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Autant de questions qui, si elles restaient sans réponse, risquaient de faire échouer l’opération. Il faudrait une suite de miracles, maintenant, pour que Julius Harb échappe à ses bourreaux. Sa dernière chance reposait sur Malko et sa bandera des cloportes, et sa chance.

* * *

Herbert Van Mook surgit de la ferme, une machette à la main, torse nu, avec un slip panthère. Il avait les yeux gonflés de sommeil. Lui non plus n’avait pas dû dormir beaucoup. Il s’avança vers Malko qui venait de s’arrêter en face de la ferme. Visiblement inquiet.

— Qu’est-ce qui se passe ? On avait rendez-vous ce soir.

— Il y a un changement. C’est pour demain soir, annonça Malko. Je viens de l’apprendre.

Les traits du Hollandais semblèrent s’affaisser et il jura à mi-voix.

— C’est un peu court, grommela-t-il.

— Nous n’avons pas le choix, dit froidement Malko. Julius Harb exécuté, l’action n’a plus de raison d’être. Il faut que vous ayez tout organisé pour demain.

Herbert Van Mook planta sa machette dans le sol et caressa son menton mal rasé, pensivement. Guignant Malko du coin de l’œil. Il avait bien envie de lui dire quelque chose, mais il n’osait pas. Avec une prudence de félin, il décida que ce n’était pas le moment.

— Ouais, se contenta-t-il de dire. Évidemment… Je vais m’y mettre tout de suite. Le temps de me raser.

— Vous aurez cinq hommes pour demain soir ?

Le Hollandais eut un geste fataliste.

— J’espère. Sinon, on fera avec moins. Les autres en face, ce ne sont pas des Israéliens, même s’ils ont des Uzis.

Désespérément, il cherchait une échappatoire. À ces yeux, la seule solution était de ramasser l’or et ensuite d’éviter d’aller au massacre. Prendre une balle dans le ventre, c’est toujours triste, mais quand on vient de faire fortune, c’est particulièrement horrible…

— Et le bateau ? le harcela Malko.

— Allez voir Tonton, conseilla Van Mook. Maintenant, il vous connaît, il n’y a pas de problème. À la cathédrale ou chez lui. Et on se retrouve comme convenu au Parbo Inn à la nuit tombée.

Malko remontait déjà dans la Colt Turbo. Volant littéralement dans les ornières du sentier.

Tonton Beretta travaillait en musique. Une cacophonie assourdissante sortait du hangar. Malko avait appelé mais personne ne l’avait entendu. Il progressa au milieu des bateaux sur cale et déboucha dans le dos du vieux Français. Celui-ci était en train, avec l’aide d’un jeune homme, de démonter la transmission d’un des deux moteurs du racer bleu et blanc. Il se retourna brusquement. Sans même que Malko l’ait vu prendre une arme, il avait déjà son Beretta au poing.

Il le baissa en reconnaissant Malko, et se fendit d’un sourire huileux.

— Faut p… p… pas venir à l’improviste comme ça ! reprocha-t-il. Je suis un vieux bonhomme nerveux, moi. Qu’est-ce qui se passe ?

Le regard éloquent de Malko posé sur le jeune homme lui attira un sourire rassurant de Tonton Beretta.

— Vous pouvez parler, dit-il. C’est Herbert qui m’a envoyé Dutchie. Il s’y connaît en moteurs.

Dutchie coula un regard sournois à Malko, puis se replongea dans le cambouis.

— L’opération est avancée à demain soir, dit Malko. Il faut que le bateau soit prêt demain matin, afin que vous puissiez le mettre à l’eau et le cacher dans la journée sur l’autre rive. Il faudrait le ramener ensuite, dès la nuit tombée, sur cette rive et l’amarrer le long de Waterkant. J’ai regardé le quai : il est assez haut et on ne remarque rien de la rue.

— Où voulez-vous qu’on le planque ?

— Le long du Waterkant, répéta Malko. Il y en a plusieurs, personne ne le remarquera. Vous voyez l’endroit ?

— J… j… je vois, fit Tonton Beretta.

Il secoua la tête, soucieux et enchaîna :

— Merde ! On a un problème sur la transmission du moteur gauche. J’espère qu’on va arriver à la décoincer. Tant pis, on travaillera cette nuit, hein Dutchie ?

Le jeune mécano émit un son qui pouvait passer pour un acquiescement.

— Il faut absolument qu’il soit prêt, insista Malko.

Inutile d’en dire plus et de parler de l’or. Au dernier moment, il le ferait mettre en face de la Banque Centrale.

Tonton Beretta frappa familièrement sur l’épaule de Malko, ses gros yeux marron dégoulinant de bonne volonté.

— Vous en faites pas ! Ça sera prêt. J’irai le planquer très tôt en face et je reviendrai par le bac. Le petit fera la sieste dedans, qu’on ne pique pas l’essence ou les moteurs. Ensuite, je reprendrai le dernier bac et nous reviendrons ensemble vers huit-neuf heures. Passez me voir à la cathédrale, ce soir. Je vous dirai où nous en sommes.

Tellement heureux qu’il ne bégayait plus.

Il raccompagna Malko jusqu’à sa voiture et le regarda partir. Dutchie l’avait mis au courant pour l’or, sous le sceau du secret. Tonton Beretta n’en revenait pas. Une chose était sûre : ce trésor représentait la dernière chance de sa vieille vie, et il était bien décidé à tout faire pour le récupérer. Lorsqu’il habitait Caracas, il était capable de tuer huit hommes avec les huit cartouches de son Beretta. Même manquant d’entraînement, il pouvait encore faire du bon travail.

Tout en revenant vers le hangar, il se demanda lequel il faudrait mieux abattre le premier : le commanditaire ou Herbert Van Mook ? En pensant aux misérables cinq mille dollars que ce dernier lui avait promis, il pencha plutôt pour le Hollandais, tant la rage l’étouffait. Se disant cependant que les circonstances détermineraient son choix.

* * *

Machinalement, Malko continua son chemin, passant devant Fort Zeelandia. Les sentinelles bayaient aux corneilles et le patrouilleur était toujours à l’ancre. Maintenant que l’action approchait, il se sentait plus calme. Presque fataliste. Une fois de plus, il allait jouer sa vie à pile ou face. Les informations qu’il pourrait ou non obtenir sur la composition du convoi feraient pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Il tourna à droite pour s’engager pour la centième fois dans Gravenstraat, là où tout se jouerait.

À trente kilomètres de Paramaribo, Herbert Van Mook quitta la piste pour un sentier s’enfonçant à travers la forêt, débouchant sur un espace découvert occupé par une immense paillote aménagée en bar-restaurant. Deux femmes se balançaient dans des hamacs. L’une d’elles avec un bébé dans les bras. À côté de lui, Rachel dormait, sur son siège, comme un enfant. Après la visite de Malko, il n’avait pas perdu de temps. Dans son coffre, il avait entassé toutes les armes nécessaires à l’expédition.

Les filles dans les hamacs le regardaient venir. L’une d’elles se laissa glisser à terre, et s’avança vers lui, infiniment gracieuse avec son sarong serré autour de ses hanches larges. Un gros bracelet d’argent cliquetait autour de sa cheville gauche.

— Midnight Cowboy est là ? demanda Van Mook.

La fille tendit la main vers les arbres.

— Là-bas, il est au « creek », il revient.

Le Hollandais sentit un grand poids s’envoler de sa poitrine. Si Selim, le chauffeur de taxi, surnommé « Midnight Cowboy » avait été absent, qui aurait conduit le camion ? Il fallait quelqu’un habitué à la piste, qui fermerait sa gueule. Selim, un métis sino-hindoustani, avait le profil rêvé. Il le vit surgir de la brousse sans se presser, traînant un petit agouti pris dans un piège. Van Mook marcha à grands pas vers lui.

— Salut, Selim, j’ai besoin de toi.

— Quand tu veux ! fit le métis. C’est pour aller où ?