine dernière et a été repéré dans les parages du domicile de Sultan Hafiz Mahmood. Avant de venir, il avait rendu visite à sa maîtresse à Londres. Cela ne vous a pas alerté ?

— Je n’ai eu le compte rendu d’écoutes qu’après son départ, s’excusa le colonel Hakim.

— Que savez-vous de cette femme ?

— Nous la considérons comme une aventurière, répondit le colonel Hakim. Sultan Hafiz Mahmood l’a utilisée comme prête-nom à Dubaï pour des transferts de fonds. Elle a un passeport britannique et une maison à Dubaï.

— Sultan Hafiz Mahmood était intime avec elle ?