— On va le savoir tr… tr… très vite. Filez au Parbo Inn, je m’occupe d… d… de lui.
Dès que Malko fut sorti de la nef, Tonton Beretta s’approcha à pas de loup du confessionnal désigné par Malko. La pointe de son nez rejoignait presque son menton, ce qui le faisait ressembler à un vieux polichinelle.
Il posa la main sur le loquet du confessionnal et tira brusquement.
Le Pakistanais ne l’avait pas entendu venir. Il sursauta si fort que son coude heurta violemment la paroi du confessionnal, trouant le vieux bois. Son regard affolé ne pouvait se détacher du petit trou noir terminant le canon de l’automatique tenu d’une main ferme par le vieux Français. La main avança un peu et l’extrémité du canon s’enfonça dans le cou du Pakistanais, à la naissance de sa barbe.
— Qu’est-ce que tu… tu… fais là-de… de… dans ? demanda Tonton Beretta.
La pomme d’Adam de Ayub montait et descendait comme un ludion, mais il avait la gorge trop serrée pour répondre. Tout le visage de Tonton Beretta se crispa d’une manière effrayante et il enfonça brutalement son arme.
— C’est Herbert qui t’a en… en… voyé ?
Avec ces âmes simples, on ne savait jamais. Le Pakistanais hocha affirmativement la tête.
— Pour me dire quoi ?
Silence, regard fuyant. Il semblait se tasser sur lui-même. Tonton Beretta était édifié. Il eut un sourire éclatant de toutes ses fausses dents, les vraies ayant été détruites depuis longtemps par le scorbut, lorsqu’il purgeait une peine dans une prison vénézuélienne.
— Puisque tu t’es mis là, tu vas pouvoir te con… con… confesser.
Le Parbo Inn était fermé. Malko tambourina, fit le tour, alla au Popenkast, également fermé. Il avait croisé une voiture de pompiers essayant d’éteindre tout un bloc de maisons qui avaient flambé comme des allumettes non loin de là. Tout Paramaribo était à la merci de ce genre d’incident.
Il allait s’en aller quand la porte du Parbo Inn s’entrouvrit enfin sur les yeux bleus de Herbert Van Mook.
— Entrez vite, dit-il à Malko.
Ce dernier pénétra dans le bar. Il y avait deux autres hommes. Le gros barman barbu du Popenkast et un métis grand et maigre. Dans un coin, l’inévitable Rachel fumait à son habitude. Van Mook adressa à Malko un sourire éblouissant.
— Je crois que vous connaissez Éric… Il marche avec nous.
Le barman pansu et rouquin se dandina orgueilleusement et tendit une main énorme à Malko.
— Content de vous revoir.
— C’est un bon élément, fit sobrement Herbert Van Mook. Il sait se servir d’une arme et ça lui fera plaisir de faire un carton sur ces salauds… Quant à l’autre, c’est Selim, Midnight Cowboy. Un vieux copain. Il conduira le camion. Lui aussi c’est un type solide…
Il lui donna une grande claque dans le dos et le « type solide » sembla prêt à se désintégrer. Il avait l’air aussi heureux d’être là qu’un juif à l’entrée d’une chambre à gaz. Malko se demanda comment le grand Hollandais l’avait convaincu et surtout s’il allait tenir le coup. Van Mook continua jovialement :
— Il ne manque plus que cette petite canaille de Dutchie. Il doit être en train d’aider Tonton.
— C’est tout ? demanda Malko.
— Ça suffit.
Van Mook n’osait pas dire que ce n’était pas la peine d’être trop pour partager l’or.
— Ayub, le barman, n’est pas dans le coup ?
— Ayub ?
Herbert Van Mook semblait sincèrement stupéfait.
Malko sentit sa gorge se nouer et dissimula son angoisse dans un sourire froid.
— Dans ce cas, nous avons un problème sérieux sur le dos.
Herbert Van Mook éclata en une série de jurons orduriers pendant que Malko lui relatait ce qui s’était passé dans la cathédrale. Ses yeux s’étaient injectés de sang. Midnight Cowboy semblait prêt à tourner de l’œil. Finalement, le géant hollandais parvint à se dominer.
— OK, fit-il, je vais à la cathédrale. Attendez-moi ici en buvant une bière. N’ouvrez à personne. Il y a une sortie derrière. Éric reste avec vous. Au cas où il aurait un pépin, nous nous retrouvons à la ferme.
Il sortit, comme un boulet de canon, sans même adresser la parole à Rachel.
Herbert Van Mook traversa en trombe la nef et s’arrêta en face de Tonton Beretta.
— Où est-elle, cette crapule ?
Le Français désigna le confessionnal du bout de son pistolet.
— Là-dedans. P… p… pas frais.
— Va fermer cette putain d’église.
Tandis que le vieux Français se dirigeait vers la porte, Herbert Van Mook envoya le bras droit à l’intérieur du confessionnal et son énorme main se referma autour du cou de Ayub, l’arrachant de son abri comme un Bernard-l’hermite de sa coquille. Il le colla si brutalement à la paroi de bois qu’elle se fendit avec fracas. Le Pakistanais était livide.
— Qu’est-ce que tu foutais ici ? gronda le Hollandais.
Terrifié, l’autre n’arrivait pas à répondre. Arrachant la machette de sa ceinture, Van Mook frappa le visage du barman à toute volée, du plat de la lame, lui brisant le nez et lui fendant la bouche. Puis, il appuya la pointe sur son larynx et annonça d’une voix vibrante de rage :
— Tu parles ou je te crève.
Tonton Beretta, revenu, contemplait la scène sans intervenir.
— Fais pas des s… s… saletés pa… par… partout, dit-il. Après, c’est moi qui n… net… nettoie.
Le Pakistanais roulait des yeux blancs, essuyant le sang qui coulait de son visage, muet comme une carpe.
Van Mook sentit que s’il utilisait la machette, il risquait de le décapiter du premier coup, tant il bouillait de haine. Or, il était vital qu’Ayub parle. Sinon, tout était fichu. L’or lui passait sous le nez. Apercevant les deux cordes des cloches qui pendaient presque au sol devant l’escalier menant au chœur, il eut une idée. Saisissant le barman par sa chemise, il le traîna jusque-là et, en un clin d’œil, lui passa une des grosses cordes autour du cou avec un superbe nœud coulant. Tonton Beretta approuva :
— Ça c’est plus propre.
— Aide-moi, dit Van Mook.
À deux, ils forcèrent leur prisonnier à monter le petit escalier puis lui firent passer les jambes par-dessus la rampe de bois, l’installant, la corde au cou, les jambes dans le vide. Le Hollandais resserra le nœud d’un coup sec, laissant tout juste un filet d’air passer. Il suffisait d’une petite poussée pour faire basculer Ayub de cette potence improvisée. Herbert Van Mook lui prit la barbe à pleine main, le forçant à le regarder.
— Je te donne une minute pour me dire ce que tu faisais ici, dit-il. Sinon, tu sautes.
Le Pakistanais toussa, faillit vomir et finit par murmurer d’une voix imperceptible :
— Je suivais votre ami.
— Pourquoi ?
— On me l’avait demandé.
— Qui ?
Silence. Herbert Van Mook poussa un peu, lui faisant presque perdre l’équilibre. Ayub émit un cri étranglé.
— C’est le chef de la Milice de notre quartier. Depuis longtemps, il m’a dit de vous surveiller, de lui dire tout ce que vous faisiez, qui vous rencontriez.
Herbert Van Mook faillit le précipiter dans le vide tant sa rage était violente.
— Petit salaud et tu ne m’as pas prévenu, gronda-t-il. Moi qui avais confiance en toi…
— Il m’avait dit que je me retrouverais « plein de trous » si je n’obéissais pas, gémit Ayub.