Il semblait à Malko que la jeune Chinoise à la réception du Torarica lui jetait un coup d’œil furtif. Dans le petit hall traînaient les quelques clients habituels. Il inspecta sa chambre et ne remarqua rien de suspect, ce qui le rassura. Le temps de prendre une douche et de se changer, il repartait… En quittant le Torarica, il surveilla son rétroviseur, mais ne vit aucune voiture. Il n’était pas suivi, c’était déjà quelque chose…La voiture de Cristina était devant sa maison. Cela lui parut de bon augure. Il aperçut sa silhouette sur la véranda du premier et monta rapidement l’escalier extérieur. La métisse était assise dans son grand fauteuil d’osier, un verre de scotch à la main, une cigarette dans l’autre. Elle n’arborait pas son sourire éclatant coutumier. Écrasant sa cigarette, elle se leva, son regard n’avait pas non plus sa limpidité habituelle.
— J’ai de mauvaises nouvelles, annonça-t-elle d’emblée. Des hommes de la Milice populaire sont venus se renseigner sur toi au Torarica.
Chapitre XI
Malko prit machinalement le verre que lui tendait Cristina. Tout s’écroulait. Herbert Van Mook avait péché par optimisme. Dans le monde parallèle, les optimistes terminaient généralement dans les cimetières…
— Comment l’as-tu su ?
— J’étais passée à l’hôtel te voir. Je connais quelqu’un là-bas qui m’a prévenu.
— Je ne peux pas y retourner, dit Malko. Et je ne peux pas non plus rester ici. On sait que je te connais.
Cristina semblait plus calme.
— C’est vrai, dit-elle, aussi j’ai prévu une solution jusqu’à demain soir. Quelqu’un qui va t’héberger.
— Qui ?
Elle sourit.
— Greta Koopsie.
— Greta ! Mais…
— Je la connais assez bien. Elle n’a pas hésité.
— Mais que lui as-tu dit ?
— Presque la vérité. Que les militaires veulent te causer des ennuis. Que tu cherchais un refuge pour vingt-quatre heures et qu’ensuite, tu gagnerais Cayenne. Elle ne m’a pas posé de questions. Elle t’attend.
Malko lui aurait sauté au cou. Mais ça ne réglait pas tout.
— Et les autres ?
— Il y a une chance à courir, dit Cristina. Je pense qu’ils vont d’abord chercher de ton côté. Les autres, ils les ont sous la main. Si vraiment ils se déchaînaient, tu pourrais toujours filer la nuit prochaine sur la Guyane française.
Malko tâta la clef de sa chambre au fond de sa poche. Bonne habitude de ne jamais la laisser à l’hôtel… Au fond de son attaché-case, il y avait les trois clefs de la chambre forte de la Banque Centrale. Il laissa l’alcool détendre ses nerfs et interrogea :
— Tu as eu des informations sur le transfert ?
Cristina hocha la tête affirmativement :
— Il aura lieu la nuit prochaine, tout de suite après le couvre-feu. Un seul véhicule, probablement un minibus qui comprendra en sus de Julius Harb et du chauffeur, quatre ou cinq soldats d’escorte, avec des armes légères. D’après ce que nous savons, Julius est en bon état.
— Sait-il qu’on va tenter de le faire évader ?
De nouveau, elle alluma une cigarette.
— Si mon « contact » est sérieux, il le saura. Je lui ai fait dire de se coucher au fond du véhicule s’il entend des coups de feu.
Elle regarda sa montre, nerveuse.
— Ne reste pas trop longtemps ici. On ne sait jamais. Je vous téléphonerai demain en fin de journée chez Greta. Ils n’ont pas encore d’écoutes téléphoniques. Tu repasses au Torarica ?
— Oui.
Ils se levèrent tous les deux et Malko l’étreignit. Cristina le serra de toutes ses forces.
— Bonne chance.
— Merci, dit-il. À un de ces jours peut-être.
— Peut-être.
Elle le regarda traverser le jardin et lui adressa un petit signe d’adieu. Malko lui répondit avec un petit serrement de cœur.
Il repartit vers la ville, dépassa le Torarica et stoppa en face du bar Papillon de l’autre côté de Combéweg. Laissant sa voiture, il revint sur ses pas et pénétra dans le jardin de l’hôtel en passant par le terrain vague qui le prolongeait. Malko contourna la pelouse et arriva devant la porte de sa chambre du côté jardin. Pas de lumière. Il mit la clef dans la serrure. La chambre était vide. Il alluma, fourra dans un sac l’indispensable, la plupart de ses affaires, quelques pantalons pour ne pas donner l’éveil, prit son attaché-case et ressortit. Comme il avait déjà découché, les gens de l’hôtel ne s’étonneraient pas.
Deux putes, à la coiffure rasta, devant le Papillon, lui adressèrent un sourire prometteur. Il reprit la Colt et mit le cap sur Eldoradolaan.
Greta Koopsie coiffée, maquillée, arrosée de parfum, arborait un haut blanc très collant et la minijupe de panthère qu’elle affectionnait. La panoplie d’une femme qui a envie de mettre un homme dans son lit. Son regard se posa sur Malko avec un mélange de timidité et d’audace. Elle lui prit ses bagages et dit :
— Installez-vous.
La pièce – capharnaüm, encombré de machines à sous – était plongée dans une obscurité presque totale, une musique douce sortait d’un haut-parleur invisible. Un film était en train de passer sur l’Akaï, le son coupé. À quelques images, Malko reconnut Emmanuelle. Greta revint et s’assit sur le divan très bas, en face de Malko.
— Je vous ai préparé à dîner, annonça-t-elle.
— Je n’ai pas tellement faim, avoua Malko.
Elle gagna le bar et s’y affaira, chacun de ses gestes était une provocation muette. Le « pluf » d’un bouchon de Champagne claqua et elle revint vers Malko, une bouteille de Moët et Chandon à la main, avec deux verres.
— Un cadeau, dit-elle. Nous allons le boire ensemble.
Elle s’assit, les jambes de côté, la jupe serrée moulant ses fesses, remontée à mi-cuisses. Lorsqu’elle se pencha pour lui donner son verre, ses cheveux effleurèrent agréablement la joue de Malko. Elle versa le Champagne, et ils choquèrent leurs flûtes.
— À votre hospitalité, dit Malko.
Le Moët était glacé et pétillait agréablement sur le palais de Malko.
Greta le dévorait silencieusement des yeux. Avec une expression totalement différente d’auparavant. Malko comprit la raison de cette transformation : comme beaucoup de femmes, Greta avait besoin de se sentir utile, de protéger un homme. Là, elle était comblée ! La petite secrétaire de Rotterdam se trouvait mêlée à une véritable aventure, dangereuse, excitante. Malko en fut touché. Ils burent sans un mot, puis elle dit d’une voix rêveuse :
— Je suis certaine que ce que vous faites est passionnant.
Comme Malko ne répondait pas, elle ajouta vivement :
— Oh, je ne vous demande pas d’en parler. Je suis seulement heureuse que vous soyez ici. Ne craignez rien, je ne serai pas curieuse.
Elle vida son verre, comme pour se donner du courage, puis le remplit de nouveau. L’attitude de camaraderie presque platonique de Greta avait disparu, lorsque Malko croisa le regard de son hôtesse, il vit deux yeux bruns brûlants de désir.
Cependant, lui ne cessait de repasser dans sa tête tous les détails de son plan. Beaucoup reposaient sur Herbert-Van Mook, le reste sur sa chance. Les dés roulaient. Encore vingt-quatre heures.
Il but encore du Moët. Greta ne cessait de remplir sa flûte. À demi étendu sur les coussins, il se détendait peu à peu regardant le film du coin de l’œil. Soudain, Greta appuya sur la commande à distance de l’Akaï et l’image s’immobilisa sur le « viol » d’Emmanuelle dans l’avion. Aussitôt la jeune femme glissa contre Malko et sa bouche se posa sur la sienne, lèvres entrouvertes. Sa langue se mit à jouer avec la sienne. Il passa un bras autour de sa taille et aussitôt le ventre de la jeune femme tressaillit contre le sien. Elle l’embrassait avec application, fougue et un rien de tendresse. Il passa sa main sur la croupe callipyge et aussitôt Greta cambra les reins, comme une chatte. Toujours sans un mot. Il se hasarda à la découverte des cuisses, gêné et en même temps excité par la jupe étroite. Quand il atteignit son ventre, il découvrit deux choses. D’abord que Greta, comme la plupart des femmes qui reçoivent leur amant, ne portait rien sous sa jupe, et, ensuite, que ce n’était pas vraiment une femme frigide. Ses lèvres se détachèrent des siennes et elle dit à voix basse :