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Virant sur ses talons, elle s’enfuit dans sa chambre dont la porte claqua derrière elle tandis qu’elle allait s’abattre sur son lit pour y sangloter à son aise. Elle n’y était pas depuis une minute que Fatime venait s’agenouiller auprès d’elle, armée d’un flacon et d’une serviette :

- Il ne faut pas pleurer ! Surtout pas ! fit-elle, visiblement épouvantée. Les hommes détestent les larmes… et les princes encore plus !… Arrêtez par pitié ! Vous allez être laide !…

Une bouffée de colère redressa Aurore :

- Si tu crois que cela m’importe ! Qui prétend m’aimer doit m’aimer comme je suis ! Ce n’est pas un sultan et je ne suis pas une odalisque, une poupée, un objet de plaisir que l’on soumet sans lui accorder le droit à la parole ! Va le lui dire !

A travers les larmes qui lui brouillaient la vue, elle crut voir Fatime rétrécir puis disparaître pour laisser place au prince qui lui tendit une lettre ouverte :

- Essuyez vos yeux et lisez !

Aurore obéit machinalement mais dut s’y prendre à deux fois pour déchiffrer le message. Enfin elle put prendre connaissance de ce qui n’était, en somme, qu’une version pour un amant princier de ce qu’elle avait déjà reçu :

« S’il est normal, Monseigneur, que Votre Altesse Electorale souhaite s’éloigner d’une favorite devenue envahissante, il l’est moins que vous lui laissiez la bride sur le cou. Ce dont elle se hâte de profiter pour recevoir dans la maison que vous lui avez offerte des hommes qui n’ont rien à y faire. Mais on ne peut changer sa nature et nombreux sont, en Allemagne, ceux qui peuvent en témoigner… »

A peine eut-elle achevé sa lecture qu’Aurore la laissait tomber avec dégoût :

- C’est une assez jolie infamie, soupira-t-elle. Et la présence de Votre Altesse Electorale prouve qu’elle y a ajouté foi. Ce qui me navre. Qu’un grand prince suive les conseils d’un être suffisamment lâche pour lui écrire sous le masque de l’anonymat, c’est là ce qui me blesse… Ce genre de choses se jette aux ordures sans se donner la peine de vérifier… Pourtant, Monseigneur a voulu vérifier…

- Et il y avait un homme chez vous !

Elle haussa des épaules lasses et alla s’asseoir devant son miroir. Elle avait ce don rare de pleurer avec grâce sans en être autrement enlaidie.

- Dans ce cas, Monseigneur, il faut suivre le conseil implicite de votre précieux correspondant et m’abandonner à ma vie dissolue. Ce soir je suis trop fatiguée pour soutenir une controverse, dit-elle en levant les bras pour ôter un à un les peignes et les épingles qui soutenaient sa coiffure et lui faisaient mal à la tête. Les soyeuses boucles noires glissèrent lentement sur ses épaules.

- C’est tout ce que vous trouvez à répondre ?

- Je pensais m’être clairement exprimée jusque-là, mais puisque vous semblez y tenir j’ajouterai qu’en dépit de vos interdictions, je suis heureuse de les avoir transgressées. Pourquoi ?… Parce que Nicolas d’Asfeld avec ses faibles moyens et son seul courage a plus fait pour me rendre la paix de l’âme que vous, Monseigneur !

- N’avais-je pas promis…

- La parole est facile, l’action l’est moins… et Votre Altesse Electorale n’a jamais été avare de promesses… ni de présents d’ailleurs. Elle est infiniment généreuse sauf avec ce qu’elle promet !

- Prenez garde à m’offenser !

- Au point où j’en suis, Monseigneur, cela n’a plus beaucoup d’importance parce que cette belle ambassade qui devait aller, les aimes à la main, exiger la vérité sur le sort de mon frère n’est jamais partie et ne partira jamais ! Et je ne parle pas du mariage que vous me fîtes miroiter certain soir !

- Un prince ne peut pas toujours réaliser ses vœux dans l’immédiat. Je pensais que vous l’aviez compris…

- Je le pensais aussi mais…

- Mais ?…

Elle prit une brosse en vermeil et commença à la passer dans ses cheveux avec des gestes doux, presque méditatifs.

- Mais en passant à l’action, les intérêts de trop de gens se trouveraient gênés. Je ne pense pas seulement à votre noble épouse… à laquelle je m’en voudrais de causer la moindre peine, mais à d’autres plus sournois et dont l’auteur de ce chiffon me semble la meilleure illustration. Celui-là ne nous laissera en paix ni l’un ni l’autre. Aussi, Monseigneur, je pense que le mieux pour nous deux serait d’en finir…

- J’admire votre sagesse, mais peut-être pourriez-vous me demander mon avis ?

Il lui enleva la brosse des mains, et entreprit de lisser l’opulente chevelure semblable à de la soie vivante. Elle le laissa faire et même ferma les yeux quand, lâchant l’instrument, il prit sa tête entre ses deux mains qu’il resserra légèrement :

- Qu’y a-t-il derrière ce beau visage et sous ce crâne têtu ? Qu’en sortirait-il si j’appuyais assez fort pour le faire éclater ? fit-il en augmentant la pression jusqu’à ce qu’elle proteste :

- Vous me faites mal, Monseigneur !…

Il relâcha aussitôt mais ce fut pour emprisonner ses épaules. Alors, sans cesser de le fixer dans le miroir, Aurore reprit :

- Point n’est besoin de me briser le crâne pour savoir ce que je pense. Cela tient en peu de mots : je vous aime et je suis toujours vôtre mais…

- Voilà un « mais » qui gâche tout !

- Cela dépend uniquement de vous. Peut-être avez-vous cru que je ne vous cédais que pour obtenir votre aide dans ma quête douloureuse ? Sachez alors que vous n’auriez rien obtenu de moi si vous ne m’aviez d’abord conquise. Je vous ai aimé et je me suis donnée. Ce n’est pas compliqué à comprendre. A présent, je veux bien faire table rase des promesses qui ne seront jamais tenues mais je ne veux à aucun prix devenir le jouet de vos courtisans et je préfère vous quitter plutôt que vivre dans l’attente de plus en plus angoissée de sales petits papiers où rien n’est vrai sinon la haine qui les inspire. En un mot je veux…

- Ton amour seul compte. L’idée qu’un autre pourrait te caresser, te posséder me rend fou. Tu es en moi comme une flèche aux barbes trop larges pour qu’on puisse l’arracher sans me tuer. Je t’aime, ma divine Aurore… et je ne cesserai jamais de t’aimer.

Elle eut un rire doux et posa vivement ses doigts sur la bouche de son amant :

- Chut !… Plus de promesses !

Il joignit son rire au sien :

- Si. Une ! Si tu tiens à cette robe, enlève-la sinon dans un instant elle sera en lambeaux…

Il se disposa à la quitter aux petites heures de l’aube. Mais, tandis qu’il se rhabillait, le spectacle d’Aurore endormie sur le ventre dans le lit dévasté, de sa chair dorée par la lumière de la veilleuse contrastant si joliment avec l’ébène lustré de sa chevelure réveilla un appétit qu’il n’eut pas le courage de réfréner et le ciel pâlissait au-dessus de Dresde quand il se décida à rentrer au palais…

Reprise par le sommeil, Aurore ne s’éveilla qu’à midi. Elle ne se rendit même pas compte de la présence de Fatime qui s’efforçait de remettre de l’ordre dans la chambre et dans le lit mais, quand enfin elle ouvrit les yeux, elle retrouva intacte la merveilleuse sensation d’accomplissement et de béatitude que lui avait donnée cette nuit irréelle où l’amour qu’elle redoutait de voir tiédir s’était révélé plus ardent encore. Elle n’en voulait pour preuve que ce regain du matin où, enfin apaisé, il lui avait soufflé à l’oreille :