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Le Hollandais respira profondément pour se calmer.

— Qu’est-ce que tu leur as dit ?

— Rien, rien, jura Ayub. Seulement que vous aviez rencontré un étranger plusieurs fois au Parbo Inn. Ils m’ont demandé de le suivre. Ils ont très peur des mercenaires. Je n’ai rien dit d’autre, je le jure. D’ailleurs, je ne sais rien…

— Tu ne sais pas ce qu’on va faire ? demanda Van Mook d’une voix trop douce.

— Non, non.

Tonton Beretta était muet comme une carpe, mais ses gros yeux marron exprimaient un dégoût profond.

— Eh bien, je vais te dire ce qu’on va faire, continua Van Mook.

— Non !

C’était un vrai hurlement. Van Mook ne le laissa pas s’achever. D’une brusque poussée, il projeta le Pakistanais dans le vide. Son cri se termina brutalement en un gargouillement bref et le craquement sec de ses vertèbres cervicales se brisant retentit dans le silence de l’église. Son corps tressauta quelques instants au bout de la corde, les pieds à quelques centimètres du sol. De l’extérieur un tintement grave parvint jusqu’à eux. La cloche où était accrochée la corde, sonnait involontairement le glas pour le barman qui eut quelques derniers soubresauts, puis s’immobilisa. La cloche tinta encore un peu, puis le calme retomba. Herbert Van Mook cracha par terre, livide de rage.

— Quelle merde, ce type…

— T’es trop con… con… confiant, fit Tonton Beretta. Tu crois qui… qui… qu’il s’est allongé ?

— Ouais, il avait trop les jetons. Mais, il a rien pu apprendre, on n’était jamais près de lui.

— J’espère que tu te goures pas, fit le vieux Français. De toute façon, on peut pas le laisser là. Il y a des vieilles mamas qui viennent le soir. Aide-moi.

Les deux hommes défirent la corde et transportèrent le corps inerte pour le tasser sous l’escalier. Quand Herbert Van Mook se redressa, il avait une lueur dangereuse dans ses yeux bleus.

— Tonton, dit-il, il faut qu’on parle sérieusement.

— Tu c… cr… crois ? ricana Tonton Beretta.

— Tu es au courant pour l’or ?

— Oui.

— Bon, fit le Hollandais, j’avais pas vraiment l’intention de me lancer dans l’attaque de la diligence, mais maintenant, il n’en est plus question. Cette saloperie de barman a peut-être bavé un peu plus… Et, de toute façon, ils doivent se méfier. Donc voilà mon idée. On fait la banque, avec l’autre, et, ensuite…

— On le laisse à la place de l’or, compléta froidement Tonton Beretta.

— Tout juste, fit Van Mook. Ensuite, on partage moitié-moitié, toi et moi. J’ai tout organisé. Midnight Cowboy nous attend avec un camion au bac de Carolina. De là, on filera sur Zanderij et on prendra la piste de l’est, vers Witagron et ensuite Avanero. Il y a un terrain d’aviation et quelquefois des avions qui viennent du Venezuela pour les recherches minières. On pourra peut-être s’arranger.

— Mais dis donc, fit Tonton Beretta, il n’y a pas un chat dans ce c… c… coin.

— Justement. Il suffit d’emporter de l’essence. Pour la bouffe on trouvera toujours avec les Indiens. Et là, personne ne nous cherchera. Et si on ne trouve pas d’avion à Avanero, on continuera jusqu’au Venezuela, en traversant le Guyana. Il y a des pistes que personne ne pratique. On n’est pas pressés. On arrivera bien un jour à Caracas…

Au Venezuela, Tonton Beretta était chez lui. Le plan du Hollandais lui paraissait difficile mais jouable. Personne n’irait les chercher dans la jungle. Le tout était que leur véhicule tienne et qu’ils arrivent avant la saison des pluies.

Tonton Beretta pencha la tête de côté, comme un gros oiseau satisfait.

— C’est bien goupillé, fit-il, mais fais pas le c… c… con avec moi.

Herbert Van Mook lui jeta un regard douloureusement choqué.

— Tonton ! Tu me connais !

— J… just… justement, fit le vieux Français. Maintenant, va leur ra… raconter tes salades. On se retrouvera chez m… moi demain soir.

Il le suivit jusqu’au parvis de la cathédrale et s’immobilisa, regardant les voitures qui passaient. Herbert Van Mook sifflotait. Tonton avait raison de se méfier, il n’avait pas la moindre envie de partager l’or avec le vieux Français, mais ce dernier ne verrait pas venir le coup. Maintenant, il restait à rassurer celui qui allait les mener au trésor.

* * *

Un silence lourd régnait au Parbo Inn, presque aussi étouffant que la chaleur. Rachel avait beau fusiller d’œillades incendiaires Malko et Éric le barman, les deux hommes étaient trop tendus pour s’intéresser à sa sensualité animale. Dans son coin, Midnight Cowboy n’avait pas touché à sa bière. Herbert Van Mook entra, le visage grave, referma soigneusement et annonça :

— Ce fumier d’Ayub travaillait pour la Milice populaire !

Malko sentit une coulée glaciale le long de sa colonne vertébrale. À côté de ça, les autres difficultés semblaient de la rigolade.

— Où est-il ? demanda-t-il.

Herbert Van Mook lui jeta un regard de commisération.

— Là où il ne fera plus de mal. Tonton s’en est occupé.

Midnight Cowboy avala bruyamment un peu de sa bière. Éric baissa les yeux, l’estomac retourné. Cela faisait deux en une journée.

— Quelles sont les conséquences pratiques ? demanda Malko. Que savait-il ?

Van Mook fit le tour du bar et se servit un rhum. Malgré sa sérénité apparente, lui aussi crevait d’inquiétude.

— Je crois qu’on ne risque pas grand-chose, dit-il finalement. Les gens de Bouterse sont obsédés par les mercenaires. Ils savent que je ne suis pas leur copain, alors ils ont demandé à Ayub de me surveiller. Comme vous êtes nouveau en ville, il s’est intéressé à vous. C’est tout.

— C’est déjà pas mal, fit amèrement Malko. Si je suis suivi, vous réalisez les conséquences ?

— Je ne pense pas que ça aille jusque-là, dit Van Mook. Ce sont des lents. Quand ils se réveilleront, nous serons loin.

— La disparition d’Ayub risque de les alerter, remarqua Malko.

— Il devrait être au bar jusqu’à minuit, laissa tomber Herbert Van Mook. Ils se poseront des questions demain. Moi, je vais retourner à la ferme, Éric va au boulot. On ne change pas nos plans. On se retrouve chez Tonton demain soir. Le bateau sera en place.

— Où sont les armes ? demanda Malko.

— Ici, dans ma voiture, je vais les laisser chez Tonton.

— Et moi ? demanda timidement Midnight Cowboy.

— Toi, tu viens avec moi, dit Van Mook. Avant de repartir, tu passeras voir Nabibox pour lui dire que tu prendras l’ambulance en fin de journée. Quand nous reviendrons, je te dropperai là, tu l’amèneras chez Tonton et ensuite, je te conduirai au camion. Tu n’auras plus qu’à aller avec à Carolina et à dormir dedans en nous attendant. Ensuite ton boulot sera fini et tu auras gagné deux mille florins.

— Et l’ambulance ?

— Tu la récupéreras chez Tonton et tu la ramèneras le lendemain matin.

Malko écoutait attentivement. Tout cela tenait debout. Il appréciait le sang-froid du Hollandais. Évidemment, la seule solution était de faire l’impasse sur la dénonciation possible et de ne rien changer à leur plan en espérant que Cristina ait des informations précises sur le transfert. Ou alors, il fallait démonter toute l’opération.

Dans ce cas, Julius Harb mourrait la nuit suivante.

Ils sortirent tous du bar. Herbert Van Mook prit la clef du Parbo Inn et accrocha sur la porte un écriteau « Fermé ». Malko regarda les deux hommes et Rachel s’engouffrer dans la voiture de Van Mook, tandis que le barman regagnait sa tanière. Les heures prochaines allaient être très longues.